36
L’ART.
la fois grande, artistique et sans précédent. En une seule
saison, il a présenté à ses auditeurs un tableau complet du
développement de la technique et de la musique de piano.
Quant à son exécution, toujours assimilée au caractère des
morceaux, si parfaite comme technique, si inspirée comme
sentiment, je n’essaierai pas d’en parler. Mais j’attirerai
particulièrement l’attention sur ses observations si justes,
si impartiales, si frappantes et fondées sur une vaste ins-
truction et sur un goût fin et esthétique. Il n’existe nulle
part une étude critique plus intéressante, malgré son carac-
tère concis et fragmentaire.
Il est bien à regretter que M. Rubinstein se soit borné
aux auteurs défunts, qu’il n’ait pas compris dans son pro-
gramme les contemporains français, allemands, italiens,
Scandinaves, russes (Saint-Saëns, Fauré, Godard, Raff,
Brahms, Sgambatti, Martucci, Grieg, Swendsen, Balaki-
rew, Tscha'ikowsky, Liadow) ; il est regrettable surtout
qu’il n’ait pas exprimé sur eux son opinion. Il est bien
vrai de dire qu’une appréciation impartiale des contempo-
rains est difficile, mais elle ne devait pas l’être pour
M. Rubinstein. Il a toujours été étranger à la politique
musicale, ne disant jamais que ce qu’il pense, faisant tou-
jours une distinction entre l’œuvre et la personne, se tenant
toujours bien au delà des tiraillements mesquins et misé-
rables de l’amour-propre, du succès et de l’insuccès. Et
cependant, son opinion dans les questions actuellement
en discussion et son appréciation des compositeurs con-
temporains eussent été de grande valeur. Mais nous n'avons
pas le droit d’imposer un programme, et celui que M. Ru-
binstein vient d’accomplir avec tant d’énergie est d’une
ampleur sans exemple et l’immortalisera dans le souvenir
de ses auditeurs ravis et reconnaissants. Ces séances sont
l’événement musical le plus important de cette saison et
des saisons musicales précédentes de Pétersbourg. L’abné-
gation est chose rare. L’égoïsme et le principe de « chacun
pour soi » sont propres à la nature humaine et développent
la sagesse pratique. Dans le monde des arts, où l’amour-
propre s'enflamme si fatalement, l’abnégation est un fait
encore plus exceptionnel. Aussi ne saurait-on jamais assez
rendre hommage aux artistes qui se sont intéressés aux
autres plus qu’à eux-mêmes, et quelquefois même jusqu’à
leur propre détriment. Citons Liszt, qui s’est si ardem-
ment dévoué à la propagande des œuvres de Schubert, de
Chopin, de Berlioz, de Wagner, et qui a si puissamment
contribué à l’érection de la statue de Beethoven, à Bonn ;
citons Rimsky-Ivorsakow, qui a instrumenté successive-
ment : le Convive de pierre, de Dargomijsky, Xhavans-
tcliina, de Moussorgsky, le Prince Igor, de Borodine,
insufflant ainsi l’existence aux œuvres posthumes de ces
grands compositeurs. Citons M. Rubinstein, qui a consa-
cré une si large part de ses forces et de son temps à faire
connaître une longue série de compositeurs pour piano
de tous les pays et de tous les temps. Des artistes sem-
blables sont l’honneur de leurs contemporains et l’orgueil
de la postérité.
C. Cui.
A
ri.
■-
j
Ë===V
-ih===r^
Kj*
ppigi
P*
: ■ a
JcM
mm
Ifgg
L’ART.
la fois grande, artistique et sans précédent. En une seule
saison, il a présenté à ses auditeurs un tableau complet du
développement de la technique et de la musique de piano.
Quant à son exécution, toujours assimilée au caractère des
morceaux, si parfaite comme technique, si inspirée comme
sentiment, je n’essaierai pas d’en parler. Mais j’attirerai
particulièrement l’attention sur ses observations si justes,
si impartiales, si frappantes et fondées sur une vaste ins-
truction et sur un goût fin et esthétique. Il n’existe nulle
part une étude critique plus intéressante, malgré son carac-
tère concis et fragmentaire.
Il est bien à regretter que M. Rubinstein se soit borné
aux auteurs défunts, qu’il n’ait pas compris dans son pro-
gramme les contemporains français, allemands, italiens,
Scandinaves, russes (Saint-Saëns, Fauré, Godard, Raff,
Brahms, Sgambatti, Martucci, Grieg, Swendsen, Balaki-
rew, Tscha'ikowsky, Liadow) ; il est regrettable surtout
qu’il n’ait pas exprimé sur eux son opinion. Il est bien
vrai de dire qu’une appréciation impartiale des contempo-
rains est difficile, mais elle ne devait pas l’être pour
M. Rubinstein. Il a toujours été étranger à la politique
musicale, ne disant jamais que ce qu’il pense, faisant tou-
jours une distinction entre l’œuvre et la personne, se tenant
toujours bien au delà des tiraillements mesquins et misé-
rables de l’amour-propre, du succès et de l’insuccès. Et
cependant, son opinion dans les questions actuellement
en discussion et son appréciation des compositeurs con-
temporains eussent été de grande valeur. Mais nous n'avons
pas le droit d’imposer un programme, et celui que M. Ru-
binstein vient d’accomplir avec tant d’énergie est d’une
ampleur sans exemple et l’immortalisera dans le souvenir
de ses auditeurs ravis et reconnaissants. Ces séances sont
l’événement musical le plus important de cette saison et
des saisons musicales précédentes de Pétersbourg. L’abné-
gation est chose rare. L’égoïsme et le principe de « chacun
pour soi » sont propres à la nature humaine et développent
la sagesse pratique. Dans le monde des arts, où l’amour-
propre s'enflamme si fatalement, l’abnégation est un fait
encore plus exceptionnel. Aussi ne saurait-on jamais assez
rendre hommage aux artistes qui se sont intéressés aux
autres plus qu’à eux-mêmes, et quelquefois même jusqu’à
leur propre détriment. Citons Liszt, qui s’est si ardem-
ment dévoué à la propagande des œuvres de Schubert, de
Chopin, de Berlioz, de Wagner, et qui a si puissamment
contribué à l’érection de la statue de Beethoven, à Bonn ;
citons Rimsky-Ivorsakow, qui a instrumenté successive-
ment : le Convive de pierre, de Dargomijsky, Xhavans-
tcliina, de Moussorgsky, le Prince Igor, de Borodine,
insufflant ainsi l’existence aux œuvres posthumes de ces
grands compositeurs. Citons M. Rubinstein, qui a consa-
cré une si large part de ses forces et de son temps à faire
connaître une longue série de compositeurs pour piano
de tous les pays et de tous les temps. Des artistes sem-
blables sont l’honneur de leurs contemporains et l’orgueil
de la postérité.
C. Cui.
A
ri.
■-
j
Ë===V
-ih===r^
Kj*
ppigi
P*
: ■ a
JcM
mm
Ifgg