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L’ART.
naissons. Il ne s’agit plus alors de débattre une attribution qui s’impose d’elle-même ; il n’y a
qu’à admirer, à goûter dans une intime communication avec lui une des délectations les plus
hautes que l’art puisse offrir. C’est donc un rare bienfait que nous procure cette diffusion de son
œuvre par la photographie puisqu’elle nous associe à des jouissances autrefois presque inacces-
sibles. Au lieu d’aller chercher au loin de pareils trésors et après en avoir sollicité la trop courte
vue, de ne pouvoir en emporter qu’un souvenir fugitif, nous avons sous la main ces œuvres elles-
mêmes; à notre gré, il nous est permis de les manier, de les comparer, de les voir et de les
revoir et, en vivant ainsi dans un commerce assidu avec le maître, de recueillir ses confidences
et de pénétrer de plus en plus dans le secret de son génie.
II
Les dessins de Rembrandt peuvent être répartis en deux grandes séries : ses études
d’après nature ou d’après les maîtres et ses compositions. Ses études d’après nature témoignent
à la fois de la curiosité de son esprit et du
désir constant qu’il a de s’instruire en consul-
tant la réalité. Tout l’intéresse, tout lui sert
et il n’a pas à chercher bien loin des sujets
d’observation. Il a contracté de bonne heure
l’habitude de se prendre lui-même pour modèle,
et, sans parler des nombreuses eaux-fortes
dans lesquelles il s’est représenté, on ne
compte pas moins d’une cinquantaine de ses
propres portraits peints par lui. Si ceux qu’il
a dessinés d’après lui-même sont assez rares,
au contraire les personnes de sa famille ou
de son entourage proche se rencontrent fré-
quemment parmi ses croquis et ceux-ci nous
fournissent ainsi de précieux renseignements
sur la vie de l’artiste, sur ses relations intimes,
sur ses goûts et ses habitudes de travail. C’est
Saskia, sa jeune femme, que, dans le dessin
du Musée de Berlin dont nous avons parlé
plus haut, il nous montre coiffée d’un large
chapeau de paille, le visage gracieusement appuyé sur une de ses mains, tenant dans l’autre une
fleur, avec une expression rêveuse et charmante. Une autre fois (collection de l’Albertine) une
servante est occupée à la coiffer, et le dessin qu’il fait d’après elle lui suggère aussitôt l’idée
de la gravure connue sous le nom de la Grande Mariée juive (Bartsch, 340), pour laquelle
un autre dessin du Musée de Stockholm a servi d’esquisse.
Quand les enfants sont venus — sauf Titus, il devait malheureusement les perdre en bas
âge — Rembrandt ne manque pas de les dessiner dans toutes les positions. En voici un (Musée
de Stockholm) qui s’étire et se trémousse avec délices en face d’un feu qui flambe; un autre
(même collection) boit au sein de sa nourrice, serré, aplati contre elle; ou encore {id.\ repu et
gorgé, il se tient raide, emprisonné dans son maillot, avec l’air de béatitude digestive qui est
propre à cet âge. Peu après, ce sont les premiers pas et une bonne vieille, avec une lisière
passée sous les bras du marmot, encourage d’un sourire édenté ses tentatives; plus loin, se
prêtant à tous ses caprices, elle le laisse fourrager à pleines mains dans sa chevelure. Sur un
autre feuillet, un affreux bambin monté sur une marche, incertain de son équilibre, n’ose
descendre seul et, les yeux pleins de larmes, implore assistance. Enfin, la méchanceté croissant
avec les années, le Garçon récalcitrant, du Musée de Berlin, crie à pleins poumons, trépigne et
se débat tout hérissé, hors de lui, les mains crispées, pendant que sa mère, impuissante à le
Fac-similé d’un dessin de Rembrandt
appartenant au Musée de Stockholm.
L’ART.
naissons. Il ne s’agit plus alors de débattre une attribution qui s’impose d’elle-même ; il n’y a
qu’à admirer, à goûter dans une intime communication avec lui une des délectations les plus
hautes que l’art puisse offrir. C’est donc un rare bienfait que nous procure cette diffusion de son
œuvre par la photographie puisqu’elle nous associe à des jouissances autrefois presque inacces-
sibles. Au lieu d’aller chercher au loin de pareils trésors et après en avoir sollicité la trop courte
vue, de ne pouvoir en emporter qu’un souvenir fugitif, nous avons sous la main ces œuvres elles-
mêmes; à notre gré, il nous est permis de les manier, de les comparer, de les voir et de les
revoir et, en vivant ainsi dans un commerce assidu avec le maître, de recueillir ses confidences
et de pénétrer de plus en plus dans le secret de son génie.
II
Les dessins de Rembrandt peuvent être répartis en deux grandes séries : ses études
d’après nature ou d’après les maîtres et ses compositions. Ses études d’après nature témoignent
à la fois de la curiosité de son esprit et du
désir constant qu’il a de s’instruire en consul-
tant la réalité. Tout l’intéresse, tout lui sert
et il n’a pas à chercher bien loin des sujets
d’observation. Il a contracté de bonne heure
l’habitude de se prendre lui-même pour modèle,
et, sans parler des nombreuses eaux-fortes
dans lesquelles il s’est représenté, on ne
compte pas moins d’une cinquantaine de ses
propres portraits peints par lui. Si ceux qu’il
a dessinés d’après lui-même sont assez rares,
au contraire les personnes de sa famille ou
de son entourage proche se rencontrent fré-
quemment parmi ses croquis et ceux-ci nous
fournissent ainsi de précieux renseignements
sur la vie de l’artiste, sur ses relations intimes,
sur ses goûts et ses habitudes de travail. C’est
Saskia, sa jeune femme, que, dans le dessin
du Musée de Berlin dont nous avons parlé
plus haut, il nous montre coiffée d’un large
chapeau de paille, le visage gracieusement appuyé sur une de ses mains, tenant dans l’autre une
fleur, avec une expression rêveuse et charmante. Une autre fois (collection de l’Albertine) une
servante est occupée à la coiffer, et le dessin qu’il fait d’après elle lui suggère aussitôt l’idée
de la gravure connue sous le nom de la Grande Mariée juive (Bartsch, 340), pour laquelle
un autre dessin du Musée de Stockholm a servi d’esquisse.
Quand les enfants sont venus — sauf Titus, il devait malheureusement les perdre en bas
âge — Rembrandt ne manque pas de les dessiner dans toutes les positions. En voici un (Musée
de Stockholm) qui s’étire et se trémousse avec délices en face d’un feu qui flambe; un autre
(même collection) boit au sein de sa nourrice, serré, aplati contre elle; ou encore {id.\ repu et
gorgé, il se tient raide, emprisonné dans son maillot, avec l’air de béatitude digestive qui est
propre à cet âge. Peu après, ce sont les premiers pas et une bonne vieille, avec une lisière
passée sous les bras du marmot, encourage d’un sourire édenté ses tentatives; plus loin, se
prêtant à tous ses caprices, elle le laisse fourrager à pleines mains dans sa chevelure. Sur un
autre feuillet, un affreux bambin monté sur une marche, incertain de son équilibre, n’ose
descendre seul et, les yeux pleins de larmes, implore assistance. Enfin, la méchanceté croissant
avec les années, le Garçon récalcitrant, du Musée de Berlin, crie à pleins poumons, trépigne et
se débat tout hérissé, hors de lui, les mains crispées, pendant que sa mère, impuissante à le
Fac-similé d’un dessin de Rembrandt
appartenant au Musée de Stockholm.