LES DESSINS DE REMBRANDT.
quartier, aux environs du port et sur les quais d'Amsterdam. Mais avec les femmes les négocia-
tions étaient plus difficiles. Ce n’était pas l'usage alors de les faire poser et, au milieu de cette
société puritaine, les peintres qui essayaient de se procurer des modèles féminins se heurtaient à
des scrupules de pudeur dont ils avaient quelque peine à triompher. Celles qu’ils parvenaient à
décider n’étaient pas, en général, des types de beauté, ni de distinction. Il n’y paraît que trop
dans les études faites par Rembrandt et ces études sont aussi le plus souvent moins soignées; elles
attestent plus de hâte, les séances qui lui étaient accordées n’étant probablement pas longues.
Parmi ces modèles il en est d’horribles : le maître copie scrupuleusement leur laideur, sans rien
omettre des déformations que l’âge, les conditions de la vie ou les épreuves de la maternité ont
pu leur causer. Il ne transige pas sur ce point; ces études sont des études; aucun idéal ne
s’interpose entre la réalité et l’artiste, et il n'a pas d’autre prétention que de chercher le vrai.
Certaines de ces femmes sont effrayantes à voir et nous n’oserions jamais placer sous les yeux
de nos lecteurs cette maritorne au rire bestial, à la gorge pendante, être avachi et dégradé dont
Rembrandt, sans nous épargner aucun
des froncements de son cou ou de
son ventre, a tracé la hideuse et trop
véridique image. (Collection de
M. Heseltine.) Cette créature, qui
fort heureusement du moins n’a trouvé
place dans aucun de ses tableaux,
nous la retrouvons, hélas! avec son
visage hommasse et sa mine effrontée,
dans une eau-forte exécutée par lui
vers 1631 et qu’avec un sans-gêne qui
donne la mesure de son goût il a
décorée du nom de Diane, la gra-
cieuse et chaste déesse !
Sans atteindre à cette épouvan-
table laideur, la plupart de ces mo-
dèles féminins manquent absolument
de grâce. Leurs formes gagneraient à
être voilées; elles n’expliquent guère
en tout cas les convoitises des vieil-
lards qui les guettent, dans les com-
positions où sous le titre de Bethsabée
et de Suzanne ces créatures peu séduisantes ont trouvé place. On ne comprend que trop, en
les voyant, ce que peu de temps après la mort de Rembrandt, Andries Pels, un poète hollandais
élevé dans le goût de l’antiquité, disait de lui, dans son Poème sur le Théâtre (1681). « Lorsqu’il
devait peindre une femme nue, il ne choisissait pas pour modèle la Vénus grecque, mais une
blanchisseuse ou une grosse ouvrière dans une grange... Oui! des seins flasques, des mains
déformées, voire les plis du corsage autour des reins et ceux des jarretières sur les jambes,
il a tout copié! » Si plus d’une fois Rembrandt a donné raison à Pels, ce n’est pas du moins,
comme celui-ci le suppose, « par un parti pris d’hérésie... provenant d’une impuissance d’égaler
Titien, Van Dyck et Michel-Ange. » Il y a ici une double erreur. Rembrandt n’a pas de parti
pris et sur ce point, comme en tout, sa sincérité est entière. On ne saurait dire non plus qu’il
est impuissant à rendre la beauté et que c’est « pour avoir voulu quitter les voies tracées » qu’il
s’égare ainsi « d’une manière éclatante ». Lorsqu’il s’agit d’étude, Rembrandt n’a pas d’autre
programme que tous les grands maîtres et, comme eux, il tient à prendre son point d'appui dans
la nature. Quant à sa prétendue infirmité à comprendre la beauté, que de portraits de jeunes
femmes nous pourrions citer qui protestent éloquemment contre un pareil reproche ! La jeune
patricienne de Buckingham-Palace: Mme Daey, la Femme d’Utrecht et combien d’autres encore!
Tome XLIX. 8
quartier, aux environs du port et sur les quais d'Amsterdam. Mais avec les femmes les négocia-
tions étaient plus difficiles. Ce n’était pas l'usage alors de les faire poser et, au milieu de cette
société puritaine, les peintres qui essayaient de se procurer des modèles féminins se heurtaient à
des scrupules de pudeur dont ils avaient quelque peine à triompher. Celles qu’ils parvenaient à
décider n’étaient pas, en général, des types de beauté, ni de distinction. Il n’y paraît que trop
dans les études faites par Rembrandt et ces études sont aussi le plus souvent moins soignées; elles
attestent plus de hâte, les séances qui lui étaient accordées n’étant probablement pas longues.
Parmi ces modèles il en est d’horribles : le maître copie scrupuleusement leur laideur, sans rien
omettre des déformations que l’âge, les conditions de la vie ou les épreuves de la maternité ont
pu leur causer. Il ne transige pas sur ce point; ces études sont des études; aucun idéal ne
s’interpose entre la réalité et l’artiste, et il n'a pas d’autre prétention que de chercher le vrai.
Certaines de ces femmes sont effrayantes à voir et nous n’oserions jamais placer sous les yeux
de nos lecteurs cette maritorne au rire bestial, à la gorge pendante, être avachi et dégradé dont
Rembrandt, sans nous épargner aucun
des froncements de son cou ou de
son ventre, a tracé la hideuse et trop
véridique image. (Collection de
M. Heseltine.) Cette créature, qui
fort heureusement du moins n’a trouvé
place dans aucun de ses tableaux,
nous la retrouvons, hélas! avec son
visage hommasse et sa mine effrontée,
dans une eau-forte exécutée par lui
vers 1631 et qu’avec un sans-gêne qui
donne la mesure de son goût il a
décorée du nom de Diane, la gra-
cieuse et chaste déesse !
Sans atteindre à cette épouvan-
table laideur, la plupart de ces mo-
dèles féminins manquent absolument
de grâce. Leurs formes gagneraient à
être voilées; elles n’expliquent guère
en tout cas les convoitises des vieil-
lards qui les guettent, dans les com-
positions où sous le titre de Bethsabée
et de Suzanne ces créatures peu séduisantes ont trouvé place. On ne comprend que trop, en
les voyant, ce que peu de temps après la mort de Rembrandt, Andries Pels, un poète hollandais
élevé dans le goût de l’antiquité, disait de lui, dans son Poème sur le Théâtre (1681). « Lorsqu’il
devait peindre une femme nue, il ne choisissait pas pour modèle la Vénus grecque, mais une
blanchisseuse ou une grosse ouvrière dans une grange... Oui! des seins flasques, des mains
déformées, voire les plis du corsage autour des reins et ceux des jarretières sur les jambes,
il a tout copié! » Si plus d’une fois Rembrandt a donné raison à Pels, ce n’est pas du moins,
comme celui-ci le suppose, « par un parti pris d’hérésie... provenant d’une impuissance d’égaler
Titien, Van Dyck et Michel-Ange. » Il y a ici une double erreur. Rembrandt n’a pas de parti
pris et sur ce point, comme en tout, sa sincérité est entière. On ne saurait dire non plus qu’il
est impuissant à rendre la beauté et que c’est « pour avoir voulu quitter les voies tracées » qu’il
s’égare ainsi « d’une manière éclatante ». Lorsqu’il s’agit d’étude, Rembrandt n’a pas d’autre
programme que tous les grands maîtres et, comme eux, il tient à prendre son point d'appui dans
la nature. Quant à sa prétendue infirmité à comprendre la beauté, que de portraits de jeunes
femmes nous pourrions citer qui protestent éloquemment contre un pareil reproche ! La jeune
patricienne de Buckingham-Palace: Mme Daey, la Femme d’Utrecht et combien d’autres encore!
Tome XLIX. 8