PETER FLŒTNER.
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estampe attribuée à Léonard de Vinci, tant de fois reproduite, et dans laquelle on semble s’être
donné pour tâche de rivaliser avec ce que l'Orient a enfanté de plus original en fait de décora-
tion.
M. Reimers a donné un catalogue de l'œuvre de Peter Flœtner qui comprend un certain
nombre de dessins et surtout des gravures; de tels travaux sont de tous points utiles, car non
seulement ils font connaître ceux qui ont illustré ces livres toujours si curieux et souvent si
beaux de la Renaissance; ils ont encore un intérêt de plus, celui-là plus pratique : c’est, par des
reproductions si aisées et si bon marché aujourd’hui,
de prolonger jusqu'à notre époque l’influence salu-
taire que la diffusion de tels modèles a eue sur le
développement de l’art de la Renaissance, et nous
en avons bien besoin.
Je ne ferai pas l’injure à nos grands artistes
d'aujourd'hui de prétendre qu’ils ont moins de talent
qu’un Peter Flœtner ou que de très nombreux gra-
veurs de la Renaissance qui ont en quelque sorte
renoncé à toute personnalité en consacrant toute
leur vie à fournir des modèles aux artisans ; mais
ce que je leur reprocherai, ce qu’on leur reproche
du reste tous les jours, sans que cela paraisse
ébranler un instant leur calme olympien, c’est de ne
pas daigner un instant descendre des hauteurs où
ils sont juchés pour nous faire la charité de quelques
croquis dont nos ferronniers, nos ciseleurs, nos
orfèvres et mille autres métiers au besoin pourraient
profiter. S’abaisser jusqu’à donner le modèle d’une
écritoire ou d'une aiguière, d’un pot à eau ou d’une
pendule! Fi, quelle honte! Nous prend-on pour des
industriels chargés de fournir les bazars ?
Prenez-vous pour ce que vous voudrez, cela
m’est parfaitement égal ; mais, quant à moi, je vous
tiens pour une collection de gens qui méconnaissent
absolument leurs véritables intérêts. La Renaissance
a tout autant vécu grâce à ses plus modestes pro-
ductions que par ses grands morceaux de sculpture
ou de peinture; on ne trouve pas tous les jours un
Michel-Ange, un Léonard de Vinci ou un Titien,
et il n’en est pas parmi vous ; mais on trouve plus
facilement l’étoffe d’un Cellini, et il y en a beaucoup
à l'heure qu’il est qui valent le Florentin. Alors,
serait-il très indiscret de vous demander de faire,
de temps en temps, à nos industries d’art l’aumône
1 1 Modèle de vase a boire,
de quelques bribes de votre imagination? gravé par Peter Flœtner.
Il est aujourd'hui assurément des artistes aux-
quels on demande de temps à autre des modèles et qui les exécutent de bonne grâce, sans se
trop faire prier; mais ce n'est point de la sorte que, selon mon humble avis, l’art peut exercer
une influence bien salutaire sur notre industrie. Je rêverais un journal hebdomadaire ou mensuel,
la chose importe peu, qui ne serait vendu que quelques sous et qui ne coûterait rien à faire. On
y publierait des séries de dessins et de croquis que voudraient bien fournir gratis en commen-
çant — plusTtard je crois qu’on pourrait largement les payer — nos peintres et nos sculpteurs.
Il serait bien entendu que les dessins, une fois publiés, seraient absolument dans le domaine
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estampe attribuée à Léonard de Vinci, tant de fois reproduite, et dans laquelle on semble s’être
donné pour tâche de rivaliser avec ce que l'Orient a enfanté de plus original en fait de décora-
tion.
M. Reimers a donné un catalogue de l'œuvre de Peter Flœtner qui comprend un certain
nombre de dessins et surtout des gravures; de tels travaux sont de tous points utiles, car non
seulement ils font connaître ceux qui ont illustré ces livres toujours si curieux et souvent si
beaux de la Renaissance; ils ont encore un intérêt de plus, celui-là plus pratique : c’est, par des
reproductions si aisées et si bon marché aujourd’hui,
de prolonger jusqu'à notre époque l’influence salu-
taire que la diffusion de tels modèles a eue sur le
développement de l’art de la Renaissance, et nous
en avons bien besoin.
Je ne ferai pas l’injure à nos grands artistes
d'aujourd'hui de prétendre qu’ils ont moins de talent
qu’un Peter Flœtner ou que de très nombreux gra-
veurs de la Renaissance qui ont en quelque sorte
renoncé à toute personnalité en consacrant toute
leur vie à fournir des modèles aux artisans ; mais
ce que je leur reprocherai, ce qu’on leur reproche
du reste tous les jours, sans que cela paraisse
ébranler un instant leur calme olympien, c’est de ne
pas daigner un instant descendre des hauteurs où
ils sont juchés pour nous faire la charité de quelques
croquis dont nos ferronniers, nos ciseleurs, nos
orfèvres et mille autres métiers au besoin pourraient
profiter. S’abaisser jusqu’à donner le modèle d’une
écritoire ou d'une aiguière, d’un pot à eau ou d’une
pendule! Fi, quelle honte! Nous prend-on pour des
industriels chargés de fournir les bazars ?
Prenez-vous pour ce que vous voudrez, cela
m’est parfaitement égal ; mais, quant à moi, je vous
tiens pour une collection de gens qui méconnaissent
absolument leurs véritables intérêts. La Renaissance
a tout autant vécu grâce à ses plus modestes pro-
ductions que par ses grands morceaux de sculpture
ou de peinture; on ne trouve pas tous les jours un
Michel-Ange, un Léonard de Vinci ou un Titien,
et il n’en est pas parmi vous ; mais on trouve plus
facilement l’étoffe d’un Cellini, et il y en a beaucoup
à l'heure qu’il est qui valent le Florentin. Alors,
serait-il très indiscret de vous demander de faire,
de temps en temps, à nos industries d’art l’aumône
1 1 Modèle de vase a boire,
de quelques bribes de votre imagination? gravé par Peter Flœtner.
Il est aujourd'hui assurément des artistes aux-
quels on demande de temps à autre des modèles et qui les exécutent de bonne grâce, sans se
trop faire prier; mais ce n'est point de la sorte que, selon mon humble avis, l’art peut exercer
une influence bien salutaire sur notre industrie. Je rêverais un journal hebdomadaire ou mensuel,
la chose importe peu, qui ne serait vendu que quelques sous et qui ne coûterait rien à faire. On
y publierait des séries de dessins et de croquis que voudraient bien fournir gratis en commen-
çant — plusTtard je crois qu’on pourrait largement les payer — nos peintres et nos sculpteurs.
Il serait bien entendu que les dessins, une fois publiés, seraient absolument dans le domaine