LE DOME D'ORVIETO.
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de décoration dont on l'a surchargée. Les statues des apôtres, adossées aux colonnes, y font, je
l’ai dit, un piteux effet, car elles ne réduisent pas seulement l'ampleur de la nef, elles en raccour-
cissent le plan vertical. Une de ces statues, celle de saint Mathieu, est de Jean Bologne; saints
Pierre et Paul ont été sculptés par François Cioli, dit le Moschino; saint André, commencé par
Fabio Toti, a été achevé par Ippolito Scalza, qui a aussi sculpté saint Jean et saint Thomas.
Saint Jacques le Mineur et saint Simon appartiennent à Bernardin Cametti, saint Philippe et
saint Thaddée à François Mochi, saint Jacques le Majeur à Caccini et saint Barthélemy à
Ippolito Buzio.
On chercherait en vain à reconnaître, dans le saint Mathieu de Jean Bologne, le sculpteur qui
avait disputé à Bandinelli l’honneur de modeler les deux géants octroyés, en dernier lieu, au
contempteur de Michel-Ange, et qui avait si supérieurement incarné, dans les trois seules
figures qui composent Y Enlèvement des Scibines,
les éléments essentiels du drame romain. Le
Sabin atterré par le ravisseur, et plutôt décon-
certé par la violence inattendue de la trahison
que vaincu par la terreur, le Romain portant
dans ses bras le trophée vivant, et ce trophée,
incarné en une femme qui se désole et se défend
encore pendant que son nouveau maître l'enve-
loppe déjà d'un regard qui exprime la joie de
la possession, voilà ce qu’il a fallu au sculpteur
français conduit, comme Jacques Callot, à Flo-
rence, par le hasard du vagabondage artistique,
pour produire un chef-d’œuvre qui n’a jamais
fait mauvaise figure à côté du Pensée de Cellini,
de la Judith de Donatello, et du David de
Michel-Ange. La figure de saint Mathieu est
une œuvre tout à fait secondaire et je soup-
çonne fort son prétendu auteur d’en avoir confié
entièrement l'exécution à quelqu’un de ses élèves,
comme c’était assez l'habitude alors pour cer-
taines commandes dont l’importance ne laissait
pas .entrevoir à l’artiste la possibilité de faire
étalage de son savoir. Jean Bologne savait peut-
être que cette statue avait une destination pure-
ment décorative et l’a laissé traiter par une
main moins experte que la sienne. Quoiqu’il
figure, dans les livres de comptabilité, comme
officiellement chargé de l’exécution du saint Mathieu, et qu’il en ait personnellement encaissé le
montant, ce marbre est signé d’un autre nom que le sien, c’est-à-dire du nom de Francheville,
son élève, autre sculpteur français, à qui l’on a longtemps donné, à tort, le buste de Jean
Bologne qui est au Louvre. Cette manière d’agir était assez dans les mœurs du temps, et je
parlerai plus loin des démêlés qui se sont élevés entre les fabriciens et le Pinturicchio, qui faisait
peindre par ses élèves les fresques dont il avait personnellement accepté la commande.
Si, plus que la valeur réelle des œuvres, on considère leur intérêt décoratif, on doit reconnaître
qu'il y a une grande richesse de marbres, dans cette église, et que la commune d'Orvieto, qui
voulait faire de sa cathédrale une des plus belles églises de l’univers, n’a rien épargné pour
réaliser ce pompeux programme.
Le bénitier qui se dresse au milieu de la nef, en entrant, est de Luca di Giovanni, maître
du célèbre Jacopo délia Fonte. Trois aigles aux ailes déployées portent le bassin au milieu duquel
se dresse saint Jean-Baptiste. Le support, établi sur un piédestal triangulaire enrichi de guir-
Bénitier du Dôme d’Orvieto.
Dessin de Charles E. Wilson, d’après Luca di Giovanni.
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de décoration dont on l'a surchargée. Les statues des apôtres, adossées aux colonnes, y font, je
l’ai dit, un piteux effet, car elles ne réduisent pas seulement l'ampleur de la nef, elles en raccour-
cissent le plan vertical. Une de ces statues, celle de saint Mathieu, est de Jean Bologne; saints
Pierre et Paul ont été sculptés par François Cioli, dit le Moschino; saint André, commencé par
Fabio Toti, a été achevé par Ippolito Scalza, qui a aussi sculpté saint Jean et saint Thomas.
Saint Jacques le Mineur et saint Simon appartiennent à Bernardin Cametti, saint Philippe et
saint Thaddée à François Mochi, saint Jacques le Majeur à Caccini et saint Barthélemy à
Ippolito Buzio.
On chercherait en vain à reconnaître, dans le saint Mathieu de Jean Bologne, le sculpteur qui
avait disputé à Bandinelli l’honneur de modeler les deux géants octroyés, en dernier lieu, au
contempteur de Michel-Ange, et qui avait si supérieurement incarné, dans les trois seules
figures qui composent Y Enlèvement des Scibines,
les éléments essentiels du drame romain. Le
Sabin atterré par le ravisseur, et plutôt décon-
certé par la violence inattendue de la trahison
que vaincu par la terreur, le Romain portant
dans ses bras le trophée vivant, et ce trophée,
incarné en une femme qui se désole et se défend
encore pendant que son nouveau maître l'enve-
loppe déjà d'un regard qui exprime la joie de
la possession, voilà ce qu’il a fallu au sculpteur
français conduit, comme Jacques Callot, à Flo-
rence, par le hasard du vagabondage artistique,
pour produire un chef-d’œuvre qui n’a jamais
fait mauvaise figure à côté du Pensée de Cellini,
de la Judith de Donatello, et du David de
Michel-Ange. La figure de saint Mathieu est
une œuvre tout à fait secondaire et je soup-
çonne fort son prétendu auteur d’en avoir confié
entièrement l'exécution à quelqu’un de ses élèves,
comme c’était assez l'habitude alors pour cer-
taines commandes dont l’importance ne laissait
pas .entrevoir à l’artiste la possibilité de faire
étalage de son savoir. Jean Bologne savait peut-
être que cette statue avait une destination pure-
ment décorative et l’a laissé traiter par une
main moins experte que la sienne. Quoiqu’il
figure, dans les livres de comptabilité, comme
officiellement chargé de l’exécution du saint Mathieu, et qu’il en ait personnellement encaissé le
montant, ce marbre est signé d’un autre nom que le sien, c’est-à-dire du nom de Francheville,
son élève, autre sculpteur français, à qui l’on a longtemps donné, à tort, le buste de Jean
Bologne qui est au Louvre. Cette manière d’agir était assez dans les mœurs du temps, et je
parlerai plus loin des démêlés qui se sont élevés entre les fabriciens et le Pinturicchio, qui faisait
peindre par ses élèves les fresques dont il avait personnellement accepté la commande.
Si, plus que la valeur réelle des œuvres, on considère leur intérêt décoratif, on doit reconnaître
qu'il y a une grande richesse de marbres, dans cette église, et que la commune d'Orvieto, qui
voulait faire de sa cathédrale une des plus belles églises de l’univers, n’a rien épargné pour
réaliser ce pompeux programme.
Le bénitier qui se dresse au milieu de la nef, en entrant, est de Luca di Giovanni, maître
du célèbre Jacopo délia Fonte. Trois aigles aux ailes déployées portent le bassin au milieu duquel
se dresse saint Jean-Baptiste. Le support, établi sur un piédestal triangulaire enrichi de guir-
Bénitier du Dôme d’Orvieto.
Dessin de Charles E. Wilson, d’après Luca di Giovanni.