LE DOME D’ORVIETO.
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Pinturicchio, de son vrai nom Bernardino de Pérouse, fut un des plus heureux élèves du
Pérugin. Ce n’était pas un peintre de talent, mais son adresse et sa finesse lui ont tenu lieu de
génie. Il était parvenu à être, dans sa première jeunesse, presque aussi célèbre et aussi recherché
que son maître, quoique ses capacités et surtout sa probité fussent au-dessous des mérites du
chef de l’école de l'Ombrie. Il voyait avant tout le côté pratique et lucratif de l’art, et il visait
à avoir beaucoup de commandes et à encaisser de grosses recettes. Afin de réaliser ce pro-
gramme, Pinturicchio avait groupé autour de lui une cohorte d’élèves médiocres du Pérugin et
recruté tous les fruits secs des ateliers en vogue. Aidé de cette tourbe de rapins, il acceptait
toutes les besognes qui s’offraient à lui et s’en tirait comme il pouvait. Rien n’empêche qu’à un
moment donné Raphaël ne se fût laissé englober dans cette sorte de commandite. Ce qui est
certain, c’est qu'à la Bibliothèque du Dôme de Sienne, érigée par Pie II Piccolomini, Pinturic-
Predication de l’Antéchrist.
Fresque de Luca Signorelli. (Dôme d’Orvieto.) — Dessin de Charles E. Wilson.
chio travailla sur les cartons de Raphaël, dans lesquels étaient représentés les fastes de ce pontife
lettré et bon vivant, connu dans le monde des lettres sous le pseudonyme d’Æneas Sylvius. C’est
dans cette même Bibliothèque que furent placées les Trois Grâces dont la vue détermina une
première évolution dans le style de Raphaël. Fort heureusement pour ce dernier, sa collaboration
avec Pinturicchio n’alla pas au delà de cet essai. Pinturicchio, lui, continua son système de
peinture à forfait et ne s’en trouva pas mal pendant longtemps. Alexandre VI le garda à son
service durant plusieurs années. Il savait du reste captiver la faveur des puissants par la fertilité
et l’ingéniosité de ses inventions, sinon par la maestria du pinceau. Au Vatican, ne s’est-il pas
avisé de représenter Julie Farnèse sous les traits de la Vierge, avec la figure d'Alexandre VI en
adoration devant elle? C’est sans doute la seule fois qu’un Borgia ait été vu en paradis.
On ne peut pas dire de Pinturicchio qu’il soit mort comme il a vécu. Lui qui, vraisembla-
blement, avait toujours passé sa vie gaiement, a trouvé moyen de mourir de chagrin. Vers
l’année 1513, il se trouvait de nouveau à Sienne. Les moines franciscains l’avaient chargé de
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Pinturicchio, de son vrai nom Bernardino de Pérouse, fut un des plus heureux élèves du
Pérugin. Ce n’était pas un peintre de talent, mais son adresse et sa finesse lui ont tenu lieu de
génie. Il était parvenu à être, dans sa première jeunesse, presque aussi célèbre et aussi recherché
que son maître, quoique ses capacités et surtout sa probité fussent au-dessous des mérites du
chef de l’école de l'Ombrie. Il voyait avant tout le côté pratique et lucratif de l’art, et il visait
à avoir beaucoup de commandes et à encaisser de grosses recettes. Afin de réaliser ce pro-
gramme, Pinturicchio avait groupé autour de lui une cohorte d’élèves médiocres du Pérugin et
recruté tous les fruits secs des ateliers en vogue. Aidé de cette tourbe de rapins, il acceptait
toutes les besognes qui s’offraient à lui et s’en tirait comme il pouvait. Rien n’empêche qu’à un
moment donné Raphaël ne se fût laissé englober dans cette sorte de commandite. Ce qui est
certain, c’est qu'à la Bibliothèque du Dôme de Sienne, érigée par Pie II Piccolomini, Pinturic-
Predication de l’Antéchrist.
Fresque de Luca Signorelli. (Dôme d’Orvieto.) — Dessin de Charles E. Wilson.
chio travailla sur les cartons de Raphaël, dans lesquels étaient représentés les fastes de ce pontife
lettré et bon vivant, connu dans le monde des lettres sous le pseudonyme d’Æneas Sylvius. C’est
dans cette même Bibliothèque que furent placées les Trois Grâces dont la vue détermina une
première évolution dans le style de Raphaël. Fort heureusement pour ce dernier, sa collaboration
avec Pinturicchio n’alla pas au delà de cet essai. Pinturicchio, lui, continua son système de
peinture à forfait et ne s’en trouva pas mal pendant longtemps. Alexandre VI le garda à son
service durant plusieurs années. Il savait du reste captiver la faveur des puissants par la fertilité
et l’ingéniosité de ses inventions, sinon par la maestria du pinceau. Au Vatican, ne s’est-il pas
avisé de représenter Julie Farnèse sous les traits de la Vierge, avec la figure d'Alexandre VI en
adoration devant elle? C’est sans doute la seule fois qu’un Borgia ait été vu en paradis.
On ne peut pas dire de Pinturicchio qu’il soit mort comme il a vécu. Lui qui, vraisembla-
blement, avait toujours passé sa vie gaiement, a trouvé moyen de mourir de chagrin. Vers
l’année 1513, il se trouvait de nouveau à Sienne. Les moines franciscains l’avaient chargé de