NOTRE BIBLIOTHÈQUE.
Charles VI (i 38o) parlent de « touailles en paneterie » dans lesquelles
on enveloppait le pain, et de « touailles contenant chascune n aulnes
de l’euvre de Rains, pour servir le fruit le Roy ». Les touailles étaient
également usitées pour faire les pansements. Un Mandement de
Charles V, daté de 136g, ordonne de payer à Guillemette la Pomme,
24 livres « pour une douzaine de touailles de Rains, apportée au
boys de Vincennes, et demi-douzaine de touailles pour les malades ».
Et nous lisons dans les Mémoires relatifs à la pucelle d’Orléans
(du 21 octobre 1428) que, durant le siège de cette dernière ville, les
femmes d’Orléans, « pour les combattants rafraischir du grand
travail qu’ils souffroient, leur bailloient vin, viandes, fruicts, vinaigre
et touailles blanches ». On s’en servait même comme de linceul.
Froissart, en ses Chroniques (t. XII, p. 385), racontant les funérailles
de Gaston de Foix, écrit (13g 1 ) : « Et fut, le jour de l’obsèque après
la messe ditte, le comte de
Foix ôté du chercus (cercueil)
de plomb et enveloppé le
corps en belle touaille neuve
cirée, et enseveli en l’église
des cordeliers devant le grand
autel du chœur. » Enfin, on
s’en couvrait la tête, soit à
la guerre, pour se préserver
des coups, comme on le voit
dans les Mémoires de Join-
ville : « Monseigneur Jehan
lui donna de s'espée sur une
touaille, dont il avoit sa teste
entortillée »; et notre auteur
ajoute que l’on se coiffait
ainsi de touailles, dans les
combats, « pour ce qu’elles
reçoivent un grand coup d’es-
pée » (Ibid., p. 55); soit dans
les voyages pour se garantir
du froid, comme cette « bé-
guine » de la reine, qui jeta
imprudemment « sa touaille
de quoy elle avoit sa teste
entorteillée » sur une chan-
delle qui « ardi tant que le
feu se prist en la touaille et
de la touaille, au lit où la
reine étoit couchée ». (Mém.
de Joinville, variantes, dans
Mém. relat. à l’hist. de
France, t. II, p. 342). A cette
époque, c’était, au demeu-
rant, une habitude, une mode
chez les femmes de porter
des touailles sur leurs têtes.
Le Dit du mercier, remontant
au xiv° siècle, le donne clai-
rement à entendre. (Voir
Toaille.) Rien, au surplus,
ne prouve mieux la diversité
des services que l’on exigeait
des touailles, que la variété
de leurs dimensions. Nous
relevons, en effet, dans les
Comptes de l’hôtel d’isabeau
de Bavière (1401) un paye-
ment de i3 livres 10 sols
10 deniers, à « Colin Marc,
pour vm“ii aulnes et demie
de touailles dudit ouvrage,
dont l’en a fait mi " touailles,
c’est assavoir vm touailles
contenant chascune v aulnes,
x touailles contenant chas-
cune mi aulnes, vu touailles
chascune de trois aulnes,
douze touailles chascune de
aulne et demie, xlii touailles
chascune d’une aulne, et une autre d’aune et demie, qui font en
sommes vmmi aulnes et demie, achetées de lui par les dessusdiz, [à]
xx deniers l’aune ». A cette variété de tailles, il faut ajouter celle
des tissus. Quelques-unes étaient faites d’étoffes magnifiques, déco-
rées avec un luxe rare. Nous citerons notamment : « Une touaille,
à apoustres et à arbres de soye. » (Invent. de Clémence de Hongrie,
1528.) « Une grant pièce de touaille de fil, royées au long de royes
de soye. — Item, une petite touaille de soye, roye'e au long de blanc
et de noir. — Item, une autre touaille de soye blanche, et a en
chascun bout troys larges royes toutes d’or, semées de rozes
blanches, etc. » (Invent. de Charles V, i38o.) « A Andrieu de Rives,
Cathalan, pour touailles de mores qu’il a vendues au roy... -—-
A Spinolle, pour achater des touailles morisques, pour le Roy, etc. »
(Comptes du roi René, à l’année 1447, P- 2g3 et 294.) Ces touailles
luxueuxes étaient employées soit à garnir des lectrins, comme nous
avons vu plus haut, soit à étendre sur des coussins ou oreillers.
Tome XLIX.
Enfin, on s’en servait encore comme parement d’autel, c’est ce qui
explique comment on en rencontre dans l'Inventaire d’un certain
nombre de chapelles. Nous citerons, comme exemple de cette appli-
cation, qui sort du domaine de nos études, les deux textes suivants :
« Ledit testateur voult et ordonne que toutes les nappes et touailles
neufves qui seront honnestes pour servir à l’Église, lesquelles sont
en ung petit coffre long, estant en la garde-robe, darrières le lit de
la chambre où il gist en son hostel à Paris, soient baillées aux mar-
regliers (marguilliers) de Coifly... » (Testament de Jean de Coiffy,
notaire et secrétaire du roi, chanoine de Reims ; Paris, 27 janvier
1404.) « Pour laquelle messe fondera soizante livres parisis amortiz,
pour le vivre d’un chappellain que le duc et ses hoirs y ordonneront
à leur bon plaisir et voulente', et garnira ledit Roy ladite chappelle
de galices, livres, casubles, nappes, touailles et tous autres aourne-
ments qu’à ladite chappelle
appartiennent. » (Institution
à Montereau d’une chapelle
expiatoire du meurtre de
Jean sans Peur. — Chronique
de Charles VII, par Jean
Chartier, à l’année 1435, t. I01',
p. 195.) Etc.
Ces touailles, réservées
pour les cérémonies du culte,
prirent, par la suite, le nom
de Tavayoles. (Voir ce mot.)
Quant aux touailles à essuyer
les mains, elles continuent
de se rencontrer dans les In-
ventaires jusqu’au commen-
cement du xvn° siècle. C’est
ainsi que dans l’Inventaire de
Catherine de Rohan (1497)
nous relevons : « Douze
touailles plaines » (c’est-à-dire
unies). De même dans l'In-
ventaire de messire de Bonif-
face (Marseille, 15g5), on
note : « Quatre grands toailles
faictes à l’ouvraige de la pe-
tite Venize. —■ Deux grands
toailles faictes à ouvraige de
Venize. » H Inventaire de
Jullienne André (paroisse de
Miniac, i6o5) nous fournit :
« Une grande touaille de lin,
tenant de longe environ
quatre verges, prisée trante
et seix solz tournois. — Une
aultre toile de lin, tenant
trois verges et demie, prisée
trante et seix solz tournois. »
Enfin, nous trouvons encore
dans l’Inventaire de Pierre
Chabrier (greffe de Saint-Malo,
1642) : « Deux touailles... de
thoille de chanvre. » Etc.
C’est la plus récente men-
tion de ce genre que nous
ayons relevée; et si l’on veut
bien remarquer que ces deux
dernières citations appartien-
nent à une province éloignée
et retardataire, on s’expli-
quera que Furetière (1688)
ait imparfaitement connu la
signification de ce mot et que
Richelet (1693) l’ait omis
dans son Dictionnaire.
À R M 0 î R E À DEUX CORPS,
décorée de sujets en vernis Martin. (Gravure extraite de : Dictionnaire de l’Ameublement
et de la Décoration.)
Son tempérament
d’artiste imposait à l’au-
teur le devoir de com-
menter son texte de dessins aussi heureusement choisis
que ses citations érudites. C’est d’abord une Femme ayant
une touaille autour de la tête, d’après une gravure d’Albert
Durer; puis, une Touaille en toile de fil, brodée au cor-
donnet de soie rouge, travail exquis du xvie siècle ; l’enca-
drement d’entrelacs de l’effet le plus séduisant est un
modèle accompli que de jolies mains s’attacheront certai-
nement à imiter. Des bonnes fortunes de ce genre se ren-
contrent par centaines dans le Dictionnaire de VAmeuble-
ment et de la Décoration. Tous les documents à l’appui
réunis par M. Havard témoignent du goût le plus pur.
Paul Leroi.
(A suivre.)
Charles VI (i 38o) parlent de « touailles en paneterie » dans lesquelles
on enveloppait le pain, et de « touailles contenant chascune n aulnes
de l’euvre de Rains, pour servir le fruit le Roy ». Les touailles étaient
également usitées pour faire les pansements. Un Mandement de
Charles V, daté de 136g, ordonne de payer à Guillemette la Pomme,
24 livres « pour une douzaine de touailles de Rains, apportée au
boys de Vincennes, et demi-douzaine de touailles pour les malades ».
Et nous lisons dans les Mémoires relatifs à la pucelle d’Orléans
(du 21 octobre 1428) que, durant le siège de cette dernière ville, les
femmes d’Orléans, « pour les combattants rafraischir du grand
travail qu’ils souffroient, leur bailloient vin, viandes, fruicts, vinaigre
et touailles blanches ». On s’en servait même comme de linceul.
Froissart, en ses Chroniques (t. XII, p. 385), racontant les funérailles
de Gaston de Foix, écrit (13g 1 ) : « Et fut, le jour de l’obsèque après
la messe ditte, le comte de
Foix ôté du chercus (cercueil)
de plomb et enveloppé le
corps en belle touaille neuve
cirée, et enseveli en l’église
des cordeliers devant le grand
autel du chœur. » Enfin, on
s’en couvrait la tête, soit à
la guerre, pour se préserver
des coups, comme on le voit
dans les Mémoires de Join-
ville : « Monseigneur Jehan
lui donna de s'espée sur une
touaille, dont il avoit sa teste
entortillée »; et notre auteur
ajoute que l’on se coiffait
ainsi de touailles, dans les
combats, « pour ce qu’elles
reçoivent un grand coup d’es-
pée » (Ibid., p. 55); soit dans
les voyages pour se garantir
du froid, comme cette « bé-
guine » de la reine, qui jeta
imprudemment « sa touaille
de quoy elle avoit sa teste
entorteillée » sur une chan-
delle qui « ardi tant que le
feu se prist en la touaille et
de la touaille, au lit où la
reine étoit couchée ». (Mém.
de Joinville, variantes, dans
Mém. relat. à l’hist. de
France, t. II, p. 342). A cette
époque, c’était, au demeu-
rant, une habitude, une mode
chez les femmes de porter
des touailles sur leurs têtes.
Le Dit du mercier, remontant
au xiv° siècle, le donne clai-
rement à entendre. (Voir
Toaille.) Rien, au surplus,
ne prouve mieux la diversité
des services que l’on exigeait
des touailles, que la variété
de leurs dimensions. Nous
relevons, en effet, dans les
Comptes de l’hôtel d’isabeau
de Bavière (1401) un paye-
ment de i3 livres 10 sols
10 deniers, à « Colin Marc,
pour vm“ii aulnes et demie
de touailles dudit ouvrage,
dont l’en a fait mi " touailles,
c’est assavoir vm touailles
contenant chascune v aulnes,
x touailles contenant chas-
cune mi aulnes, vu touailles
chascune de trois aulnes,
douze touailles chascune de
aulne et demie, xlii touailles
chascune d’une aulne, et une autre d’aune et demie, qui font en
sommes vmmi aulnes et demie, achetées de lui par les dessusdiz, [à]
xx deniers l’aune ». A cette variété de tailles, il faut ajouter celle
des tissus. Quelques-unes étaient faites d’étoffes magnifiques, déco-
rées avec un luxe rare. Nous citerons notamment : « Une touaille,
à apoustres et à arbres de soye. » (Invent. de Clémence de Hongrie,
1528.) « Une grant pièce de touaille de fil, royées au long de royes
de soye. — Item, une petite touaille de soye, roye'e au long de blanc
et de noir. — Item, une autre touaille de soye blanche, et a en
chascun bout troys larges royes toutes d’or, semées de rozes
blanches, etc. » (Invent. de Charles V, i38o.) « A Andrieu de Rives,
Cathalan, pour touailles de mores qu’il a vendues au roy... -—-
A Spinolle, pour achater des touailles morisques, pour le Roy, etc. »
(Comptes du roi René, à l’année 1447, P- 2g3 et 294.) Ces touailles
luxueuxes étaient employées soit à garnir des lectrins, comme nous
avons vu plus haut, soit à étendre sur des coussins ou oreillers.
Tome XLIX.
Enfin, on s’en servait encore comme parement d’autel, c’est ce qui
explique comment on en rencontre dans l'Inventaire d’un certain
nombre de chapelles. Nous citerons, comme exemple de cette appli-
cation, qui sort du domaine de nos études, les deux textes suivants :
« Ledit testateur voult et ordonne que toutes les nappes et touailles
neufves qui seront honnestes pour servir à l’Église, lesquelles sont
en ung petit coffre long, estant en la garde-robe, darrières le lit de
la chambre où il gist en son hostel à Paris, soient baillées aux mar-
regliers (marguilliers) de Coifly... » (Testament de Jean de Coiffy,
notaire et secrétaire du roi, chanoine de Reims ; Paris, 27 janvier
1404.) « Pour laquelle messe fondera soizante livres parisis amortiz,
pour le vivre d’un chappellain que le duc et ses hoirs y ordonneront
à leur bon plaisir et voulente', et garnira ledit Roy ladite chappelle
de galices, livres, casubles, nappes, touailles et tous autres aourne-
ments qu’à ladite chappelle
appartiennent. » (Institution
à Montereau d’une chapelle
expiatoire du meurtre de
Jean sans Peur. — Chronique
de Charles VII, par Jean
Chartier, à l’année 1435, t. I01',
p. 195.) Etc.
Ces touailles, réservées
pour les cérémonies du culte,
prirent, par la suite, le nom
de Tavayoles. (Voir ce mot.)
Quant aux touailles à essuyer
les mains, elles continuent
de se rencontrer dans les In-
ventaires jusqu’au commen-
cement du xvn° siècle. C’est
ainsi que dans l’Inventaire de
Catherine de Rohan (1497)
nous relevons : « Douze
touailles plaines » (c’est-à-dire
unies). De même dans l'In-
ventaire de messire de Bonif-
face (Marseille, 15g5), on
note : « Quatre grands toailles
faictes à l’ouvraige de la pe-
tite Venize. —■ Deux grands
toailles faictes à ouvraige de
Venize. » H Inventaire de
Jullienne André (paroisse de
Miniac, i6o5) nous fournit :
« Une grande touaille de lin,
tenant de longe environ
quatre verges, prisée trante
et seix solz tournois. — Une
aultre toile de lin, tenant
trois verges et demie, prisée
trante et seix solz tournois. »
Enfin, nous trouvons encore
dans l’Inventaire de Pierre
Chabrier (greffe de Saint-Malo,
1642) : « Deux touailles... de
thoille de chanvre. » Etc.
C’est la plus récente men-
tion de ce genre que nous
ayons relevée; et si l’on veut
bien remarquer que ces deux
dernières citations appartien-
nent à une province éloignée
et retardataire, on s’expli-
quera que Furetière (1688)
ait imparfaitement connu la
signification de ce mot et que
Richelet (1693) l’ait omis
dans son Dictionnaire.
À R M 0 î R E À DEUX CORPS,
décorée de sujets en vernis Martin. (Gravure extraite de : Dictionnaire de l’Ameublement
et de la Décoration.)
Son tempérament
d’artiste imposait à l’au-
teur le devoir de com-
menter son texte de dessins aussi heureusement choisis
que ses citations érudites. C’est d’abord une Femme ayant
une touaille autour de la tête, d’après une gravure d’Albert
Durer; puis, une Touaille en toile de fil, brodée au cor-
donnet de soie rouge, travail exquis du xvie siècle ; l’enca-
drement d’entrelacs de l’effet le plus séduisant est un
modèle accompli que de jolies mains s’attacheront certai-
nement à imiter. Des bonnes fortunes de ce genre se ren-
contrent par centaines dans le Dictionnaire de VAmeuble-
ment et de la Décoration. Tous les documents à l’appui
réunis par M. Havard témoignent du goût le plus pur.
Paul Leroi.
(A suivre.)