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L’ART.
DL1V
Bibliothèque Internationale de l’Art, publiée sous la
direction de M. Eugène Muntz.
Les Correspondants de Michel-Ange. I. Sehastiano
del Piombo. Texte italien publié pour la première fois
par le Commandeur Gaetano Milanesi, surintendant
des Archives de Florence, avec traduction française par
le docteur A. Le Pileur et Introduction par Eugène
Müntz. In-40 de xn-119 pages, illustré.
Tapisseries, Broderies et Dentelles, Recueil de Mo-
dèles anciens et modernes, précédé d’une Introduction
par Eugène Muntz, Conservateur du Musée, de la
Bibliothèque et des Archives de l’Ecole Nationale des
Beaux-Arts. Ouvrage
enrichi de i5o gravures.
In-40 de 4a pages de
texte et xcvi pages de
gravures hors texte.
Paris, Librairie de
l’Art, L. Allison et Cie,
29, Cité d’Antin, 1890.
Le premier des deux
importants volumes dont
vient de s’enrichir la pré-
cieuse Bibliothèque Inter-
nationale de!Art s’adresse
plus spécialement aux éru-
dits, aux historiens de
l'art, aux artistes qui pro-
fessent le culte de leurs
glorieux ancêtres. Il fait
suite naturelle auxLettere
di Michel Angelo, que
l’illustre érudit florentin,
M. Gaetano Milanesi, ce
puits de science, publia,
en 1875, à l’occasion des
fêtes organisées à Florence
en l'honneur du
Buonarroti
de la rapide mais très in-
téressante Introduction de
M. Eugène Müntz, vous
grand
Un fragment
Portrait de Seba
d’après Vasari. (Gravure extraite de
fixera sur l’extrême importance de cette publication :
La correspondance s’ouvre par une lettre e'crite le 28 jan-
vier iSeo, c’est-à-dire au moment même où la lutte entre Sébastien
et Raphaël était arrivée à son paroxysme. L’artiste vénitien nous
apprend que l’expert chargé de fixer le prix de la Résurrection de
Lazare n’était autre que Balthazar Peruzzi, et qu’il évalua le tableau
à la somme énorme de 85o ducats d’or (40 à 5o,ooo francs de notre
monnaie) ; chaque figure de grande dimension comptant dans cette
évaluation pour ib ducats, les petites et le paysage pour 100 ducats
ensemble. Une contre-expertise devant être faite par Michel-Ange,
Sébastien fait valoir auprès de son ami la difficulté et le mérite du
tableau, et le prie de donner son avis le plus tôt possible. Il l’in-
forme en même temps qu’il a rompu avec sa commère, c’est-à-dire
très probablement avec la femme qui lui avait donné deux fils.
La lettre suivante, en date du 12 avril i520, annonce à Michel-
Ange la mort de Raphaël (6 avril), et lui fait connaître les projets
formés par les élèves du maître pour la continuation des travaux de
la salle de Constantin ; Sébastien insiste en même temps pour que
Michel-Ange lui obtienne une part de cette tâche. On sait par une
lettre célèbre, adressée au cardinal Bibbiena, avec quelle ardeur
Michel-Ange prit en mains la cause de son ami : « Monseigneur,
écrivit-il à Bibbiena, je prie Votre Seigneurie Révérendissime, non
comme ami ou comme serviteur, car je ne suis digne d’être ni l’un
ni l’autre, mais comme un homme vil, misérable et fou, de faire en
sorte que Sébastien de Venise, peintre, obtienne quelque part aux
travaux du Palais, maintenant que Raphaël est mort. Si Votre Sei-
gneurie dédaigne les offres de service d’un homme tel que moi, je
lui rappellerai que rendre service aux fous peut quelquefois causer
du plaisir, de même que celui qui s’est rassasié de chapons mange
des oignons pour changer de nourriture. Servez-vous à temps des
hommes importants. Je prie Votre Seigneurie d’en faire l’expérience
avec moi. Vous me rendriez le plus grand service, et Bastiano est
un homme de talent. Si l’on me repousse, que l’on n’agisse du moins
pas de la même manière vis-à-vis de Bastiano, car, j’en suis certain,
il fera honneur à Votre Seigneurie. »
Les lettres publiées par M. Milanesi nous apportent les révéla-
tions les plus curieuses sur Léon X, sur son entourage et sur le
projet de décoration de la partie du Vatican qui renferme les
Chambres de Raphaël. Le Pape hésite et tergiverse, désireux qu’il
est d’éviter les querelles. Il a peur de Michel-Ange, comme les
natures molles ont peur des natures irritables ou énergiques. « Dès
que vous serez à Rome, écrit Sebastiano à son ami, vous obtiendrez
tout ce que vous voudrez, non pas seulement des châteaux, mais
une ville, car je sais en quelle estime vous tient le Pape ; quand il
parle de vous, il semble parler d’un frère, presque avec les larmes
aux yeux. Il m’a dit, à moi, que vous avez été élevés ensemble et il
fait voir qu’il vous connaît et vous aime, mais vous faites peur à
tous jusqu’aux Papes : « facte
paura a ognuno insino a papi ».
Par contre, les favoris du Pape
soutiennent avec ardeur les
élèves de Raphaël et jouent à
Sébastien, qui s’agite et enrage,
toutes sortes de mauvais tours :
ne déclare-t-il pas (lettre du
6 septembre i52o), qu’il n’est
pas convenable que lui peigne
en quelque sorte les caves et
les élèves de Raphaël les salles
dorées !
M. Eugène Müntz si-
gnale avec raison la « sus-
ceptibilité maladive » de
Michel-Ange, ce cruel dé-
faut, véritable infirmité
qui fait le malheur de ceux
qui en sont affligés, sans
parler de l’action reflexe
qu’elle exerce douloureu-
sement sur leurs amis ; il
termine en expliquant
qu’une rupture était inévi-
table entre Buonarroti et
Sebastiano del Piombo,
« la communauté des inté-
rêts et la communauté des
haines ayant cimenté
l’amitié de Michel-Ange et
de Sébastien, plus qu’un
fonds commun de sym-
pathie ». Pareille amitié ne pouvait être qu’éphémère.
La sagacité de l’éminent directeur de la Bibliothèque
Internationale de F Art l’a amené à comprendre la néces-
sité d’introduire dans une collection de cette valeur un
élément nouveau qui ne relevât point de la seule érudition,
un élément en quelque sorte éducationnel se rattachant
directement au mouvement démocratique qui se généra-
lise chaque jour de plus en plus en cette fin de siècle.
M. Eugène Müntz a réussi à souhait à opérer cette
intelligente évolution. Son Recueil de modèles anciens et
modernes réunit des spécimens accomplis de Tapisseries,
Broderies et Dentelles, et son Introduction, qui n’a que le
tort de traiter seulement des Tapisseries, est un modèle
du genre; on ne résume pas mieux une question des plus
compliquées; on ne le fait ni avec plus de clarté, ni avec
plus de savoir.
Ce qui est à peine concevable, c’est qu’ « après avoir
joui, quarante ou cinquante siècles durant, d’une faveur
qui ne s’était pas démentie un instant, la tapisserie soit
tout à coup tombée dans le discrédit le plus profond ». Ce
n’est cependant que trop vrai, et le vandalisme ne tarda
STIANO DEL PlOMBO,
: les Correspondants de Michel-Ange.)
L’ART.
DL1V
Bibliothèque Internationale de l’Art, publiée sous la
direction de M. Eugène Muntz.
Les Correspondants de Michel-Ange. I. Sehastiano
del Piombo. Texte italien publié pour la première fois
par le Commandeur Gaetano Milanesi, surintendant
des Archives de Florence, avec traduction française par
le docteur A. Le Pileur et Introduction par Eugène
Müntz. In-40 de xn-119 pages, illustré.
Tapisseries, Broderies et Dentelles, Recueil de Mo-
dèles anciens et modernes, précédé d’une Introduction
par Eugène Muntz, Conservateur du Musée, de la
Bibliothèque et des Archives de l’Ecole Nationale des
Beaux-Arts. Ouvrage
enrichi de i5o gravures.
In-40 de 4a pages de
texte et xcvi pages de
gravures hors texte.
Paris, Librairie de
l’Art, L. Allison et Cie,
29, Cité d’Antin, 1890.
Le premier des deux
importants volumes dont
vient de s’enrichir la pré-
cieuse Bibliothèque Inter-
nationale de!Art s’adresse
plus spécialement aux éru-
dits, aux historiens de
l'art, aux artistes qui pro-
fessent le culte de leurs
glorieux ancêtres. Il fait
suite naturelle auxLettere
di Michel Angelo, que
l’illustre érudit florentin,
M. Gaetano Milanesi, ce
puits de science, publia,
en 1875, à l’occasion des
fêtes organisées à Florence
en l'honneur du
Buonarroti
de la rapide mais très in-
téressante Introduction de
M. Eugène Müntz, vous
grand
Un fragment
Portrait de Seba
d’après Vasari. (Gravure extraite de
fixera sur l’extrême importance de cette publication :
La correspondance s’ouvre par une lettre e'crite le 28 jan-
vier iSeo, c’est-à-dire au moment même où la lutte entre Sébastien
et Raphaël était arrivée à son paroxysme. L’artiste vénitien nous
apprend que l’expert chargé de fixer le prix de la Résurrection de
Lazare n’était autre que Balthazar Peruzzi, et qu’il évalua le tableau
à la somme énorme de 85o ducats d’or (40 à 5o,ooo francs de notre
monnaie) ; chaque figure de grande dimension comptant dans cette
évaluation pour ib ducats, les petites et le paysage pour 100 ducats
ensemble. Une contre-expertise devant être faite par Michel-Ange,
Sébastien fait valoir auprès de son ami la difficulté et le mérite du
tableau, et le prie de donner son avis le plus tôt possible. Il l’in-
forme en même temps qu’il a rompu avec sa commère, c’est-à-dire
très probablement avec la femme qui lui avait donné deux fils.
La lettre suivante, en date du 12 avril i520, annonce à Michel-
Ange la mort de Raphaël (6 avril), et lui fait connaître les projets
formés par les élèves du maître pour la continuation des travaux de
la salle de Constantin ; Sébastien insiste en même temps pour que
Michel-Ange lui obtienne une part de cette tâche. On sait par une
lettre célèbre, adressée au cardinal Bibbiena, avec quelle ardeur
Michel-Ange prit en mains la cause de son ami : « Monseigneur,
écrivit-il à Bibbiena, je prie Votre Seigneurie Révérendissime, non
comme ami ou comme serviteur, car je ne suis digne d’être ni l’un
ni l’autre, mais comme un homme vil, misérable et fou, de faire en
sorte que Sébastien de Venise, peintre, obtienne quelque part aux
travaux du Palais, maintenant que Raphaël est mort. Si Votre Sei-
gneurie dédaigne les offres de service d’un homme tel que moi, je
lui rappellerai que rendre service aux fous peut quelquefois causer
du plaisir, de même que celui qui s’est rassasié de chapons mange
des oignons pour changer de nourriture. Servez-vous à temps des
hommes importants. Je prie Votre Seigneurie d’en faire l’expérience
avec moi. Vous me rendriez le plus grand service, et Bastiano est
un homme de talent. Si l’on me repousse, que l’on n’agisse du moins
pas de la même manière vis-à-vis de Bastiano, car, j’en suis certain,
il fera honneur à Votre Seigneurie. »
Les lettres publiées par M. Milanesi nous apportent les révéla-
tions les plus curieuses sur Léon X, sur son entourage et sur le
projet de décoration de la partie du Vatican qui renferme les
Chambres de Raphaël. Le Pape hésite et tergiverse, désireux qu’il
est d’éviter les querelles. Il a peur de Michel-Ange, comme les
natures molles ont peur des natures irritables ou énergiques. « Dès
que vous serez à Rome, écrit Sebastiano à son ami, vous obtiendrez
tout ce que vous voudrez, non pas seulement des châteaux, mais
une ville, car je sais en quelle estime vous tient le Pape ; quand il
parle de vous, il semble parler d’un frère, presque avec les larmes
aux yeux. Il m’a dit, à moi, que vous avez été élevés ensemble et il
fait voir qu’il vous connaît et vous aime, mais vous faites peur à
tous jusqu’aux Papes : « facte
paura a ognuno insino a papi ».
Par contre, les favoris du Pape
soutiennent avec ardeur les
élèves de Raphaël et jouent à
Sébastien, qui s’agite et enrage,
toutes sortes de mauvais tours :
ne déclare-t-il pas (lettre du
6 septembre i52o), qu’il n’est
pas convenable que lui peigne
en quelque sorte les caves et
les élèves de Raphaël les salles
dorées !
M. Eugène Müntz si-
gnale avec raison la « sus-
ceptibilité maladive » de
Michel-Ange, ce cruel dé-
faut, véritable infirmité
qui fait le malheur de ceux
qui en sont affligés, sans
parler de l’action reflexe
qu’elle exerce douloureu-
sement sur leurs amis ; il
termine en expliquant
qu’une rupture était inévi-
table entre Buonarroti et
Sebastiano del Piombo,
« la communauté des inté-
rêts et la communauté des
haines ayant cimenté
l’amitié de Michel-Ange et
de Sébastien, plus qu’un
fonds commun de sym-
pathie ». Pareille amitié ne pouvait être qu’éphémère.
La sagacité de l’éminent directeur de la Bibliothèque
Internationale de F Art l’a amené à comprendre la néces-
sité d’introduire dans une collection de cette valeur un
élément nouveau qui ne relevât point de la seule érudition,
un élément en quelque sorte éducationnel se rattachant
directement au mouvement démocratique qui se généra-
lise chaque jour de plus en plus en cette fin de siècle.
M. Eugène Müntz a réussi à souhait à opérer cette
intelligente évolution. Son Recueil de modèles anciens et
modernes réunit des spécimens accomplis de Tapisseries,
Broderies et Dentelles, et son Introduction, qui n’a que le
tort de traiter seulement des Tapisseries, est un modèle
du genre; on ne résume pas mieux une question des plus
compliquées; on ne le fait ni avec plus de clarté, ni avec
plus de savoir.
Ce qui est à peine concevable, c’est qu’ « après avoir
joui, quarante ou cinquante siècles durant, d’une faveur
qui ne s’était pas démentie un instant, la tapisserie soit
tout à coup tombée dans le discrédit le plus profond ». Ce
n’est cependant que trop vrai, et le vandalisme ne tarda
STIANO DEL PlOMBO,
: les Correspondants de Michel-Ange.)