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Chennevières, Henry de: Exposition universelle de 1889: cent ans de gravure (1789 - 1889), [IV]
DOI Seite / Zitierlink: https://doi.org/10.11588/diglit.25870#0193
EXPOSITION UNIVERSELLE DE 1889.
capable d’y mettre son meilleur fluide. En effet, au bout
de sa première vingtaine de pierres, il donnait déjà une
tournure fort personnelle et progressive au procédé.
Depuis l’origine, la lithographie se bornait trop souvent
au rendu plutôt sec du dessin d’un tableau : des hachures
plates et timides, incapables de reproduire l’effet, la cou-
leur, le modelé, formaient presque à elles seules la cui-
sine habituelle des plus studieux nourrissons de Senefel-
der. Grâce à Nanteuil, l’art fut doté de précieuses nouvelles
qualités. Sous le crayon de l’habile homme, les teintes
diverses se juxtaposèrent les unes auprès des autres; au
lieu de touches uniformes et grises, il obtint à son gré des
effets puissants ou moelleux, brillants ou sombres, écla-
tants ou voilés; le graveur put meme suivre le peintre
dans les procédés les plus délicats de combinaisons de
CENT ANS DE GRAVURE (1789-1889). 167
couleurs. Les nombreuses séries de pièces de Nanteuil
et ses pages de collaboration soit à l'Artiste, soit à la
Revue des Peintres, soit au Monde dramatique, soit au
Musée, soit à la Revue de Belgique, forment un ensemble
d’une infinie variété comme fonte de facture. Ne con-
vient-il pas, même, de préférer cette partie de son œuvre
à ses vignettes romantiques vraiment trop vantées au-
jourd’hui ? Assurément, ses petites traductions d'après les
Petrus Borel d’alors sont des curiosités indéniables, mais
pourrait-on soutenir au même degré l’excellence de ses
imageries d’après Victor Hugo? Malgré sa connaissance
profonde de la poétique... énorme de Hugo, connaissance
accrue par une continuité de relations communes, Nan-
teuil ne réussit jamais une illustration vraiment supérieure
du maître. Des éléments de simple curiosité sont loin de
Fuite des Arabes de Constantine (i3 octobre iBSv).
Lithographie de Raffet.
suffire à la transposition graphique d’un tel génie; il y
audrait «un tempérament au moins analogue, fût-ce de
très loin, comme rêves grandioses et résonances d’images.
Un seul artiste d’aujourd’hui, Gustave Moreau, pourrait
aborder l’œuvre de Victor Hugo avec des chances cer-
taines de victoire. Ah! comme un directeur des Beaux-
Arts, désireux d’initiatives, aurait belle occasion d’entre-
prendre, avec Gustave Moreau, une édition officielle et
véritablement capitale de notre grand poète national!
L’Etat n’aurait-il pas le devoir d’arracher à des libraires
inconscients cette propriété littéraire française, commune
à nous tous, lui épargnant ainsi les profanations d’illus-
trateurs de vingtième ordre, pour la réserver tout entière
au talent mystérieux d’une âme inspirée! Hors de Moreau,
personne ne devrait se sentir le courage de s’attaquer au
colosse d’or et d’argile, et l’exemple de Nanteuil est bien
fait pour mettre en garde, car si, à la pleine période des
productions de Hugo, son dessinateur reconnu restait à ce
point inférieur au souffle du texte, malgré les indications
évidemment directes et journalières du poète, comment
serait-il possible à nos vignettistes de rencontrer juste,
dépourvus comme ils le sont de toute idée romantique
bien exacte, et trop jeunes, la plupart, pour avoir pu res-
pirer les dernières bouffées d’air de l’école expirante de
Victor Hugo! A vouloir soutenir les traductions de Nan-
teuil, on pourrait toutefois demander à connaître le pré-
tendu critérium tant soit peu probant contre elles, c’est-à-
dire où sont les arguments de détail capables de faire
sentir leur faiblesse relative; ce serait une manière directe
d’apprendre de la critique comment elle justifie son droit
de décision sur des matières d’art d’une époque tout à fait
spéciale et fort inconnue, à elle aussi ! Il est facile de
capable d’y mettre son meilleur fluide. En effet, au bout
de sa première vingtaine de pierres, il donnait déjà une
tournure fort personnelle et progressive au procédé.
Depuis l’origine, la lithographie se bornait trop souvent
au rendu plutôt sec du dessin d’un tableau : des hachures
plates et timides, incapables de reproduire l’effet, la cou-
leur, le modelé, formaient presque à elles seules la cui-
sine habituelle des plus studieux nourrissons de Senefel-
der. Grâce à Nanteuil, l’art fut doté de précieuses nouvelles
qualités. Sous le crayon de l’habile homme, les teintes
diverses se juxtaposèrent les unes auprès des autres; au
lieu de touches uniformes et grises, il obtint à son gré des
effets puissants ou moelleux, brillants ou sombres, écla-
tants ou voilés; le graveur put meme suivre le peintre
dans les procédés les plus délicats de combinaisons de
CENT ANS DE GRAVURE (1789-1889). 167
couleurs. Les nombreuses séries de pièces de Nanteuil
et ses pages de collaboration soit à l'Artiste, soit à la
Revue des Peintres, soit au Monde dramatique, soit au
Musée, soit à la Revue de Belgique, forment un ensemble
d’une infinie variété comme fonte de facture. Ne con-
vient-il pas, même, de préférer cette partie de son œuvre
à ses vignettes romantiques vraiment trop vantées au-
jourd’hui ? Assurément, ses petites traductions d'après les
Petrus Borel d’alors sont des curiosités indéniables, mais
pourrait-on soutenir au même degré l’excellence de ses
imageries d’après Victor Hugo? Malgré sa connaissance
profonde de la poétique... énorme de Hugo, connaissance
accrue par une continuité de relations communes, Nan-
teuil ne réussit jamais une illustration vraiment supérieure
du maître. Des éléments de simple curiosité sont loin de
Fuite des Arabes de Constantine (i3 octobre iBSv).
Lithographie de Raffet.
suffire à la transposition graphique d’un tel génie; il y
audrait «un tempérament au moins analogue, fût-ce de
très loin, comme rêves grandioses et résonances d’images.
Un seul artiste d’aujourd’hui, Gustave Moreau, pourrait
aborder l’œuvre de Victor Hugo avec des chances cer-
taines de victoire. Ah! comme un directeur des Beaux-
Arts, désireux d’initiatives, aurait belle occasion d’entre-
prendre, avec Gustave Moreau, une édition officielle et
véritablement capitale de notre grand poète national!
L’Etat n’aurait-il pas le devoir d’arracher à des libraires
inconscients cette propriété littéraire française, commune
à nous tous, lui épargnant ainsi les profanations d’illus-
trateurs de vingtième ordre, pour la réserver tout entière
au talent mystérieux d’une âme inspirée! Hors de Moreau,
personne ne devrait se sentir le courage de s’attaquer au
colosse d’or et d’argile, et l’exemple de Nanteuil est bien
fait pour mettre en garde, car si, à la pleine période des
productions de Hugo, son dessinateur reconnu restait à ce
point inférieur au souffle du texte, malgré les indications
évidemment directes et journalières du poète, comment
serait-il possible à nos vignettistes de rencontrer juste,
dépourvus comme ils le sont de toute idée romantique
bien exacte, et trop jeunes, la plupart, pour avoir pu res-
pirer les dernières bouffées d’air de l’école expirante de
Victor Hugo! A vouloir soutenir les traductions de Nan-
teuil, on pourrait toutefois demander à connaître le pré-
tendu critérium tant soit peu probant contre elles, c’est-à-
dire où sont les arguments de détail capables de faire
sentir leur faiblesse relative; ce serait une manière directe
d’apprendre de la critique comment elle justifie son droit
de décision sur des matières d’art d’une époque tout à fait
spéciale et fort inconnue, à elle aussi ! Il est facile de