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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 16.1890 (Teil 2)

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Champury, Ed.: Exposition Universelle de 1889: la crise de l'architecture et l'avenement du fer, II
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https://doi.org/10.11588/diglit.25870#0231

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202

L’ART.

différentes que l’architecture et l’archéologie, c’est encore
infliger à tout architecte consciencieux un véritable sup-
plice.

En effet, on le met dans l’obligation d’opter entre deux
partis également mauvais :

Ou bien il devra prendre un modèle tout d’une pièce
et l’imposer de force à un climat tout autre, à une lumière
différente, à des usages inconciliables avec les dispositions
imaginées pour la destination primitive, ce qui ne peut don-
ner qu’un édifice mal commode, à peu près inutilisable;

Ou bien il devra chercher un moyen terme entre les
modèles anciens et les besoins de la société contempo-
raine, et cette tentative le conduira à dénaturer les pre-
miers sans parvenir à satisfaire les seconds.

Dans l’un comme dans l’autre cas le malheureux archi-
tecte aura été, de par la doctrine académique, dans l’im-
possibilité de faire une œuvre d’art.

C’est ce qui explique qu’il y ait tant d’édifices manqués
parmi ceux construits de notre siècle. Chaque capitale
présente nombre d’erreurs architecturales qui n’ont pas
d’autre cause. Paris, par exemple, a une Bourse qui est la
parodie d’un temple antique, un Tribunal de commerce
plus fleuri qu’un boudoir, une Ecole de médecine qui a
l’air d’une nécropole, un Hôtel des postes qui est resté trois
ans sans pouvoir servir, un Salon carré où l’on voit fort
mal, un Muséum où l’on voit moins encore, un Opéra où
l’on n’entend guère, une grande Salle de concerts où l’on
n’entend pas du tout, et vingt autres constructions récentes
également ratées.

Et pourtant, sous ce rapport, Paris est moins mal loti
que la plupart des capitales. Riche en monuments anciens
où ses services publics sont installés, il a eu moins à
souffrir de l’épidémie archéologique que les villes neuves
où il fallait tout construire, Berlin, Munich, Saint-Péters-
bourg.

Là, il semble que l’on ait considéré la jeunesse comme
une honte et que l’on n’ait reculé devant rien pour se vieil-
lir. Ce maquillage à rebours n’a pas profité à l’architec-
ture, tant s’en faut : dans leur ardeur à reproduire les
plus beaux édifices de la Grèce et de l’Italie, Schinkel,
Klenze et Montferrand ont méconnu jusqu’aux principes
les plus élémentaires de leur art; ils ne se sont même pas
souvenus que l’aspect d’un édifice doit révéler sa destina-
tion et que l’ouverture des baies et le mode de couverture
sont déterminés par le climat !

Aussi que de bévues et quelles bévues! Ici, on n’a pour
se préserver de la neige, du givre ou de la gelée que des
péristyles ouverts à tous les vents. Là, des fresques exté-
rieures à l’italienne recouvrent des murs verdis et lézardés
par la pluie. Plus loin se développent des attiques monu-
mentales où les statues de muses et les groupes allégo-
riques alternent avec des tuyaux de cheminée. Nulle part
aucune préoccupation de l’abondance ou de la rareté de la
lumière, de la sécheresse ou de l’humidité du climat ;
aucun souci non plus de l’aspect que les monuments
tirent de leur entourage et de leur situation. Ainsi, quand
on a reconstitué, à grands renforts de millions, les Pro-
pylées, c’est en plaine qu’on les a reproduites, à l’intersec-
tion de deux rues !

A Londres, l’erreur, pour être différente, n’est pas
moins complète. L’art gréco-romain n’y sévit plus depuis
longtemps, ce qui est fort bien, mais son successeur,
l’orientalisme asiatique, ne vaut pas mieux. C’est pitié de
voir s’aligner côte à côte, au milieu du brouillard et de la
fumée de houille, sous un ciel couleur de mine de plomb,
des pagodes chinoises, des temples égyptiens, des palais
persans et hindous, et autres constructions exotiques,
bariolées de couleurs crues, qui demandent, pour ne pas

être ridicules, les embrasements de lumière de l’Orient.

Reste Vienne, où l’on vient de construire dans ces
vingt dernières années plus de monuments publics qu’il
ne s’en est fait à la fois en aucun temps dans aucun pays,
pas même à Rome sous le règne d’Auguste. L’édification
de ces quartiers du Ring est bien la plus belle occasion qui
ait jamais été offerte à des architectes pour chercher et
trouver du nouveau. Eh bien ! quoiqu’ils aient eu tout à
la fois à construire des églises et des théâtres, une Bourse
et un Palais de justice, et à loger les administrations et les
collections les plus diverses d’une grande ville et d’un
grand empire, ils n’ont pas donné l’essor à une seule idée
nouvelle. Dans toute cette ceinture de constructions
monumentales, luxueuses et dispendieuses, rien de natio-
nal ni de contemporain.

Ainsi, d’un bout à l’autre de l’Europe, dans les villes
de construction récente comme dans les vieilles capitales
qui se rajeunissent, l’architecture monumentale est impuis-
sante à rien créer. Partout le style d’emprunt, partout le
convenu, partout le pastiche, partout le recours à des
formules fixées une fois pour toutes, comme celles des
sirops et des onguents dans le Codex des pharmaciens.

Chose étrange et attristante! même de l’autre côté des
mers, dans des pays neufs où aucune tradition locale
n’excuse de tels emprunts, le pastiche règne en maître. On
fait du grec à Calcutta et du romain à Philadelphie, de la
Renaissance française à Saïgon, du gothique à Pékin et à
Tananarive.

Au fait, pourquoi pas? De quel droit trouverions-nous
ridicule l’importation actuelle du gothique chez les Mal-
gaches, alors que nous voyons grandir devant nous, sur le
point le plus élevé de Paris, en cette année du Centenaire
de la Révolution, une église imitée de ce qui se faisait à
Byzance il y a treize ou quatorze cents ans ?

Encore si ces restitutions étaient d’une absolue exacti-
tude, il n’y aurait que demi-mal : elles offriraient le
même intérêt relatif que des moulages dans un musée de
sculpture. Qui sait ? peut-être même conduiraient-elles à
une plus juste appréciation de l’art en rendant accessible à
tous la marche qu’il a suivie dans son développement.

Malheureusement il n’y a pas d’exemple de cette irré-
prochable fidélité aux originaux. Il n’y en a jamais eu et
il n’y en aura jamais. Tradnttore, traditore, impossible
qu’il en soit autrement. Quelque scrupule que l’on
apporte à rester fidèle aux modèles choisis, on ne peut y
parvenir, et plus ces modèles seront pris loin de nous,
plus leur interprétation s’éloignera de l’original. Jamais
deux graveurs n’ont reproduit de la même façon la même
œuvre. C’est que chacun de nous porte en soi une
manière propre de voir toute chose et que nous sommes
tous tellement imprégnés des idées de notre race et de
notre époque qu’il nous est impossible de nous en dépouil-
ler tout à fait. Le moyen, je vous le demande, pour un
Parisien ou un Viennois de nos jours, de se croire con-
temporain de Périclès ou de Léon X. C’est de la meilleure
foi du monde et avec la conviction qu’il restait fidèle aux
originaux, que le bon abbé Delille perfectionna à sa
manière l’Énéide et le Paradis perdu. Klenze vivait dans
la même illusion, et qui serait venu lui dire qu’il soumet-
tait Mnésiclès au goût bavarois l’aurait autant surpris que
peiné.

On ne saurait trop le répéter : par la force même des
choses, un pastiche ne sera jamais une restitution et un de
nos contemporains, quoi qu’il fasse, ne verra jamais les
œuvres de l’antiquité et de la Renaissance comme les
voyaient les artistes de ces époques-là. Même dans les
conditions les plus favorables, il est condamné à échouer.
Supposons, si vous le voulez, la réunion dans le même
 
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