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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 16.1890 (Teil 2)

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Gabillot, Cyrille: Le musée Guimet et les religions de l'Extrème-Orient
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https://doi.org/10.11588/diglit.25870#0287

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LE MUSÉE GUIMET ET LES RELIGIONS DE L’EXTRÊME-ORIENT.

255

Les devoirs et les privilèges des trois premières castes
sont minutieusement réglés ainsi que leurs rapports entre
elles. Elles ont seules le droit de lire les livres sacrés,
après une initiation qui leur vaut le titre de dvija (deux
fois né), et dont le signe est le cordon sacré. Quant à la
dernière, le législateur ne daigne pas s’en occuper. Tout
commerce avec ses membres était rigoureusement interdit
sous peine des châtiments les plus terribles :

« Le Brahmane qui n’épouse pas une femme de sa
classe et qui introduit une Coudra dans son lit descend
au séjour infernal; son fils est dépouillé de son rang de
Brahmane. »

L’enfant qui naissait d’une telle alliance était un
Tcliandala, bien au-dessous d’un Coudra, pire qu’un
chien. La dernière caste était ainsi, comme les autres
d’ailleurs, subdivisée en sous-castes fermées entre elles,
et comprenant une foule de misérables, que nous dési-
gnons sous le nom général de parias.

Et le plus simple contact avec ceux-ci
était une souillure qui entraînait des
expiations indéfinies :

« Celui qui a des relations avec
un homme vil devient vil lui-même,
simplement en allant dans la même
voiture, en s’asseyant sur le même
siège, en mangeant au même repas.L>

On peut penser toutefois que cette
séparation des castes ne fut pas tout
d’abord aussi rigoureuse qu’elle le
devint avec le temps. Un soldat de
fortune, qui fonda l’empire des Mau-
ryas, Chandragoupta, l’aïeul du roi
Açoka dont le nom reviendra plus
loin, était un Coudra, au dire des
Brâhmanes ; la suprématie de ceux-ci
ne s’établit pas non plus sans contes-
tation : l’incarnation de Vichnou en
Paraçou-Rama, terrible Brahmane qui
extermina la caste impie des Ivshatryas,
est probablement un souvenir des
luttes qu’ils eurent à soutenir.

La théologie de la religion des
Brâhmanes est à peu de chose près
celle des Hymnes. Un fait considé-
rable s'est produit qui empêche toute
nouveauté importante : par suite du
mélange des races, la langue des
vieux chants a cessé d’être comprise
de la foule et les prêtres mêmes ne
l’entendent plus guère; les anciens textes sont ainsi deve-
nus des textes sacrés, auxquels il est à peu près impossible
d’ajouter quelque chose. Le cercle des grandes divinités a
donc peu changé, quoique plusieurs se soient transfor-
mées : Asoura, l’ancien nom des puissances célestes, ne
s applique plus qu’aux démons ; Soma est identifié avec la
lune; Varouna est devenu nocturne et méchant1 ; Aditi,
l’immensité, la nature, dieu assez vague dans les Hymnes,
est identifié avec la terre; Yama n’est plus que le roi des
enfers, et l’homme pieux espère aller au svarga qui est le
ciel d’Indra et des dieux en général. Le panthéon s’est
cependant accru de quelques figures nouvelles, parmi les-
quelles il faut citer un dieu abstrait, qui est bien une
création des prêtres, et qui deviendra fameux entre tous;
ce dieu, qui a pour prototype Pradjapati, le seigneur des
créatures, et dont le nom vient du vieux nom de la prière,
brahman, est Brahma, père des dieux et des hommes,

i. Il semble définitivement détrôné par Dyaus ou Dyaus-Pitar
le ciel père), le Jupiter des Latins.

ÔECAcfr-SJ

Brahmâ, dieu créateur,
Fragment de char de Karikal.

première manifestation de l’Absolu. Mais l’esprit de cette
religion est tout autre qu’au temps des Hymnes ; l’orgueil
de la caste sacerdotale l’a rendu singulièrement étroit et
formaliste. Dans la période védique on attribuait déjà au
sacrifice une certaine influence sur le cours des phéno-
mènes naturels; mais ici le cérémonial du culte et les for-
mules ont une puissance souveraine; les dieux n’ont plus
qu’une importance secondaire et la religion qui les sert
ne dépend d’eux en aucune façon. Il n’est plus besoin de
piété ni d’inspiration individuelle; le Brâhmane ne pro-
nonce plus que des formules toutes faites; savoir les rites
et les textes sacrés, avec la signification cachée et mys-
tique qu’on leur suppose, est tout, car ils ont en eux-
mêmes une puissance magique supérieure à celle des
dieux : ce sont des combinaisons rituelles qui ont rendu
ces derniers immortels et qui font que les phénomènes
célestes se produisent dans tel ordre plutôt que dans tel
autre.

Par un contraste singulier, à côté
de ce rituel sec et compliqué, appa-
raissent des doctrines métaphysiques
d’une incontestable grandeur, quoique
d’un pessimisme désolant. Le monde
fini n’existe pas; il est le produit delà
Mdyà, l’illusion, la magie décevante
de l’Etre absolu Brahmâ. L’âme hu-
maine, parcelle de Brahmâ, dont elle
est séparée, ignore son origine, et, de
là, vient l’erreur et le mal. Trompée
par l’illusion, elle s’attache à des objets
indignes d’elle ; chaque acte qu’elle
accomplit pour satisfaire cet attache-
ment l’engage plus avant dans le
monde périssable, et, étant elle-même
impérissable, elle est condamnée à un
perpétuel changement '. Entraînée
dans le tourbillon de la vie, dans le
Sansdra, elle passe d’une existence
dans une autre, sans trêve ni repos,
jusqu’à ce qu’elle parvienne à connaître
Brahmâ et à s’identifier avec lui.

C’est là la double doctrine du
Karman ou conséquence des actes par
lesquels l’âme se fait sa destinée, et
du Punarbhava, de la métempsycose,
des renaissances successives dans les-
quelles elle la subit. Cette doctrine,
d’abord simplement spéculative, finit
par devenir un dogme religieux, qui
sera désormais le dogme fondamental de toutes les sectes
de l’Inde; au ive siècle avant notre ère, elle est déjà pro-
fondément enracinée dans la conscience populaire. C est
dans les Oupanishads qu’on la trouve formulée pour la
première fois. Elle est aussi exposée dans les lois de
Manou : « Tout acte de la pensée, de la parole ou du
corps, selon qu’il est bon ou mauvais, porte un bon ou
mauvais fruit; des actions des hommes résulte leui condi-
tion future, supérieure, moyenne ou inférieure. » Les actes
s’attachent donc à l’âme comme la pesanteur s attache au
corps ; suivant qu’une existence a été bien ou mal 1 emplie,
celle qui suivra sera plus noble ou plus basse, et 1 âme
ira animer soit un dieu, un Brahmane, un Thandala, soit
même un animal ou un insecte.

De ces croyances, ne pouvait résulter dans la pratique
que le renoncement, la contemplation, l’ascétisme, le plus
sûr moyen d’arriver à tuer le désir étant de fuir les tenta-
tions du monde et d’embrasser la vie d’anachorète, de
i. A. Barth, les Religions de l’Inde.

âme universelle.

(Muse'e Guimet, n“ 2344.)
 
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