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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 1.1859

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Nr. 1
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Ulbach, Louis: L' art au théatre, [1]
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https://doi.org/10.11588/diglit.16986#0040

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36

GAZETTE DES BEAUX-ARTS.

dans la supposition d'un théâtre national. Imaginez la représentation d'un
grand fait historique, de l'épopée de Jeanne Darc, par exemple : le drame
est tout prêt ; Daniel Stern l'a écrit ; est-ce qu'il sera possible de repré-
senter cette page d'histoire sans l'encadrement des costumes et des
tableaux ? Est-ce que le moindre anachronisme, la moindre inexactitude
échapperaient au spectateur, au peuple qui devient familier avec les chro-
niques , et qui veut, en même temps que la résurrection des héros, res-
pirer l'atmosphère qu'ils ont respirée et marcher avec eux dans l'air
ambiant qui les enveloppait. Toutefois, il est bien évident que c'est moins
la vérité vraie, absolue, de l'époque qu'il faut reproduire dans l'acces-
soire, que la vérité de l'œuvre. Gomme on ne peut pas faire revivre, avec
un événement du temps passé, la langue et le public de ce temps-là, il faut
bien émousser un peu la vérité des détails, pour qu'ils servent de transi-
tion et de perspective. Une résurrection trop brusque déconcerterait l'ima-
gination du public contemporain.

Habiller des héros de Corneille et de Racine sur des dessins antiques, ce
serait commettre un anachronisme. Des gens qui s'appellent monsieur et
-madame, et qui galandisent, comme à la cour de Louis XIV, ont besoin
d'être vêtus à la mode de leur langage, et d'agir dans un milieu qui se
rapporte à leurs sentiments. Il serait moins choquant de leur mettre des
falbalas et des panaches que de les travestir en Grecs ou en Romains au-
thentiques. Mais il est ridicule de les laisser dans un à peu près qui n'est
ni le costume de l'histoire ni celui du style.

Le côté plastique des chefs-d'œuvre dramatiques est trop dédaigné, et la
science du décor doit servir à maintenir en jeunesse et en beauté les monu-
ments de notre littérature. Sous le prétexte faux que les maîtres ont une
valeur littéraire plus que suffisante pour se passer de l'intercession du
décorateur, on joue Corneille, Racine et Molière avec un dédain de la mise
en scène qui fait tort à notre respect national, et qui nuit aux chefs-
d'œuvre. Il n'y a pas de tableau de nos musées, de quelque nom glorieux
qu'il soit signé, qu'on puisse priver impunément de son cadre. Le Théâtre-
Français refuse le plus souvent à ses grands hommes une simple baguette
dorée. C'est là un manque de convenance routinier et une faute de goût
traditionnelle. N'est-il pas étrange, en effet, qu'on fasse l'honneur de plus
de décor au premier académicien venu, qui sera joué pendant un mois,
qu'aux demi-dieux immuables du répertoire? Qui sait si l'ennui qu'inspirent
parfois les chefs-d'œuvre ne tient pas précisément à cette mesquinerie?
Quand nous débarrassera-t-on de ces rideaux de serge qui couvrent les
Grecs et les Romains, et quand renouvellera-t-on cette défroque si vieille
et si peu antique de messieurs les gardes ?
 
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