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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 1.1859

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Nr. 3
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Blanc, Charles: La Joconde de Léonard de Vinci: gravée par Calamatta
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https://doi.org/10.11588/diglit.16986#0170

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GAZETTE 1) ES BEAUX-ARTS.

167

pliés et vifs sont accusés cette fois d'une taille résolue qui en épouse les
formes et en fait saillir tous les luisants. Pour ce qui est du fond, je veux
(lire de ces petites montagnes bleues, rocheuses, coupées de rivières,
accidentées de ponts, pointues et taillées en cristaux, M. Calamatta leur
a donné dans l'estampe un peu moins de valeur peut-être qu'elles n'en
ont dans le tableau de Léonard, qui semble avoir attaché une intention à
ce paysage tourmenté, si bien choisi d'ailleurs pour faire valoir les chairs.

S'il ne s'agissait pas d'une peinture aussi finie que celle de Léonard,
d'une peinture où le maître a trouvé tant de chemin à faire pour aller de
la lumière la plus haute aux plus fortes ombres, nous aurions à nous
plaindre de l'immense travail dépensé sur une planche dans laquelle on
ne rencontre nulle part le blanc pur du papier. Lorsqu'un graveur com-
sacre sa vie entière à reproduire les ouvrages des grands peintres, son
temps est précieux pour tout le monde, et nous avons le droit d'exiger
qu'il en soit avare. Mais cette fois, il faut en convenir, si la Joconde a
consumé des années de labeur, il était bien difficile qu'il en fût autrement
en présence d'un tableau qui était peut-être à l'origine lumineux et fier,
mais qui est devenu par l'action du temps un camaïeu sourd, un morceau
dont l'harmonie est rentrée dans le mode mineur. Comment ne pas
éteindre l'éclat du blanc, quand on veut traduire des couleurs aussi fon-
dues, et cette lumière discrète, amortie, qui éloigne de nos regards la
femme aimée du peintre et la tient comme enveloppée d'une gaze? M. Ca-
lamatta s'est attaché à rendre non-seulement la fine expression qui, dans
l'œuvre originale, résulte d'un modelé poursuivi jusqu'aux accents les
plus délicats, jusqu'à d'imperceptibles nuances, mais encore l'aspect même
du tableau tel qu'il nous apparaît aujourd'hui après trois siècles, ramené
à l'imposante unité d'une toile monochrome et cachant l'ancienne pré-
cision de ses contours sous le vague d'une peinture effumée. Sans doute,
il est permis de supposer que du temps où vivait Mona Lisa, du temps
même où Yasari décrivait avec tant de soin le portrait de cette femme
aimable, le tableau de Yinci n'avait pas ce caractère de rêverie, qui, à
nos yeux, lui prête maintenant tant de charme. Mais il eût été bien im-
prudent, ce nous semble, d'enlever, ne fût-ce que par la pensée, le verni
séculaire qui recouvre la Joconde, et de nous la restituer avec la fraîcheur
présumée de sa venue au monde. Pour notre compte, nous n'avons aucun
regret à retrouver, dans la version du graveur, ces altérations si harmo-
nieuses, qui ont reculé, dans la perspective du temps, la peinture de
Léonard, et ne la laissent plus voir qu'à travers la transparence d'un
store de poésie.

CHARLES BLANC.
 
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