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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 1.1859

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Nr. 4
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Emiliani-Giudici, Paolo: Correspondance particulière de la Gazette des Beaux-Arts
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https://doi.org/10.11588/diglit.16986#0250

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GAZETTE DES BEAUX-ART S.

247

cette attitude une femme en qui la beauté du corps révélât celle de l'âme, il nous aurait
ému de pitié, en nous montrant le plus beau don de la nature misérablement souillé
par le vice. L'ouvrage aurait ainsi, tout en flattant le regard, fait naître une grave pen-
sée, et l'artiste aurait rempli le plus élevé do ses devoirs, ce devoir que Dupré a si
bien compris. Et pourtant à cette Nymphe de ta fête, je préfère encore pour la nou-
veauté un autre morceau que je vous ai montré, je me le rappelle, dans son atelier.
C'est un tout jeune homme amaigri, profondément désolé, qui se croise les mains et les
crispe, qui se lamente, se désespère ; c'est Bacchus qui pleure la maladie de la vigne dont
le cep, s'enlaçant autour du socle, présente ses grappes rongées et pourries par le crypto-
game. Les Grecs symbolisaient dans Bacchus le dieu de la nature et en célébraient les
fêtes, dans le cours de l'année, tantôt avec allégresse, tantôt avec des cérémonies lugu-
bres, selon qu'ils voulaient rappeler les joies ou les douleurs du dieu dans les diverses
saisons, et l'on prétend que, des hymnes et dithyrambes qui se chantaient dans ces
solennités, naquirent la Tragédie et la Comédie. Néanmoins il est sans exemple que les
anciens aient représenté Bacchus autrement que dans une attitude de folie ou de
douce ivresse; ainsi l'ont fait également les grands artistes modernes. Et qu'il me
suffise de mentionner les deux statues de Michel-Ange et de Sansovino conservées à
Florence, dans notre galerie clegli Uffiizii. Vous conviendrez avec moi que la concep-
tion du Bacchus de Dupré est tout à fait nouvelle, et dans l'avenir, elle sera admirée,
non-seulement sous le rapport de l'art, mais comme une réminiscence historique,
comme un souvenir du fléau qui a tant affligé les plus fertiles contrées de l'Europe.
Il me souvient qu'en regardant cette statue, vous n'approuviez pas le caractère du
dessin, ni ce qu'il y avait de sec et de volontairement pauvre dans le choix du modèle,
comme étant contraire aux traditions des Grecs, qui n'ont jamais représenté la nature
divine qu'avec des formes pleines et grandioses; mais ce caractère qui rappelle à l'es-
prit le faire des quatrocentisli, a été choisi tout exprès par l'artiste pour exprimer un
sentiment nouveau. Et de fait, quand il a voulu figurer l'idée contraire, c'est-à-dire
la disparition de la maladie de la vigne, il a modelé un autre Bacchus gracieusement
ceint de pampres et de vigne, avec une grâce et une morbidesse que n'aurait point
désavouées leFiammingo. Cet ouvrage, le dernier sorti de sa main, appartient à son meil-
leur style, plus heureusement caractérisé encore par la Sapho. La poétesse est repré-
sentée dans le terrible moment qui précède son suicide. Elle est assise sur un rocher,
la tète baissée sur la poitrine, un bras appuyé sur la pierre, l'autre mollement aban-
donné sur ses genoux; à ses pieds sont tombées la lyre et la couronne de lauriers. Son
visage, toute son attitude expriment une douleur profonde et sublime, et cette douleur
est mise en relief par ses formes robustes et délicates tout ensemble. Au premier coup
d'œil, le spectateur s'écrie: Comme elle est belle! Puis^ quand on se rend compte des
moyens mis en œuvre pour obtenir un si grand effet, on voit combien Dupré a com-
pris et pratiqué les grands principes des Grecs, spécialement ceux de Phidias...

Je m'arrête ici, mon cher monsieur, non que j'aie épuisé mon sujet, mais parce que
je crains de dépasser les limites que m'assigne votre Gazette. Le peu que je vous ai
dit suffira, j'espère, pour donner a vos lecteurs une idée du mérite de M. Dupré, et si je
ne me suis point appesanti sur les critiques dont il n'est sans doute pas exempt, il vous
sera facile de les déduire de mes rapides observations.

PAOLO

EMILIANI GIUDIGI.
 
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