GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
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tement de la reine, et comment ces peintures ont pu demeurer jusqu'ici ignorées et
cachées à tous les yeux.
D'Argenville et Poncet de la Grave décrivent en termes identiques les pièces qui
composaient l'appartement de la reine. La première était la salle des Pages. Elle con-
tenait quatre grands paysages et une marine de Borzone, peintre génois. Cette salle,
comme les autres, a été divisée dans sa hauteur par des planchers, et dans sa largeur
par une cloison. Aujourd'hui l'on n'aperçoit plus que le sommet des paysages et les
chapiteaux des pilastres qui les séparaient, mais au-dessus règne une décoration en
grisaille du goût le plus exquis. Vers le milieu, de chaque côté, est figurée une niche
contenant un buste : à droite Apollon, Cérès à gauche. La tête se détache sur un fond
d'azur, la couronne — d'épis pour l'une, de lauriers pour l'autre, — et les draperies
naissantes sont peintes d'un ocre brillant. Des génies s'appuient contre la niche; puis
commence une frise qui faisait tout le tour de la salle, par-dessus les fenêtres. Ce sont
des guirlandes de fleurs, des fruits, des médaillons, des amours, et de temps en temps
un petit sujet, tel que des enfants effrayés par un oiseau fantastique. Toute cette déco-
ration est admirable d'élégance et de pureté. C'est le plus beau style du xvne siècle.
11 n'y a pas trace du goût de Lebrun. Lesueur seul pourrait revendiquer l'honneur d'en
avoir donné les dessins, si l'on ne savait, par d'Argenville, que toutes les peintures furent
exécutées vers 1660, sous la direction de Philippe de Champaigne, aidé de son neveu
Jean-Baptiste, à l'exception de celles dont il désigne les auteurs.
De la salle des Pages, on passait dans la salle des Dames de la reine. Là se trou-
vaient dans la frise douze paysages et marines du même Borzone, c'est-à-dire sur
chaque face une marine, placée entre deux paysages. Une décoration modelée en plâtre
reliait les trois sujets; des figures de tritons et de néréïdes soutenaient le cadre de
chaque marine. Une Tempête et deux paysages champêtres se sont conservés en assez
bon état. La Tempête est d'un grand caractère et d'un effet rendu plus saisissant par le
rembrunissement des tons. Les encadrements n'ont pas trop souffert.
La salle de Concert, qui venait ensuite, n'existe plus. Une cage d'escalier l'a rem-
placée. Une portion seule du plafond a été transportée,— un groupe plein de légèreté,
qui représente Zéphyr et Flore se donnant un baiser fraternel, entre Iris et le Temps
figuré par un vieillard à ailes de papillon.
La salle de Concert donnait accès au Salon. C'est là que la découverte est la plus
complète et la plus importante. Plafond, frise et lambris ont été sauvés et se présentent
dans un assez bon état de conservation.
Le plafond représente une allégorie en l'honneur de la reine Marie-Thérèse, femme
de Louis XIV. A gauche, sur un trône de nuages, siège Jupiter. A droite, cinq déesses,
Minerve, Diane, Junon, Vénus et Cérès ou telle autre, regardent du haut des nuages
le groupe principal, placé plus bas et vers le milieu. C'est la reine transportée par
Mercure au sein de l'Olympe. Un génie ailé quitte Jupiter pour venir au-devant d'elle.
Cette composition offre de très-belles parties. Le dessin général en est doux et souple.
Les déesses ont beaucoup de grâce, et les figures du génie et de Mercure sont d'un
mouvement élégant. Par une fatalité déplorable, on a choisi précisément le visage de la
reine pour y sceller dans un massif de plâtre les deux tiges de fer qui portent la planche
à pain du troupier. Le Salon de Marie-Thérèse a servi de chambrée, et là, comme en
bien d'autres endroits, les soldats du peuple le plus spirituel de la terre ont pris un
malin plaisir à crever les yeux de toutes les figures : sur quelques bouches, la baïon-
nette a dessiné des dents : aucune du moins n'a été ornée de la pipe traditionnelle.
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tement de la reine, et comment ces peintures ont pu demeurer jusqu'ici ignorées et
cachées à tous les yeux.
D'Argenville et Poncet de la Grave décrivent en termes identiques les pièces qui
composaient l'appartement de la reine. La première était la salle des Pages. Elle con-
tenait quatre grands paysages et une marine de Borzone, peintre génois. Cette salle,
comme les autres, a été divisée dans sa hauteur par des planchers, et dans sa largeur
par une cloison. Aujourd'hui l'on n'aperçoit plus que le sommet des paysages et les
chapiteaux des pilastres qui les séparaient, mais au-dessus règne une décoration en
grisaille du goût le plus exquis. Vers le milieu, de chaque côté, est figurée une niche
contenant un buste : à droite Apollon, Cérès à gauche. La tête se détache sur un fond
d'azur, la couronne — d'épis pour l'une, de lauriers pour l'autre, — et les draperies
naissantes sont peintes d'un ocre brillant. Des génies s'appuient contre la niche; puis
commence une frise qui faisait tout le tour de la salle, par-dessus les fenêtres. Ce sont
des guirlandes de fleurs, des fruits, des médaillons, des amours, et de temps en temps
un petit sujet, tel que des enfants effrayés par un oiseau fantastique. Toute cette déco-
ration est admirable d'élégance et de pureté. C'est le plus beau style du xvne siècle.
11 n'y a pas trace du goût de Lebrun. Lesueur seul pourrait revendiquer l'honneur d'en
avoir donné les dessins, si l'on ne savait, par d'Argenville, que toutes les peintures furent
exécutées vers 1660, sous la direction de Philippe de Champaigne, aidé de son neveu
Jean-Baptiste, à l'exception de celles dont il désigne les auteurs.
De la salle des Pages, on passait dans la salle des Dames de la reine. Là se trou-
vaient dans la frise douze paysages et marines du même Borzone, c'est-à-dire sur
chaque face une marine, placée entre deux paysages. Une décoration modelée en plâtre
reliait les trois sujets; des figures de tritons et de néréïdes soutenaient le cadre de
chaque marine. Une Tempête et deux paysages champêtres se sont conservés en assez
bon état. La Tempête est d'un grand caractère et d'un effet rendu plus saisissant par le
rembrunissement des tons. Les encadrements n'ont pas trop souffert.
La salle de Concert, qui venait ensuite, n'existe plus. Une cage d'escalier l'a rem-
placée. Une portion seule du plafond a été transportée,— un groupe plein de légèreté,
qui représente Zéphyr et Flore se donnant un baiser fraternel, entre Iris et le Temps
figuré par un vieillard à ailes de papillon.
La salle de Concert donnait accès au Salon. C'est là que la découverte est la plus
complète et la plus importante. Plafond, frise et lambris ont été sauvés et se présentent
dans un assez bon état de conservation.
Le plafond représente une allégorie en l'honneur de la reine Marie-Thérèse, femme
de Louis XIV. A gauche, sur un trône de nuages, siège Jupiter. A droite, cinq déesses,
Minerve, Diane, Junon, Vénus et Cérès ou telle autre, regardent du haut des nuages
le groupe principal, placé plus bas et vers le milieu. C'est la reine transportée par
Mercure au sein de l'Olympe. Un génie ailé quitte Jupiter pour venir au-devant d'elle.
Cette composition offre de très-belles parties. Le dessin général en est doux et souple.
Les déesses ont beaucoup de grâce, et les figures du génie et de Mercure sont d'un
mouvement élégant. Par une fatalité déplorable, on a choisi précisément le visage de la
reine pour y sceller dans un massif de plâtre les deux tiges de fer qui portent la planche
à pain du troupier. Le Salon de Marie-Thérèse a servi de chambrée, et là, comme en
bien d'autres endroits, les soldats du peuple le plus spirituel de la terre ont pris un
malin plaisir à crever les yeux de toutes les figures : sur quelques bouches, la baïon-
nette a dessiné des dents : aucune du moins n'a été ornée de la pipe traditionnelle.