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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
peintures qu’il voyait à Mantoue. Le jeune maître se réservait pour la
partie inférieure de son tableau placée aujourd’hui sur l’autre porte de la
bibliothèque. Ici tout est vivant, et déjà tout est fastueusement agité.
A gauche, on reconnaît Guillaume de Gonzague et son fils Vincent, le pro-
tecteur de Rubens ; à droite, près d’une balustrade, deux femmes age-
nouillées : la vieille est Eléonore d’Autriche, la mère du duc, la jeune est
Eléonore de Médicis, femme de Vincent et sœur de la reine de France.
Le custode de la bibliothèque raconte, non sans vraisemblance, que,
de même que pour la partie supérieure du tableau, ce fragment a été
rétréci. On assure que, lorsque l’œuvre était entière, on voyait à gauche
les enfants de Vincent de Gonzague et de l’autre côté un soldat magnifi-
quement vêtu qui était Rubens lui-même. Les quatre figures qui restent
sont mouvementées et superbes, avec des renversements d’attitudes, des
flamboiements de draperies où le génie du Flamand se révèle presque
tout entier. On retrouve partout, avec des carnations claires, une savante
recherche des tons vénitiens. Et quelle belle liberté de pinceau! Il y a
là vraiment l’enthousiasme de la jeunesse et ses fraîcheurs fleuries.
À cette époque, c’est-à-dire vers 1605, Rubens, timide et empêché lorsqu’il
peint le groupe mystique de la Trinité, est déjà bien hardi et bien fort
quand il fait de la portraiture vivante.
Le peintre flamand eut à Mantoue une autre aventure intellectuelle,
une autre occasion de grandir. Déjà un document authentique nous l’a
montré faisant des copies d’après Corrège, et on reconnaîtra que, pour un
homme qui voulait savoir comment on peint les chairs lumineuses, ce
n’était pas là un médiocre apprentissage. Mais il y avait dans la maison
de Gonzague bien d’autres trésors. Songez que les irréparables dévasta-
tions ne datent que du pillage de 1630 et qu’aux premières années du
xvne siècle tout était intact dans le palais des ducs de Mantoue. Une
grande figure hantait cette fastueuse résidence, si appauvrie maintenant
et si mélancoliquement ruinée : Andrea Mantegna était partout. Il parlait
avec une autorité souveraine, avec une grâce adorable, dans les fresques
merveilleuses qui décoraient lapetite salle où l’on a installé depuis 1 ’archi-
vio notarile\ il enseignait les costumes, les armures, le luxe solennel du
monde antique dans cette série de cartons, les Triomphes de Jules-César,
que l’Angleterre possède aujourd’hui. Ces cartons, Rubens les voyait
tous les jours. Il eût été bien étrange que, déjà tourné du côté de l’éru-
dition, il ne se fût pas intéressé à cette savante et libre reconstitution de
l’antiquité latine. Il copia l’un des Triomphes de Mantegna, celui où l’on
voit s’avancer le cortège des jeunes filles dansantes, et les esclaves con-
duisant les animaux et les éléphants chargés de fruits et de trophées. On
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peintures qu’il voyait à Mantoue. Le jeune maître se réservait pour la
partie inférieure de son tableau placée aujourd’hui sur l’autre porte de la
bibliothèque. Ici tout est vivant, et déjà tout est fastueusement agité.
A gauche, on reconnaît Guillaume de Gonzague et son fils Vincent, le pro-
tecteur de Rubens ; à droite, près d’une balustrade, deux femmes age-
nouillées : la vieille est Eléonore d’Autriche, la mère du duc, la jeune est
Eléonore de Médicis, femme de Vincent et sœur de la reine de France.
Le custode de la bibliothèque raconte, non sans vraisemblance, que,
de même que pour la partie supérieure du tableau, ce fragment a été
rétréci. On assure que, lorsque l’œuvre était entière, on voyait à gauche
les enfants de Vincent de Gonzague et de l’autre côté un soldat magnifi-
quement vêtu qui était Rubens lui-même. Les quatre figures qui restent
sont mouvementées et superbes, avec des renversements d’attitudes, des
flamboiements de draperies où le génie du Flamand se révèle presque
tout entier. On retrouve partout, avec des carnations claires, une savante
recherche des tons vénitiens. Et quelle belle liberté de pinceau! Il y a
là vraiment l’enthousiasme de la jeunesse et ses fraîcheurs fleuries.
À cette époque, c’est-à-dire vers 1605, Rubens, timide et empêché lorsqu’il
peint le groupe mystique de la Trinité, est déjà bien hardi et bien fort
quand il fait de la portraiture vivante.
Le peintre flamand eut à Mantoue une autre aventure intellectuelle,
une autre occasion de grandir. Déjà un document authentique nous l’a
montré faisant des copies d’après Corrège, et on reconnaîtra que, pour un
homme qui voulait savoir comment on peint les chairs lumineuses, ce
n’était pas là un médiocre apprentissage. Mais il y avait dans la maison
de Gonzague bien d’autres trésors. Songez que les irréparables dévasta-
tions ne datent que du pillage de 1630 et qu’aux premières années du
xvne siècle tout était intact dans le palais des ducs de Mantoue. Une
grande figure hantait cette fastueuse résidence, si appauvrie maintenant
et si mélancoliquement ruinée : Andrea Mantegna était partout. Il parlait
avec une autorité souveraine, avec une grâce adorable, dans les fresques
merveilleuses qui décoraient lapetite salle où l’on a installé depuis 1 ’archi-
vio notarile\ il enseignait les costumes, les armures, le luxe solennel du
monde antique dans cette série de cartons, les Triomphes de Jules-César,
que l’Angleterre possède aujourd’hui. Ces cartons, Rubens les voyait
tous les jours. Il eût été bien étrange que, déjà tourné du côté de l’éru-
dition, il ne se fût pas intéressé à cette savante et libre reconstitution de
l’antiquité latine. Il copia l’un des Triomphes de Mantegna, celui où l’on
voit s’avancer le cortège des jeunes filles dansantes, et les esclaves con-
duisant les animaux et les éléphants chargés de fruits et de trophées. On