BENVENUTO CELLINI.
119
Rothschild, est indiqué sur un document du xvnc siècle comme un ouvrage
de Cellini pour l’évêque de Salamanque. Mais à quoi bon remonter si
loin ? Tout le monde a pu voir il y a deux ans, à l’Académie des beaux-
arts d’une des principales villes d’Italie, le moulage du beau bassin des
Amazones par Antoine Yechte, notre compatriote, mort en 1868; ce bas-
sin, placé au milieu de la salle et bien en évidence, portait une étiquette
imprimée avec le nom de Benvenuto Cellini ! Dans un siècle ou deux,
l'ouvrage de Yechte, que ses contemporains ont déjà oublié, deviendra
célèbre, n’en doutez pas; seulement ce sera un Cellini incontestable; il
aura, grâce au patronage de l’Académie italienne, des droits consacrés et
des papiers en règle.
M. Plon a voulu voir les choses de plus près ; il a interrogé tous les
musées, toutes les collections connues et, chaque fois qu’il a rencontré
l’étiquette de Cellini, il a demandé : Qui êtes-vous? faites-moi vos preuves,
montrez-moi votre état civil, vos papiers de famille, vos passeports. L’opé-
ration ne laissait pas que d’être délicate, pensez donc ! Toucher à des
idoles coûteuses, discuter d’anciennes croyances, heurter des amours-
propres et des illusions ! Heureusement M. Plon sait vivre, il y met des
formes, il entoure sa victime de fleurs et massacre avec grâce. Obligé de
discuter les titres de chaque pièce, il profite de l’occasion pour en recon-
stituer l’histoire; il établit autant que possible sa généalogie correcte, lui
refait des aïeux, des preuves et démontre en somme que, si toutes ne
descendent pas de Cellini, elles n’en sont pas moins de bonne maison;
c’est une consolation. Mais quelle hécatombe! sur cent cinquante pièces,
bijoux, orfèvreries, médailles, armes, dessins, bronzes, ivoires, cires
peintes attribués au Florentin, cent quarante au moins restent tout
d’abord sur le carreau ; Cellini n’y est pour rien. Une dizaine au plus
échappent au désastre, encore faut-il faire ses réserves et se contenter de
présomptions. L’entourage d’un camée antique au Cabinet de France,
quelques pièces de jaspe à monture d’or émaillé de la galerie d’Apollon,
le bijou de la collection du duc d’Aumale, deux plaquettes de la Biblio-
thèque Vaticane offrent sans doute de l’analogie avec le faire de Cellini.
La Léda du Cabinet de Vienne paraît être la Léda dont parlent les mé-
moires. Mais la superbe aiguière de lord Cowper n’est-elle pas bien sage
pour notre artiste? L’aiguière et le bassin de Lercarodu palais Coccapani,
magnifiques échantillons de l’orfèvrerie italienne pendant la seconde moi-
tié du xvie siècle, ne sont jamais sortis de son atelier ; nous ne saurions
davantage lui donner le Persée de notre ami le baron Davillier. Cette
belle figure souple, calme, enveloppée, ce corps ondulant et plein de
suc, succi plénum, cette attitude bien équilibrée sans effort et sans tour
119
Rothschild, est indiqué sur un document du xvnc siècle comme un ouvrage
de Cellini pour l’évêque de Salamanque. Mais à quoi bon remonter si
loin ? Tout le monde a pu voir il y a deux ans, à l’Académie des beaux-
arts d’une des principales villes d’Italie, le moulage du beau bassin des
Amazones par Antoine Yechte, notre compatriote, mort en 1868; ce bas-
sin, placé au milieu de la salle et bien en évidence, portait une étiquette
imprimée avec le nom de Benvenuto Cellini ! Dans un siècle ou deux,
l'ouvrage de Yechte, que ses contemporains ont déjà oublié, deviendra
célèbre, n’en doutez pas; seulement ce sera un Cellini incontestable; il
aura, grâce au patronage de l’Académie italienne, des droits consacrés et
des papiers en règle.
M. Plon a voulu voir les choses de plus près ; il a interrogé tous les
musées, toutes les collections connues et, chaque fois qu’il a rencontré
l’étiquette de Cellini, il a demandé : Qui êtes-vous? faites-moi vos preuves,
montrez-moi votre état civil, vos papiers de famille, vos passeports. L’opé-
ration ne laissait pas que d’être délicate, pensez donc ! Toucher à des
idoles coûteuses, discuter d’anciennes croyances, heurter des amours-
propres et des illusions ! Heureusement M. Plon sait vivre, il y met des
formes, il entoure sa victime de fleurs et massacre avec grâce. Obligé de
discuter les titres de chaque pièce, il profite de l’occasion pour en recon-
stituer l’histoire; il établit autant que possible sa généalogie correcte, lui
refait des aïeux, des preuves et démontre en somme que, si toutes ne
descendent pas de Cellini, elles n’en sont pas moins de bonne maison;
c’est une consolation. Mais quelle hécatombe! sur cent cinquante pièces,
bijoux, orfèvreries, médailles, armes, dessins, bronzes, ivoires, cires
peintes attribués au Florentin, cent quarante au moins restent tout
d’abord sur le carreau ; Cellini n’y est pour rien. Une dizaine au plus
échappent au désastre, encore faut-il faire ses réserves et se contenter de
présomptions. L’entourage d’un camée antique au Cabinet de France,
quelques pièces de jaspe à monture d’or émaillé de la galerie d’Apollon,
le bijou de la collection du duc d’Aumale, deux plaquettes de la Biblio-
thèque Vaticane offrent sans doute de l’analogie avec le faire de Cellini.
La Léda du Cabinet de Vienne paraît être la Léda dont parlent les mé-
moires. Mais la superbe aiguière de lord Cowper n’est-elle pas bien sage
pour notre artiste? L’aiguière et le bassin de Lercarodu palais Coccapani,
magnifiques échantillons de l’orfèvrerie italienne pendant la seconde moi-
tié du xvie siècle, ne sont jamais sortis de son atelier ; nous ne saurions
davantage lui donner le Persée de notre ami le baron Davillier. Cette
belle figure souple, calme, enveloppée, ce corps ondulant et plein de
suc, succi plénum, cette attitude bien équilibrée sans effort et sans tour