Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art (3. Pér. 16.1896)

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GAZETTE DES BEAUX-ARTS

peut présenter la matière longtemps travaillée et il se met en me-
sure de les acquérir, par un effort toujours plus méthodique et
plus lent.

A soumettre l’emploi de ses dons à la règle constante d’un ferme
dessein, l’artiste entrait en possession de cette originalité qui lui a
valu, depuis les Salons du Champ-de-Mars, une place spéciale parmi
les peintres de plein air. L’ensemble considérable réalisé à Jouy-le-
Moutier inaugure dans l’œuvre ce progrès décisif. Aussi bien, jusque-
là, l’occasion n’avait pas encore été donnée à Lepère de peindre son
saoul de l’aurore à la nuit, ni de vivre en étroite communion avec la
nature. C’est pour lui l’ère des découvertes incessantes et d’un labeur
passionné où revit le poème des saisons, les vignes verdissant les
coteaux, la plaine mamelonnée de meules, la campagne grise par les
brouillards, en novembre, puis endormie et comme morte sous son
linceul de neige. Dans toutes ces toiles, vous ne relèveriez pas le
moindre manquement à la doctrine tout à l’heure formulée ; la
saveur de la facture y est recherchée avec autant de soin que le
style du motif et l’intérêt de l’effet lumineux. Deux d’entre elles
méritent d’être classées parmi les plus significatifs paysages de ce
temps : le lever de la lune sur les moissons dans la Vallée de
l’Oise (1883), oppose aux quiètes maisons du bourg à demi enténébré
les champs éclairés par les chauds et doux reflets du couchant ; La
Râpée sous la neige (1883) évoque, au travers des brumes, le quai,
avec ses péniches amarrées dans l’eau boueuse et ses débardeurs qui
allument le feu et se chauffent; car Lepère ne dépeuple pas les sites
qu’il reproduit; le pittoresque de l’humanité ne le charme pas moins
que celui de la nature; chez lui, l’action anime le décor et le peintre
de mœurs vaut le paysagiste. Que, dans la suite, il plante son che-
valet à Marseille, à Alger, sur la berge de la Seine ou sur la plage
vendéenne, qu’il fixe les aspects caractéristiques des capitales de nos
vieilles provinces — le Mascaret, les Quais, la Gironde à Bordeaux,
le Pont de pierre, la Seine vue de Cauteleu, la Rue de l’Epicerie, à
Rouen, — on ne le surprendra jamais inconséquent avec son
principe ou infidèle à la tradition romantique; ses créations ne
cessent pas de proclamer Raffinement de l'appareil optique et l’apti-
tude, toujours accrue, à rendre les harmonies, les nuances, les
contrastes, — les harmonies des feuilles dorées des peupliers avec le
lapis des eaux et l’argent des cieux [les Bords de l’Oise, 1890), la
diaprure de la campagne embrasée aux feux du crépuscule (Cré-
puscide en septembre, 1891), les contrastes entre le soleil et la neige