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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
ont, pour l’artiste, l’empreinte émouvante de la terre natale : c’est là
qu'il est né cependant. Il a de trop beaux dons, peut-être, et celte
aridité d’âme est la rançon de sa sûreté fulgurante d’aperceplion.
Autre exemple : M. Wencker, dans Soir d’été, juxtapose une étude
de servante de ferme, exacte, massive, d’un relief de trompe-l'œil,
avec un lointain fuyant de jardin ensoleillé ; et cela fait deux
tableaux au lieu d’un, car jamais la grosse femme de chair que voilà
ne se pourra promener dans les allées chimériques de la toile de
fond : elle est en dehors. Mais si je rappelle ces méconnaissances du
principe de l’ambiance, ce n’est pas pour désobliger quelque honnête
peintre, c’est afin de faire apprécier l’opportunité du principe même.
En compensation, nous saurons gré à M. Aman-Jean d’avoir noté
dans ses Vénitiennes la caresse, sur les visages, de la lumière
réverbérée dans l’eau. Sur les dalles du quai, vis-à-vis Saint-Gcorgcs-
le-Majcur, deux marchandes d’oranges, à demi dévêtues, se tiennent,
l'une debout, le poing à la hanche, l’autre se baissant, les épaules
hors du corsage, pour rajuster sa sandale ; celle-ci est rousse, la robe
de l’autre est rose; la mer, les voiles brunes, les campaniles de
briques font accompagnement. Eh bien, la peau de ces deux filles,
en particulier de la rousse, est vue dans l’air même de la lagune;
le vent qui gonfle les voiles l’a patinée de haie, en sorte que les
bateaux passant au lointain ne sont pas chose indifférente à l’in-
carnat de ses joues. Voilà l’harmonie.
Mais, entre les figures et le décor, que l’équilibre est délicat à
tenir! Qu’il est difficile de proportionner l'importance de chaque
élément! M. Hitchcock, par exemple, n’a pas tout à fait le droit
d’appeler un de ses tableaux Sainte Geneviève, et l’autre La Fiancée
hollandaise. Dans le premier, la petite paysanne en capeline lilas
n’est qu’un accessoire, au milieu d’une prairie montante, herbue,
où s'érigent ces plantes communes de la solitude, qu’on appelle
bouillon-blanc ; celles-ci ocupent plus l’attention que la sainte
pastoure. Et « la fiancée hollandaise », de même, est de peu d’im-
portance, au milieu des flambants parterres de tulipes de IJaarlem.
Excès inverse : M. Henri Guinier, que la Société des Artistes français
a régalé, l’an passé, d’une bourse de voyage, emporta dans ses
cartons des figures de M. Hébert, et je lui en veux, devant le paysage
exquis de San Gimignano aux belles Tours, dont il date son tableau,
de n’avoir trouvé à peindre qu’une femme à la chevelure épandue
accordant sa lyre parmi les cyprès... Dans une autre composition,
le même peintre timide montre bien, au lointain, les tours vermeilles
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ont, pour l’artiste, l’empreinte émouvante de la terre natale : c’est là
qu'il est né cependant. Il a de trop beaux dons, peut-être, et celte
aridité d’âme est la rançon de sa sûreté fulgurante d’aperceplion.
Autre exemple : M. Wencker, dans Soir d’été, juxtapose une étude
de servante de ferme, exacte, massive, d’un relief de trompe-l'œil,
avec un lointain fuyant de jardin ensoleillé ; et cela fait deux
tableaux au lieu d’un, car jamais la grosse femme de chair que voilà
ne se pourra promener dans les allées chimériques de la toile de
fond : elle est en dehors. Mais si je rappelle ces méconnaissances du
principe de l’ambiance, ce n’est pas pour désobliger quelque honnête
peintre, c’est afin de faire apprécier l’opportunité du principe même.
En compensation, nous saurons gré à M. Aman-Jean d’avoir noté
dans ses Vénitiennes la caresse, sur les visages, de la lumière
réverbérée dans l’eau. Sur les dalles du quai, vis-à-vis Saint-Gcorgcs-
le-Majcur, deux marchandes d’oranges, à demi dévêtues, se tiennent,
l'une debout, le poing à la hanche, l’autre se baissant, les épaules
hors du corsage, pour rajuster sa sandale ; celle-ci est rousse, la robe
de l’autre est rose; la mer, les voiles brunes, les campaniles de
briques font accompagnement. Eh bien, la peau de ces deux filles,
en particulier de la rousse, est vue dans l’air même de la lagune;
le vent qui gonfle les voiles l’a patinée de haie, en sorte que les
bateaux passant au lointain ne sont pas chose indifférente à l’in-
carnat de ses joues. Voilà l’harmonie.
Mais, entre les figures et le décor, que l’équilibre est délicat à
tenir! Qu’il est difficile de proportionner l'importance de chaque
élément! M. Hitchcock, par exemple, n’a pas tout à fait le droit
d’appeler un de ses tableaux Sainte Geneviève, et l’autre La Fiancée
hollandaise. Dans le premier, la petite paysanne en capeline lilas
n’est qu’un accessoire, au milieu d’une prairie montante, herbue,
où s'érigent ces plantes communes de la solitude, qu’on appelle
bouillon-blanc ; celles-ci ocupent plus l’attention que la sainte
pastoure. Et « la fiancée hollandaise », de même, est de peu d’im-
portance, au milieu des flambants parterres de tulipes de IJaarlem.
Excès inverse : M. Henri Guinier, que la Société des Artistes français
a régalé, l’an passé, d’une bourse de voyage, emporta dans ses
cartons des figures de M. Hébert, et je lui en veux, devant le paysage
exquis de San Gimignano aux belles Tours, dont il date son tableau,
de n’avoir trouvé à peindre qu’une femme à la chevelure épandue
accordant sa lyre parmi les cyprès... Dans une autre composition,
le même peintre timide montre bien, au lointain, les tours vermeilles