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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 3. Pér. 22.1899

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Nr. 1
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Renan, Ary: Gustave Moreau, 4
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https://doi.org/10.11588/diglit.24686#0070

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G2

GAZETTE DES BEAUX-ARTS

une passion dont le profane ne saurait se faire une idée ; ils vivent
avec leurs héros dans une muette et fiévreuse communion, et se
résignent avec peine à n’éterniser qu’un moment de la légende et
de l’histoire. Moreau, nous l’avons dit, aime à suivre les péripéties
d’un drame; de la succession des épisodes, il lire, à côté, de l’œuvre
type, des variantes plastiques qui, le plus souvent, sont d’un prix
égal. Il n’abandonne, en un mot, son sujet qu’après en avoir scruté
toutes les beautés latentes. De là cette grande aquarelle (aujourd’hui
au Luxembourg, don Charles IJaycm) où la danse de Salomé s’em-
preint d’un pathétique nouveau ; de là d’autres Salomé encore,
attentives à l’exécution de leur vengeance ou se délectant dans
le forfait accompli.

La grande aquarelle connue sous le nom de L’Apparition est
née du besoin qu’éprouva Moreau d’accentuer la signification fatale
de cette sccne de danse à laquelle il donna d’abord l’allure d’une
cérémonie si compassée, si hiératique et grave. A quoi doit aboutir
la séduction qu’exerce la bayadère impie, sinon au plus inique des
marchés? Quelle faveur arrachera-t-elle au roi surpris, sinon le don
d’une tête saignante en un plat, in disco? Que cette tête apparaisse
donc à Salomé pendant le vertige même de sa danse, comme un
intersigne précédant le crime, et qu’elle voie resplendir déjà devant
elle, dans une gloire de rayons vibrants, la face auguste du martyr!
Que cette confrontation surnaturelle la frappe au cœur d’épou-
vante et de rage, mais que seule elle en ressente les affres, car le
prodige ne saurait être perceptible que pour ses yeux hallucinés !

Dans aucune figure de son œuvre, Moreau n'a mis tant d’accent
tragique, ni tant demandé à une mimique expressive. Celle fois,
Salomé demi-nue, la gorge encerclée d’ors et de gemmes, frissonne
d’un frisson douloureusement humain ; ses membres, arrondis par les
longues siestes oisives, se tordent dans un spasme lancinant et, reje-
tant le corps en arrière, un bras porté au sein, l’autre tendu vers le
vivant météore dont les éclats la transverbèrent, elle souffre par
toutes scs fibres, sans que le roi se trouble dans sa pompe, elle se
pâme en suspens, sans que la mandore se taise. Paroxysme d’horreur
poétique ! La tête d’où stille une rosée de sang, la tête ascétique de
Jean le Précurseur, darde un regard d’acier au fond des yeux de
Satiné...

On dirait que la raison reste prisonnière dans le tournoiement
lent que dessinent ces petits pieds d’ivoire, et, à coup sûr, Moreau
 
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