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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 3. Pér. 22.1899

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Nr. 1
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Renan, Ary: Gustave Moreau, 4
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https://doi.org/10.11588/diglit.24686#0074

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G 6

GAZETTE DES BEAUX-ARTS

la tradition évangélique et de l’histoire ; or, c’est saint Marc qui, plus
détaillé que saint Mathieu, fournit la substance de la tragédie en
termes brefs et prosaïques, et l’on sait que le nom même de la bal-
lerine résulte de l’interprétation douteuse donnée à quelques lignes
obscures de l’historien Josèphe.

J’ai foulé jadis le sol où la forteresse crénelée d’Hérode Antipas
dressa ses tours, et dominé du regard la Mer Morte, le Ghor étince-
lant, le ruban de verdure qui ourle le Jourdain, là précisément où
le Précurseur baptisa Jésus. Dans ce burg, Idérode faisait figure de
tyranneau méchant et vil ; muni de l’intronisation romaine et posté
par la politique de Tibère en garde avancée, au point stratégique de
surveillance des Scénites, ni son château, ni son harem, n’avaient
certes de luxe imposant : et cependant, felix cnlpa ! la légende a
fait d’Hérode un tout-puissant monarque, de l’envergure du Salomon
mythique ; l’imagination lui édifie des palais de féerie, l’art l’emblé-
matise et le pare à l’envi.

Gustave Moreau se sent donc aussi libre devant le texte de
saint Marc qu’il l’est devant ses chers mythographes classiques.
Relèverons-nous, par exemple, qu’au lieu d’étaler une scène d’orgie
terminant un festin, il nous initie au secret spectacle d’une sorte
de cérémonie religieuse, d’exercice solennel accompli comme un
rite au fond d’un gynécée transformé en sanctuaire? D’une danse
après boire il lui faut ennoblir et surhumaniser à tout prix et le
cadre et le geste ; aussi le voit-on colorer la scène d’une horreur
artificielle grâce à des stratagèmes factices et défier tout parallélisme
avec la vraisemblance courante et la précision scientifique. De là
cette architecture composite, dont les éléments généraux sont bien
inspirés par celle de l'Orient musulman et indo-chinois, mais où le
mobilier et la décoration fourmillent de détails hétéroclites, profu-
sion de colonnes portant des keruhim, reliquaires émaillés, brûle-
parfums cloisonnés, jusqu’à cette Diane d’Ephèse que nous avons
invoquée, se découpant au pinacle du trône. De là ce prodigieux
ruissellement de richesses jeté sur la chair des deux Salomé, ces
lourdes orfèvreries de l’Egypte pharaonique qui bruissent sur les
plis du cachemire persan ou du byssus de Tyr.

C’est ici l’Orient des songes, celui qu’évoque la magnificence de
certains noms. Le capiteux mystère qui teinte les pays du soleil
levant d’un chatoiement magique, le vertige des lieux morts et pétri-
fiés des villes disparues, des civilisations anéanties, le mirage enfin
qui transfigure les terres où tant de dieux sont nés, ont subjugué
 
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