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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
nous sommes allés parfois jusqu’à l’indiscrétion. On eût dit qu'il
nous défiait d’abuser de lui. » Et, comme si ce n’était pas encore
assez de tant d’obligations qui lui étaient imposées, il allait de lui-
même au-devant de toutes les entreprises généreuses nées de l'ini-
tiative privée pour les soutenir et les éclairer. Comme président de
la Société de gravure, M. Delaborde, avec son ami, M. G. Duplessis,
a pris la part la plus utile à la fondation et au maintien de cette
Société qui a si puissamment contribué à la rénovation d’un art qu’il
aimait et dont il était jaloux de conserver à la France la supériorité.
L’Académie était justement ficre de l’autorité et de 1a. considéra-
tion respectueuse que tant de services rendus avaient assurée à M. le
comte Delaborde. Elle essayait de lui rendre en gratitude, en révé-
rante et cordiale affection, un peu de ce qu’il faisait pour elle. Se
sentant ainsi entouré, il redoublait de zèle et de dévouement, croyant
qu’il n’en faisait jamais assez. Sa nature, au fond timide et réservée,
était devenue plus expansive. Comme tout ce qui est sorti de sa
plume, ses premières notices académiques, consacrées à la mémoire
des grands artistes disparus, étaient des modèles de conscience, de
mesure et de sincérité. Il y affirmait, dans une langue loyale et claire,
des convictions que l’âge et l’expérience avaient rendues à la fois
plus larges et plus fermes. Avec le sentiment élevé qu’il se faisait
de l’art, il déplorait cette anarchie croissante qui, dans tous les
champs de l’activité humaine, semble le privilège de notre époque.
Intimement convaincu que la véritable indépendance de l’artiste ne
peut résulter que d’une étude opiniâtre, jointe à une sincérité abso-
lue, il répudiait les tentatives audacieuses de ces prétendus nova-
teurs qu^ sans aucune instruction, s’improvisent peintres ou sculp-
teurs et proposent à l’admiration d’un public trop complaisant leurs
productions hâtives ou grotesques.
Il avait confiance que le bon sens français finirait par avoir rai-
son de ces dévergondages esthétiques. Mais, tout en maintenant des
principes de probité, qu’il considérait comme le fondement même de
l’art, il trouvait pour apprécier ses formes les plus diverses une
chaleur plus pénétrante, des accents plus communicatifs, une élo-
quence plus émue. Son âme librement ouverte était devenue — pri-
vilège suprême de sa bonté croissante — toujours plus expansive avec
les années ; à l’âge où la plupart se ménagent, il se donnait toujours
plus. Il avait connu, il avait tendrement aimé les grands maîtres,
dont il parlait avec autant d’autorité que de cœur dans ses dernières
notices, un Gounod, un Ambroise Thomas, un Chapu, un Delaunay,
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nous sommes allés parfois jusqu’à l’indiscrétion. On eût dit qu'il
nous défiait d’abuser de lui. » Et, comme si ce n’était pas encore
assez de tant d’obligations qui lui étaient imposées, il allait de lui-
même au-devant de toutes les entreprises généreuses nées de l'ini-
tiative privée pour les soutenir et les éclairer. Comme président de
la Société de gravure, M. Delaborde, avec son ami, M. G. Duplessis,
a pris la part la plus utile à la fondation et au maintien de cette
Société qui a si puissamment contribué à la rénovation d’un art qu’il
aimait et dont il était jaloux de conserver à la France la supériorité.
L’Académie était justement ficre de l’autorité et de 1a. considéra-
tion respectueuse que tant de services rendus avaient assurée à M. le
comte Delaborde. Elle essayait de lui rendre en gratitude, en révé-
rante et cordiale affection, un peu de ce qu’il faisait pour elle. Se
sentant ainsi entouré, il redoublait de zèle et de dévouement, croyant
qu’il n’en faisait jamais assez. Sa nature, au fond timide et réservée,
était devenue plus expansive. Comme tout ce qui est sorti de sa
plume, ses premières notices académiques, consacrées à la mémoire
des grands artistes disparus, étaient des modèles de conscience, de
mesure et de sincérité. Il y affirmait, dans une langue loyale et claire,
des convictions que l’âge et l’expérience avaient rendues à la fois
plus larges et plus fermes. Avec le sentiment élevé qu’il se faisait
de l’art, il déplorait cette anarchie croissante qui, dans tous les
champs de l’activité humaine, semble le privilège de notre époque.
Intimement convaincu que la véritable indépendance de l’artiste ne
peut résulter que d’une étude opiniâtre, jointe à une sincérité abso-
lue, il répudiait les tentatives audacieuses de ces prétendus nova-
teurs qu^ sans aucune instruction, s’improvisent peintres ou sculp-
teurs et proposent à l’admiration d’un public trop complaisant leurs
productions hâtives ou grotesques.
Il avait confiance que le bon sens français finirait par avoir rai-
son de ces dévergondages esthétiques. Mais, tout en maintenant des
principes de probité, qu’il considérait comme le fondement même de
l’art, il trouvait pour apprécier ses formes les plus diverses une
chaleur plus pénétrante, des accents plus communicatifs, une élo-
quence plus émue. Son âme librement ouverte était devenue — pri-
vilège suprême de sa bonté croissante — toujours plus expansive avec
les années ; à l’âge où la plupart se ménagent, il se donnait toujours
plus. Il avait connu, il avait tendrement aimé les grands maîtres,
dont il parlait avec autant d’autorité que de cœur dans ses dernières
notices, un Gounod, un Ambroise Thomas, un Chapu, un Delaunay,