NOTES SUR BERNARDINO LUINI
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conservés au Duomo de Côme, et à Legnano, par exemple, indis-
cutables, immuables par tradition et par nature, et qui tiennent
souvent de la fresque, par leur composition, leur style et leurs pro-
cédés mêmes.
Il est vrai que certains autres fabricants d’« écoles » ont voulu
placer Luini à la suite de Gaudenzio Ferrari; dans son « Temple de
la Peinture », édifice baroque s’il en fut jamais, Lomazzo proclame
« que Bernardino Lovino imita Gaudenzio Ferrari quant à l’expres-
sion des sujets religieux, attendu que, pour la manière, il fut sem-
blable à Raphaël1 ». Et A.-F. Rio, qui pourtant fut un précurseur
admirable et l’un de nos premiers critiques pour le sentiment pro-
fond de l’art italien, affirme que « le témoignage positif de Lomazzo
met hors de doute cette double imitation ». Il ajoute qu' « elle ne
frappe pas toujours l’observateur au premier abord2 ». J’ai passé
des mois entiers à l’étude de Luini ; l’oracle de Lomazzo m’apparaît
aussi saugrenu, le dernier jour, que le premier. Il est digne d’aller
rejoindre toutes les sentences produites par le même esprit pédan-
tesque, bon à ravir des professeurs, à émailler des cours publics, mais
également étranger à l’art et à la vérité; nul, comme toutes les for-
mules, et vide, et stérile, un axiome pareil n’a pas force de loi
parce qu’il vient de Lomazzo.
Tout ce ramas de conventions s’évanouit devant l’évidence
que donne l’étude sincère au milieu des œuvres originales ; les
racines de l’art ineffable que Luini révéla, s’il faut les chercher,
c’est à Milan, c’est dans les anciens maîtres lombards qu’on les
trouvera. Des peintres à peu près connus, mais dont les ouvrages
sont mal authentiqués, par exemple Yincenzo Foppa, d’autres
encore, anonymes ceux-ci, tels sont les précurseurs directs de
Bernardino Luini ; devant certains tableaux, conservés à Brcra, ce
trésor de merveilles, le doute n’est plus possible : c’est, dès le vesti-
bule, un ange conduisant par la main un enfant (n° 8) 3, peint en
clair-obscur, comme ils disent là-bas ; qu’on le rapproche des gri-
sailles peintes par Luini, pour voir comment cette manière de l’an-
tique école lombarde, cette façon un peu naïve et ronde de poser la
touche se transforme dans la maîtrise audacieuse de notre peintre,
sans que jamais les qualités de grâce et de force naïve disparaissent
1. Idca del tempio délia Pittura di G. P. Lomazzo pittore. Milan, 1590, In-4°,
ch. 37, p. 149.
2. vV.-F. Rio, De l'Art chrétien, nouv. édit. Paris, 1861. In-8°, t. III, p. 249.
3. Catalogo délia Pinacoteca di Milano. Milan, Civelli, 1892, in-12, p. 23.
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conservés au Duomo de Côme, et à Legnano, par exemple, indis-
cutables, immuables par tradition et par nature, et qui tiennent
souvent de la fresque, par leur composition, leur style et leurs pro-
cédés mêmes.
Il est vrai que certains autres fabricants d’« écoles » ont voulu
placer Luini à la suite de Gaudenzio Ferrari; dans son « Temple de
la Peinture », édifice baroque s’il en fut jamais, Lomazzo proclame
« que Bernardino Lovino imita Gaudenzio Ferrari quant à l’expres-
sion des sujets religieux, attendu que, pour la manière, il fut sem-
blable à Raphaël1 ». Et A.-F. Rio, qui pourtant fut un précurseur
admirable et l’un de nos premiers critiques pour le sentiment pro-
fond de l’art italien, affirme que « le témoignage positif de Lomazzo
met hors de doute cette double imitation ». Il ajoute qu' « elle ne
frappe pas toujours l’observateur au premier abord2 ». J’ai passé
des mois entiers à l’étude de Luini ; l’oracle de Lomazzo m’apparaît
aussi saugrenu, le dernier jour, que le premier. Il est digne d’aller
rejoindre toutes les sentences produites par le même esprit pédan-
tesque, bon à ravir des professeurs, à émailler des cours publics, mais
également étranger à l’art et à la vérité; nul, comme toutes les for-
mules, et vide, et stérile, un axiome pareil n’a pas force de loi
parce qu’il vient de Lomazzo.
Tout ce ramas de conventions s’évanouit devant l’évidence
que donne l’étude sincère au milieu des œuvres originales ; les
racines de l’art ineffable que Luini révéla, s’il faut les chercher,
c’est à Milan, c’est dans les anciens maîtres lombards qu’on les
trouvera. Des peintres à peu près connus, mais dont les ouvrages
sont mal authentiqués, par exemple Yincenzo Foppa, d’autres
encore, anonymes ceux-ci, tels sont les précurseurs directs de
Bernardino Luini ; devant certains tableaux, conservés à Brcra, ce
trésor de merveilles, le doute n’est plus possible : c’est, dès le vesti-
bule, un ange conduisant par la main un enfant (n° 8) 3, peint en
clair-obscur, comme ils disent là-bas ; qu’on le rapproche des gri-
sailles peintes par Luini, pour voir comment cette manière de l’an-
tique école lombarde, cette façon un peu naïve et ronde de poser la
touche se transforme dans la maîtrise audacieuse de notre peintre,
sans que jamais les qualités de grâce et de force naïve disparaissent
1. Idca del tempio délia Pittura di G. P. Lomazzo pittore. Milan, 1590, In-4°,
ch. 37, p. 149.
2. vV.-F. Rio, De l'Art chrétien, nouv. édit. Paris, 1861. In-8°, t. III, p. 249.
3. Catalogo délia Pinacoteca di Milano. Milan, Civelli, 1892, in-12, p. 23.