CONQUÊTES ARTISTIQUES DE LA RÉVOLUTION ET DE ITEMPIRE 161
Je suivis la même marche. J’en donnai de suite connaissance à S. A. et la suppliai de
vouloir bien faire cesser l’état où je me trouvais. Voici la copie de ma lettre :
« 10 juillet 1815.
» A S. A. S. le Prince de Talleyrand, président du Conseil. Mgr, depuis la lettre que
j’ai eu l’honneur d’écrire hier à V. A., j’ai reçu encore une fois la visite de M. Jacobi, qui,
sur le récit que je lui fis de tous les moyens inutiles que j'avais pris pour vous joindre,
me dit qu'il attendrait jusqu'à six heures la réponse que je devais recevoir, mais que
passé cette heure, il serait obligé de faire son rapport. Je lui fis observer encore avant, de
le quitter qu'ayant ici M. de Goltz, ambassadeur de Prusse, cette démarche faite par lui
serait plus régulière et obtiendrait un résultat plus prompt et plus précis qu’avec moi qui
ne suis que dépositaire. 11 me répondit que sur cela il n’avait rien à me répondre et qu'il
prendrait des ordres supérieurs.
» À une heure du matin je reçus la lettre, dont je joins ici la copie, avec la garde
qu’elle m’annonçait. L’officier chargé de la commission me dit que j’eusse à procéder de
suite si je voulais éviter une exécution militaire plus sévère encore.
» Pour prévenir toute espèce de scandale au Musée Royal, j’ai fait venir un embal-
leur afin de prendre la mesure des objets les plus considérables, et dès l’heure où le musée
sera fermé, je vais faire transporter les statues et bustes dans le jardin où elles [sic)
seront encaissées.
» J’ose espérer, Monseigneur, que pendant que cette opération va s’effectuer, vous
voudrez bien me transmettre des ordres pour faire cesser l’état où je me trouve. Je vous
fais instamment cette prière.
» Je vous prie, Monseigneur, d’agréer l’hommage de mon respectueux dévouement.
» Signé : Denon. »
« Par cette lettre,VotreExcei.i.ence verra quepouréviter toute mesure coercitive sur le
Musée Royal, je me suis déterminé à faire commencer cette opération. Comme dorénavant
je ne dois correspondre qu’avec Votre Excellence, je la supplie de vouloir bien m’indiquer
la marche que je dois tenir, et chaque jour j’aurai l’honneur de l’informer de ce qui aura
été fait, ou des demandes que cette remise pourra faire naître.
» Agréez, Monseigneur, l’hommage de mon profond respect.
» Denon. »
« P.-S.—Permettez-moi, Monseigneur, de joindre au long rapport une simple réflexion,
c’est que j’ai cru devoir m’abstenir de rien répondre à Monsieur de Ribbcntropp, organe
de M. le Prince Dlücher, dans la crainte de compromettre par une seule expression, soit
le gouvernement, soit moi-même.
» Paris, le 10 juillet 1815. »
» DA
Entre temps Blücher et son armée pillaient les châteaux royaux. Saint-Cloud
était complètement saccagé. Les Prussiens y reprenaient Le Prisonnier en colère,
de Rembrandt; La Vierge et Jésus, de Léonard de Vinci; Le Contrat de mariage, de
Jean Steen ; le Portrait de Guillaume de Nassau, par Terburg, qui leur apparte-
naient. Mais ils s’emparaient en même temps du Portrait de l’Espagnolet, par lui-
même, propriété de l’Autriche et du Passage du Mont Saint-Bernard, par David,
qui était une commande de Tex-gouvernement impérial. A Compiègne, d'autres
tableaux qui n’appartenaient nullement à la Prusse disparaissaient également.
A Fontainebleau, une «précieuse» Iconographie de Visconti était enlevée; enfin,
à Rambouillet, les officiers prussiens volaient jusqu'à une carte des chasses qui
ne pouvait intéresser que les possesseurs du domaine.
Quand le gouvernement français osa enfin protester, le général Blücher
1. Archives Nationales, O® 1429.
XXII. — 3e PÉRIODE
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Je suivis la même marche. J’en donnai de suite connaissance à S. A. et la suppliai de
vouloir bien faire cesser l’état où je me trouvais. Voici la copie de ma lettre :
« 10 juillet 1815.
» A S. A. S. le Prince de Talleyrand, président du Conseil. Mgr, depuis la lettre que
j’ai eu l’honneur d’écrire hier à V. A., j’ai reçu encore une fois la visite de M. Jacobi, qui,
sur le récit que je lui fis de tous les moyens inutiles que j'avais pris pour vous joindre,
me dit qu'il attendrait jusqu'à six heures la réponse que je devais recevoir, mais que
passé cette heure, il serait obligé de faire son rapport. Je lui fis observer encore avant, de
le quitter qu'ayant ici M. de Goltz, ambassadeur de Prusse, cette démarche faite par lui
serait plus régulière et obtiendrait un résultat plus prompt et plus précis qu’avec moi qui
ne suis que dépositaire. 11 me répondit que sur cela il n’avait rien à me répondre et qu'il
prendrait des ordres supérieurs.
» À une heure du matin je reçus la lettre, dont je joins ici la copie, avec la garde
qu’elle m’annonçait. L’officier chargé de la commission me dit que j’eusse à procéder de
suite si je voulais éviter une exécution militaire plus sévère encore.
» Pour prévenir toute espèce de scandale au Musée Royal, j’ai fait venir un embal-
leur afin de prendre la mesure des objets les plus considérables, et dès l’heure où le musée
sera fermé, je vais faire transporter les statues et bustes dans le jardin où elles [sic)
seront encaissées.
» J’ose espérer, Monseigneur, que pendant que cette opération va s’effectuer, vous
voudrez bien me transmettre des ordres pour faire cesser l’état où je me trouve. Je vous
fais instamment cette prière.
» Je vous prie, Monseigneur, d’agréer l’hommage de mon respectueux dévouement.
» Signé : Denon. »
« Par cette lettre,VotreExcei.i.ence verra quepouréviter toute mesure coercitive sur le
Musée Royal, je me suis déterminé à faire commencer cette opération. Comme dorénavant
je ne dois correspondre qu’avec Votre Excellence, je la supplie de vouloir bien m’indiquer
la marche que je dois tenir, et chaque jour j’aurai l’honneur de l’informer de ce qui aura
été fait, ou des demandes que cette remise pourra faire naître.
» Agréez, Monseigneur, l’hommage de mon profond respect.
» Denon. »
« P.-S.—Permettez-moi, Monseigneur, de joindre au long rapport une simple réflexion,
c’est que j’ai cru devoir m’abstenir de rien répondre à Monsieur de Ribbcntropp, organe
de M. le Prince Dlücher, dans la crainte de compromettre par une seule expression, soit
le gouvernement, soit moi-même.
» Paris, le 10 juillet 1815. »
» DA
Entre temps Blücher et son armée pillaient les châteaux royaux. Saint-Cloud
était complètement saccagé. Les Prussiens y reprenaient Le Prisonnier en colère,
de Rembrandt; La Vierge et Jésus, de Léonard de Vinci; Le Contrat de mariage, de
Jean Steen ; le Portrait de Guillaume de Nassau, par Terburg, qui leur apparte-
naient. Mais ils s’emparaient en même temps du Portrait de l’Espagnolet, par lui-
même, propriété de l’Autriche et du Passage du Mont Saint-Bernard, par David,
qui était une commande de Tex-gouvernement impérial. A Compiègne, d'autres
tableaux qui n’appartenaient nullement à la Prusse disparaissaient également.
A Fontainebleau, une «précieuse» Iconographie de Visconti était enlevée; enfin,
à Rambouillet, les officiers prussiens volaient jusqu'à une carte des chasses qui
ne pouvait intéresser que les possesseurs du domaine.
Quand le gouvernement français osa enfin protester, le général Blücher
1. Archives Nationales, O® 1429.
XXII. — 3e PÉRIODE
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