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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 3. Pér. 22.1899

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Nr. 3
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Dilke, Emilia Francis Strong: Chardin et ses œuvres à Potsdam et à Stockholm, 1
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https://doi.org/10.11588/diglit.24686#0190

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178

GAZETTE DES BEAUX-ARTS

a le rare bonheur de se sentir vivre sans effort et sans souci.

Je remercie de tout cœur mes amis de France pour l'insigne
confiance qu’ils me témoignent et tiens à m’associer au vœu formé
par eux à propos d’un si glorieux anniversaire, j’entends celui
de voir s’ouvrir une exposition d’œuvres de Chardin. Paris s’hono-
rera en accordant cet honneur à son peintre, au maître qui, dans
le plus beau moment de la belle folie du xvme siècle, consacra son
art à nous parler de tout ce qu'il y a de fort, de vrai, d’immuable-
ment juste dans les profondeurs de l’âme française, troublée quel-
quefois, peut-être, par le bruit éphémère de vaines controverses;
mais seulement assez, il semble, pour tromper ceux qui ne regardent
que la surface des hommes et des choses.

Le point faible — ou, si l’on veut, le charme — de l'art du
xvnT' siècle réside précisément dans l’asservissement de cet art à la
mode, dans son étroit parallélisme avec les façons du jour; or, ce
trait distinctif manque à l’œuvre de Chardin'. Les divertissements de
galante compagnie, les pompes et les vanités des plaisirs mondains
n’attirent pas celui-ci ; scs sentiments l’entraînent vers les scènes
discrètes de la domesticité journalière, vers les aimables soins de la
vie quotidienne. De loin en loin, à la vérité, les peintres d'une école
antérieure interrompaient leurs travaux plus austères pour ouvrir,
mais un instant seulement, les portes de leur demeure : en ce genre,
Noël Coypel s’est représenté lui-même à son chevalet, avec sa
petite-tille Madeleine-Suzanne assise sur une chaise à scs côlés
(Musée de Besançon, n° 108), et il a rendu d’une manière ravissante
la tendre fraîcheur du visage de l’enfant ; mais un pareil exemple
de vie intime exposé à tous les yeux était rare alors et, par la suite,
du vivant de Chardin, de tels sujets ne tentaient plus personne.

La sobriété et la tenue artistiques dont Noël Coypel avait reçu la
tradition de Vouet se retrouvent dans l’œuvre de son fils Noël-
Nicolas, le maître de Chardin, et c’est, je pense, à leur influence que
Chardin fut, en grande partie, redevable des qualités qui le distin-
guent des peintres plus en vue que lui de sa génération. Il n’est
point tant un peintre français du xvme siècle qu’un peintre français
tout court, pur de type et de race. Bien qu'il ait choisi des sujets qui
mettaient en jeu la classe sociale le plus modeste et la moins pré-
tentieuse, il apporta à les interpréter non seulement une profondeur

1. 1699-1779. Agréé et reçu de l’Académie royale, le 25 septembre 1728 ;
conseiller, le 28 septembre 1743 ; trésorier, le 31 mars 1752.
 
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