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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
une nature si bien préparée à en éprouver la poétique influence, à
en ressentir toutes les séductions.
Un interminable ballet à figuration nombreuse et variée, donné
jadis au théâtre San Carlo, à Naples, mettait en scène van Dyck en
Italie. Débarquantà Gènes, le jeune héros de ce livret chorégraphique
passait d’extase en extase, d’enchantement en enchantement. C’était
puéril, mais, après tout, peu distant de la réalité, et j’y ai souvent
songé depuis. Qu'on s’image donc notre jeune homme avide d’im-
pressions nouvelles, résolu à tout entreprendre, élégant, bien fait,
que les Italiens eux-mêmes surnommeront Pitlore cavalleresco,
artiste dans l'aine, transporté comme par magie au sein d’une société
d’élite, peuplant de grandes images ces demeures princières que son
maître a fait graver pour l'instruction et la culture du goût de ses
compatriotes, trouvant autour de soi et sans le chercher le plus
merveilleux assemblage d’éléments pittoresques, cavaliers de grande
allure et de haute mine, femmes de beauté idéale, dont la dignité se
tempère de grâce, somptueux atours, riches tentures, terrasses de
marbre, rideaux de velours et de soie dont les plis soulevés laissent
voir au loin le mer étincelante ; un rêve réalisé !
Il fallut un van Dyck pour perpétuer de tels prestiges, et l’on
est presque enclin à se demander si le hasard seul a si bien fait
les choses ou si — la correspondance encore égarée de l’artiste
nous le dira peut-être un jour — quelque ami clairvoyant ne lui a
pas indiqué ce lieu privilégié ; ou si, mieux encore, on ne l’y a
pas appelé, comme précédemment on avait sollicité sa présence à
Londres, peut-être pour y recueillir la succession de Paul van Somer,
succession que devait recueillir Mytens, un des parents du défunt.
Quoi qu’il en soit, lié avec Paggi, ami de Rubens, principal peintre
de Gènes et membre de l’aristocratie lui-même, van Dyck fut bientôt
le commensal des plus nobles maisons, à l’illustration desquelles il
a si largement contribué.
Peu nombreux, mais bien dignes de leur auteur, les échan-
tillons de la période que les historiens appellent période génoise de
van Dyck se signalent à l’exposition par leur air de noblesse, la
coupe et le bon goût des ajustements. Sous plus d’un rapport, ils
font songer à Velâzquez, moins par l’exécution que par la majesté
qui les environne et l’apparence quelque peu exotique du costume.
L’Angleterre qui, on le sait, détient quelques-unes des plus
nobles pages de cet époque de la vie de van Dyck, a compris dans
son envoi une œuvre grandiose, une des merveilles de cette riche
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
une nature si bien préparée à en éprouver la poétique influence, à
en ressentir toutes les séductions.
Un interminable ballet à figuration nombreuse et variée, donné
jadis au théâtre San Carlo, à Naples, mettait en scène van Dyck en
Italie. Débarquantà Gènes, le jeune héros de ce livret chorégraphique
passait d’extase en extase, d’enchantement en enchantement. C’était
puéril, mais, après tout, peu distant de la réalité, et j’y ai souvent
songé depuis. Qu'on s’image donc notre jeune homme avide d’im-
pressions nouvelles, résolu à tout entreprendre, élégant, bien fait,
que les Italiens eux-mêmes surnommeront Pitlore cavalleresco,
artiste dans l'aine, transporté comme par magie au sein d’une société
d’élite, peuplant de grandes images ces demeures princières que son
maître a fait graver pour l'instruction et la culture du goût de ses
compatriotes, trouvant autour de soi et sans le chercher le plus
merveilleux assemblage d’éléments pittoresques, cavaliers de grande
allure et de haute mine, femmes de beauté idéale, dont la dignité se
tempère de grâce, somptueux atours, riches tentures, terrasses de
marbre, rideaux de velours et de soie dont les plis soulevés laissent
voir au loin le mer étincelante ; un rêve réalisé !
Il fallut un van Dyck pour perpétuer de tels prestiges, et l’on
est presque enclin à se demander si le hasard seul a si bien fait
les choses ou si — la correspondance encore égarée de l’artiste
nous le dira peut-être un jour — quelque ami clairvoyant ne lui a
pas indiqué ce lieu privilégié ; ou si, mieux encore, on ne l’y a
pas appelé, comme précédemment on avait sollicité sa présence à
Londres, peut-être pour y recueillir la succession de Paul van Somer,
succession que devait recueillir Mytens, un des parents du défunt.
Quoi qu’il en soit, lié avec Paggi, ami de Rubens, principal peintre
de Gènes et membre de l’aristocratie lui-même, van Dyck fut bientôt
le commensal des plus nobles maisons, à l’illustration desquelles il
a si largement contribué.
Peu nombreux, mais bien dignes de leur auteur, les échan-
tillons de la période que les historiens appellent période génoise de
van Dyck se signalent à l’exposition par leur air de noblesse, la
coupe et le bon goût des ajustements. Sous plus d’un rapport, ils
font songer à Velâzquez, moins par l’exécution que par la majesté
qui les environne et l’apparence quelque peu exotique du costume.
L’Angleterre qui, on le sait, détient quelques-unes des plus
nobles pages de cet époque de la vie de van Dyck, a compris dans
son envoi une œuvre grandiose, une des merveilles de cette riche