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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
anges, on croit voir, sur le trumeau d’un portail, une suite de figu-
rines athéniennes descendues de la balustrade qui entoure, au sommet
de l’Acropole, la chapelle de Pallas Nike.
Ainsi le sculpteur de Chartres, d’Amiens et de Reims, semble
user, comme il lui plaît, des motifs qu'offrent à sa fantaisie les
formes végétales et animales de la nature visible et aussi la foule
des anges qui sont l’ornement de la création invisible et comme le
décor vivant du paradis. Mais dès qu’il s’agit de représenter, au
moyen de figures humaines, une histoire sacrée, une légende de saint,
une allégorie théologique ou morale, non seulement l’artiste respecte
les indications essentielles de l’iconographie traditionnelle, mais
encore il ne songe à introduire dans les pieux spectacles qu’il met en
scène aucun personnage inutile à l’action et à la leçon.
Ces remarques, que nous tirons d’une analyse sommaire de la
sculpture française du xme siècle, nous pourrions les répéter presque
textuellement à propos de l’art toscan du xiv°. Un Giotto, un Andrea
Pisano, maintiennent entre l’uniformité solennelle de la tradition et
la confusion tumultueuse de la vie le même compromis que les ima-
giers des cathédrales. Le peintre florentin, dont l’action personnelle
ébranla toutes les écoles d’artistes, du nord au sud de l’Italie, ne rompit
point dédaigneusement avec les leçons des Grecs qui avaient été, au
xme siècle, les maîtres de la Toscane. La plupart des compositions
qu’il animait d’une vie toute nouvelle reproduisaient encore, dans
leurs grandes lignes, le schéma byzantin. Celles que Giotto imagina
lui-même sont plus simples encore et plus concentrées que celles qu’il
a empruntées à une tradition séculaire. Pas un personnage, pas un
geste, pas un détail de décor ne sont inutiles à l’effet de la scène que le
grand dramaturge a suspendue au moment le plus pathétique. Rien
n’est donné à la vaine curiosité des yeux; tout parle à l’esprit capable
d’accueillir de telles paroles, tout est expression, tout est pensée.
Dans la chapelle de l’Arena, à Padoue, l’éloquence la plus simple et
la plus grave qu’un artiste ait jamais possédée peut provoquer
encore les émotions les plus profondes que Part chrétien soit capable
d’inspirer. Les leçons du grand simplificateur, au génie classique,
imposèrent pour un siècle aux artistes de Florence l’habitude chré-
tienne de ne point peindre ou sculpter une figure qui n’eût une âme.
Et du vivant de Donatello, l’art tout pénétré de foi, qui successivement
avait reçu son expression parfaite dans les cathédrales françaises et
dans les fresques toscanes, reprit à Florence une jeunesse nouvelle.
Le saint de Fiesole et Lucca délia Robbia, le Fra Angelico de la sculp-
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anges, on croit voir, sur le trumeau d’un portail, une suite de figu-
rines athéniennes descendues de la balustrade qui entoure, au sommet
de l’Acropole, la chapelle de Pallas Nike.
Ainsi le sculpteur de Chartres, d’Amiens et de Reims, semble
user, comme il lui plaît, des motifs qu'offrent à sa fantaisie les
formes végétales et animales de la nature visible et aussi la foule
des anges qui sont l’ornement de la création invisible et comme le
décor vivant du paradis. Mais dès qu’il s’agit de représenter, au
moyen de figures humaines, une histoire sacrée, une légende de saint,
une allégorie théologique ou morale, non seulement l’artiste respecte
les indications essentielles de l’iconographie traditionnelle, mais
encore il ne songe à introduire dans les pieux spectacles qu’il met en
scène aucun personnage inutile à l’action et à la leçon.
Ces remarques, que nous tirons d’une analyse sommaire de la
sculpture française du xme siècle, nous pourrions les répéter presque
textuellement à propos de l’art toscan du xiv°. Un Giotto, un Andrea
Pisano, maintiennent entre l’uniformité solennelle de la tradition et
la confusion tumultueuse de la vie le même compromis que les ima-
giers des cathédrales. Le peintre florentin, dont l’action personnelle
ébranla toutes les écoles d’artistes, du nord au sud de l’Italie, ne rompit
point dédaigneusement avec les leçons des Grecs qui avaient été, au
xme siècle, les maîtres de la Toscane. La plupart des compositions
qu’il animait d’une vie toute nouvelle reproduisaient encore, dans
leurs grandes lignes, le schéma byzantin. Celles que Giotto imagina
lui-même sont plus simples encore et plus concentrées que celles qu’il
a empruntées à une tradition séculaire. Pas un personnage, pas un
geste, pas un détail de décor ne sont inutiles à l’effet de la scène que le
grand dramaturge a suspendue au moment le plus pathétique. Rien
n’est donné à la vaine curiosité des yeux; tout parle à l’esprit capable
d’accueillir de telles paroles, tout est expression, tout est pensée.
Dans la chapelle de l’Arena, à Padoue, l’éloquence la plus simple et
la plus grave qu’un artiste ait jamais possédée peut provoquer
encore les émotions les plus profondes que Part chrétien soit capable
d’inspirer. Les leçons du grand simplificateur, au génie classique,
imposèrent pour un siècle aux artistes de Florence l’habitude chré-
tienne de ne point peindre ou sculpter une figure qui n’eût une âme.
Et du vivant de Donatello, l’art tout pénétré de foi, qui successivement
avait reçu son expression parfaite dans les cathédrales françaises et
dans les fresques toscanes, reprit à Florence une jeunesse nouvelle.
Le saint de Fiesole et Lucca délia Robbia, le Fra Angelico de la sculp-