AUTOUR DE DONATELLO
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les étapes do la vie de saint François, on reconnaît quelques portraits
dont l’artiste s’est complu à accentuer les profils. L’apparition de ces
contemporains du peintre, dans le nombre des assistants qui con-
templent en croyants les mystères de l’Evangile et les miracles des
saintes vies, est peut-être le premier indice des transformations
profondes qui vont se produire dans l’art italien.
Du vivant de Giotto, les peintres siennois s’enhardissent à
représenter dans des séries de scènes pieuses des personnages qui
ne concourent pas à l’action ; ces artistes, épris avant les Flo-
rentins des couleurs précieuses et des riches parures, se divertis-
sent à détailler les costumes compliqués et les cortèges brillants :
telle Crucifixion de Pietro Lorenzetti, à Assise, est envahie par un
escadron d’hommes d’armes aux casques prodigieux. A la fin du
xiv° siècle, les peintres de Vérone, Avanzo et Altichieri, ces ancêtres
de Pisanello, déploient sur les murs de deux chapelles de Padoue
des scènes peuplées de nombreux personnages, où déjà les histoires
de sainte Catherine et de saint Georges semblent n’êlre qu’un
prétexte à des exhibitions de cavaliers bariolés et de guerriers
exotiques. Et, à mesure que l’art du xv° siècle s’épanouit, la foule
indifférente gagne du terrain dans les représentations religieuses ;
les spectateurs encombrent l’estrade du « mystère ». Benozzo Gozzoli,
qu’il représentât les rois Mages ou la vie de saint Augustin (San
Gimignano), restait le peintre des animaux bigarrés, des badauds
aux mines naïves et des cortèges princiers ; le bon Ghirlandajo faisai t
une place dans les scènes de la vie du Baptiste pour tous les amis
des Médicis. Or, ce qui nous paraît aujourd’hui une innocente et
charmante fantaisie d’artistes, émut d'indignation les âmes rares en
qui revivait encore le christianisme ancien : la présence des por-
traits de contemporains dans les peintures religieuses fut dénoncée
comme une des impiétés de l’art florentin par la redoutable voix de
Savonarole.
Donatello, plus hardi cent fois que les peintres doux et graves
qui ont attiré sur leur tête les anathèmes du dominicain, ne mêla
point aux scènes sacrées la vie familière et quotidienne, mais il laissa
envahir ses bas-reliefs par un flot vivant de figures nues ou enve-
loppées de draperies qui semblaient collées aux membres par un
vent de tempête. Le premier entre les artistes toscans, il troubla
l’ordonnance des saintes tragédies en y jetant une foule, non point
pour prendre occasion de ciseler des détails de costume ou de
modeler des portraits, mais pour se donner la joie de caresser les
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XXII. — 3e PÉRIODE.
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les étapes do la vie de saint François, on reconnaît quelques portraits
dont l’artiste s’est complu à accentuer les profils. L’apparition de ces
contemporains du peintre, dans le nombre des assistants qui con-
templent en croyants les mystères de l’Evangile et les miracles des
saintes vies, est peut-être le premier indice des transformations
profondes qui vont se produire dans l’art italien.
Du vivant de Giotto, les peintres siennois s’enhardissent à
représenter dans des séries de scènes pieuses des personnages qui
ne concourent pas à l’action ; ces artistes, épris avant les Flo-
rentins des couleurs précieuses et des riches parures, se divertis-
sent à détailler les costumes compliqués et les cortèges brillants :
telle Crucifixion de Pietro Lorenzetti, à Assise, est envahie par un
escadron d’hommes d’armes aux casques prodigieux. A la fin du
xiv° siècle, les peintres de Vérone, Avanzo et Altichieri, ces ancêtres
de Pisanello, déploient sur les murs de deux chapelles de Padoue
des scènes peuplées de nombreux personnages, où déjà les histoires
de sainte Catherine et de saint Georges semblent n’êlre qu’un
prétexte à des exhibitions de cavaliers bariolés et de guerriers
exotiques. Et, à mesure que l’art du xv° siècle s’épanouit, la foule
indifférente gagne du terrain dans les représentations religieuses ;
les spectateurs encombrent l’estrade du « mystère ». Benozzo Gozzoli,
qu’il représentât les rois Mages ou la vie de saint Augustin (San
Gimignano), restait le peintre des animaux bigarrés, des badauds
aux mines naïves et des cortèges princiers ; le bon Ghirlandajo faisai t
une place dans les scènes de la vie du Baptiste pour tous les amis
des Médicis. Or, ce qui nous paraît aujourd’hui une innocente et
charmante fantaisie d’artistes, émut d'indignation les âmes rares en
qui revivait encore le christianisme ancien : la présence des por-
traits de contemporains dans les peintures religieuses fut dénoncée
comme une des impiétés de l’art florentin par la redoutable voix de
Savonarole.
Donatello, plus hardi cent fois que les peintres doux et graves
qui ont attiré sur leur tête les anathèmes du dominicain, ne mêla
point aux scènes sacrées la vie familière et quotidienne, mais il laissa
envahir ses bas-reliefs par un flot vivant de figures nues ou enve-
loppées de draperies qui semblaient collées aux membres par un
vent de tempête. Le premier entre les artistes toscans, il troubla
l’ordonnance des saintes tragédies en y jetant une foule, non point
pour prendre occasion de ciseler des détails de costume ou de
modeler des portraits, mais pour se donner la joie de caresser les
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XXII. — 3e PÉRIODE.