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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 3. Pér. 22.1899

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Nr. 5
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Renan, Ary: Gustave Moreau, 5
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https://doi.org/10.11588/diglit.24686#0437

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GUSTAVE MOREAU

415

Elle est reine assurément, dans la majesté de sa grâce superbe,
celle qui marche seule sur les remparts de cette haute cité. A sa
despotique langueur, à je ne sais quelle passivité hautaine se mar-
que sa noblesse. Elle est reine et semble captive; scs doigts retien-
nent une fleur cueillie dans un mystérieux jardin suspendu, loin
de ces terrasses crénelées ; son vi-
sage n’exprime aucune anxieuse
contrainte ; et pourtant, elle ne sait
rien de l'heure ; sa pensée vole an
loin; ses yeux interrogent les plai-
nes familières, cherchent sur l’ho-
rizon des présages ou des souvenirs :
yeux sans colère et sans regrets,
sans désir et sans pitié, qui, ce
semble, ne se sont jamais humiliés
ni mouillés de pleurs; car, si les
détresses humaines peuvent atten-
drir parfois les Olympiens eux-
mêmes, cette femme n’a pas de
regard pour le deuil qui monte au
bord de son manteau. Ainsi mar-
chent insensibles ceux que la Né-
mésis guide occultement par la
main, les dociles et froids servi-
teurs des rancîmes divines.

Or, ce que ne daigne point voir
cette royale esclave, c’est l’agonie
d’un peuple éperdu. Un enlacement
de victimes navrées à mort se dé-
noue à ses pieds, comme accourt se
briser sur le roc une vague. On
s’est battu tout le jour ; la guerre mugit autour des murs, et, d’un
dernier élan, les vaincus viennent s’amonceler là, souhaitant dans
leur cœur d’expirer à cette place où passe chaque soir une prome-
neuse si belle. On dirait qu’ils se sont rués sur un bûcher volontaire.
L 'hommage de leur vie, que ces guerriers, ces princes, ces poètes
adressent en vain à l’idole errante, se lit sur leurs fronts ; un vague
sourire passe sur leurs traits blêmis ; leurs membres paralysés se
détendent, leurs lèvres s’amollissent, et de l’hécatombe où ces étranges
victimes se sont offertes s’exhalent, non des imprécations ni d’amères

VARIANTE DE L «.< HELENE »
Par Gustave Moreau.
 
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