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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 3. Pér. 22.1899

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Nr. 6
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Renan, Ary: Gustave Moreau, 6
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https://doi.org/10.11588/diglit.24686#0505

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GAZETTE DES BEAUX-ARTS

auguste, le second n’eut jamais de temples, et, si la poésie des
grands âges exalta son nom fatidique, il est retombé dans l’oubli.

Gustave Moreau a noblement restauré l’image du Titan, et j’ose
dire qu’à la réflexion c’est le fait d’une intuition philosophique bien
profonde chez un peintre. Certes, il n’a connu ni les travaux critiques
d’un Adalbert Kuhn, d’un Cox ou d’un Max Muller, ni ceux d’un
Burnouf, d’un Maury, d’un Bréal ; cependant, il possède., pour ainsi
dire, la clef des mythes fondamentaux; il va tout droit aux plus
purs; il les suit, dans leur féconde expansion, de THimalaya jusqu’aux
plaines d’Hellas. On dirait, à voir la majesté qu’il leur conserve,
qu’il a été lecteur informé de YAvesla ou du Rig-Véclci, et combien
affaiblie, pourtant, la poésie des livres sacrés de l’Orient pouvait
arriver à son oreille ! C’est vraiment comme il l’a fait qu’il faut désor-
mais, sous peine de la travestir, retracer la légende archaïque ; mais
une telle divination, d'où vint-elle inspirer le peintre solitaire ?

Le grand Prométhée, exposé en 1869, est loin d’avoir la perfec-
tion plastique des quatre œuvres maîtresses qui l’avaient précédé ;
son galbe est plutôt lourd, et nous préférons interroger la très petite
aquarelle que nous avons reproduite, et où la figure du martyr
païen esl empreinte d’un si fier ascétisme ; il s'en dégage une solen-
nité sans égale. Lié à la cime des monts, indifférent au vautour qui
ronge son foie vif, Prométhée, comme un pilote à l’avant du navire,
tend vers l’horizon son beau buste souffrant, sa face où luit un indomp-
table espoir, un regard d’orgueil et d’amour. « Zeus, avec tout cela,
ne me tuera pas », a dit le révolté ; un libérateur approche et trente
mille ans de supplice ne comptent pas pour qui prévoit la chute de
l’Olympe. D’ailleurs, le feu dérobe brille à son front; cette langue
de flamme, c’est l’éclair qu'il emprisonna dans la férule, c’est le
maître des mondes, Agni !

Les vieux hymnes de Y Av esta ont glorifié l’Epiphanie du feu ;
Eschyle n’a pas craint de montrer sur la scène le Titan délivré, au
heures où Athènes était assez libre pour élever parfois des autels au
<( Dieu inconnu » ; le christianisme même révéra Prométhée comme
un précurseur : « Verus Prometheus, Deus omnipotens, blasphemiis lan-
cinatus», s’écriaitTertullien montrant leChrist aux Gentils ; mais l’art
fut ingrat pour le sombre prophète. On a supposé, d’après deux des-
sins, que Michel-Ange voulait lui faire une place aux voûtes de la
Sixtine, à côté des Sibylles; sans doute la censure pontificale eût mal
accueilli une pareille figure, et, depuis, aucun peintre n’a plus perçu
l’admirable symbole. 11 était réservé à Gustave Moreau d’en tirer une
 
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