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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 3. Pér. 22.1899

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Nr. 6
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Renan, Ary: Gustave Moreau, 6
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https://doi.org/10.11588/diglit.24686#0509

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GAZETTE DES BEAUX-ARTS

pareille occasion — et nous allons bientôt le constaler à loisir —
une substance étrangement solide en sa ductilité.

Les amours grandioses par lesquelles le mythe a symbolisé
l’hymen mystérieux des créateurs avec la création tiennent tantôt
du drame et tantôt de l’idylle ; ce sont, en quelque sorte, les pre-
miers des romans. Gustave Moreau, de ses premières à ses dernières
années, en tira de beaux épisodes, noblement relevés au-dessus de
l’anecdote. En 1869, il exposait un Jupiter et Europe (g. m.), dont
toutes les parties ne sont pas d’une égale originalité, et qui dénote
un souci de stylisation quelque peu académique. Peu après, la scène
de l’enlèvement divin lui sourit plus heureusement, parée de grâces
plus libres ; la petite variante du musée du Luxembourg (don Charles
Hayem) est, en eiïet, un morceau d’exquis abandon, de suave émo-
tion poétique. — A la même famille se rattachent les diverses Pasi-
phaé, secouées du tourment surhumain qui point leur chair enfiévrée.
— Enfin, l’enlèvement de Déjanire a bien séduit Moreau ; seule-
ment, il semble qu’il ait voulu tempérer et allégoriser la brutalité
du mythe : le centaure, dont il a voulu réhabiliter la noblesse
obscurcie, est devenu Y Automne ravissant à la terre la clarté pure
de l’été pour la cacher dans la profondeur des grands bois endormis.

LES FABLES DE LA FONTAINE

Si nous avons pu donner une idée du secret royaume où la
pensée de Gustave Moreau a constamment habité, on sera surpris
d'abord de voir le peintre des légendes mortes devenir, par aventure,
l’illustrateur dévot d’un livre que tous les écoliers ont entre les
mains, les Fables de La Fontaine. Rien que le souvenir des estampes
faciles composées par une pléiade d’artistes fort peu spéculatifs
pour les éditions innombrables du livre où l’on apprend à lire semble
entraîner l’esprit bien loin des images en quelque sorte religieuses
au milieu desquelles nous vivions à l’instant. Mais on s’apercevra
vite que ce « voyage aux Antipodes », comme disait le siècle dernier,
a ramené le mythologue passionné à son point de départ, à son
domaine favori. Les soixante aquarelles qu’il exécuta, en quatre
ans, d’après les Fables les plus célèbres, donneraient à elles seules
la mesure de son génie propre et nous offrent, sous un format
restreint, la pure essence de sa doctrine esthétique.

C’est qu’un malentendu séculaire a terni le sens vrai de la fable,
et ce malentendu abusa Moreau le premier. Sollicité par une insis-
 
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