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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 3. Pér. 22.1899

DOI issue:
Nr. 6
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Renan, Ary: Gustave Moreau, 6
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https://doi.org/10.11588/diglit.24686#0513

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GAZETTE DES BEAUX-ARTS

complet en soi? Ailleurs, l’Orient des Mille et une nuits l’inspira
directement dans Le Songe d’un habitant du Mogol, La Chatte méta-
morphosée en femme, Le Rat et ïEléphant, etc., et, d’autres fois,
d’une façon imprécise, à l'état de senteur subtile. Comment s’en
étonner, puisque le livre où l’Orient s’ébat en toute liberté n’est
lui-même qu’un recueil de fables et que la moindre merveille est
d’y voir les arbres chanter, l’eau parler, les pierres précieuses s’ai-
mer, les tleui’s proposer des énigmes, tous symboles dont nous ne
saisissons plus la trame déliée — autant vouloir retrouver le sillage
de l’oiseau dans les airs? — Et cependant, lorsque la fable évoque
la simple figure de l’homme et l’image de l’animal, en leur quotidien
compagnonnage, Moreau, comme emporté par son élan, ne déchoit
pas ni ne s’embarrasse. On doit placer l’illustration des fables les
plus humbles et les plus plébéiennes au même niveau que celle des
thèmes en apparence plus relevés. La Mort et le Bûcheron, L’Huître
et les Plaideurs, Les deux Pigeons, Le Voyageur et le Torrent, Le
Singe et le Thésauriseur (on croirait d’une eau-forte de Rembrandt),
Le Savetier et le Financier, etc., ont excité la verve et réveillé l’émo-
tion du peintre qui craignait tant de s’abaisser. Hominem pagina
sapit, convient-il de dire ici, avec respect. Enfin, quand l’animal seul
reste en scène, I intelligente observation de Moreau, son habileté à
extérioriser le drame suppléent, et ses pinceaux ennoblissent juste
autant qu’il convient ce qu’ils touchent. Je n’en veux pour exemple
que Le Singe et le Dauphin, car on sent de reste combien ses recher-
ches antérieures disposaient le peintre à traiter royalement la clien-
tèle animale des Fables.

Jetons, en effet, un regard en arrière. Gustave Moreau n’a si
savamment combiné la vivante architecture des monstres de la mytho-
logie que par l’intérêt grand qu’il porte, en imitation des Anciens,
à la plastique de la bête, aux qualités propres de chaque organisme
animal. Nous l’avons vu équilibrer, modeler, ciseler à la perfection
des êtres de raison tels que la sphynge thébaine, la guivre de Col-
chide, la chimère et le centaure, l’hydre et la sirène, le dragon
ailé ; pour la plupart, ce sont des incarnations du Génie du mal ;
mais Iblis n’est pas seulement artisan de ruse, il est aussi artiste
raffiné. Le maître a donc construit ces entités fabuleuses avec des
éléments mûrement choisis dans la faune naturelle; et ce fut pour
lui mieux qu’un jeu, ce fut une application de son goût d’analyste.
Très peu de peintres de style ont étudié avec le sérieux qu’elle mérite
la coordination vitale des espèces zoologiques; presque aucun n’a
 
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