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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 3. Pér. 22.1899

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Nr. 6
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Renan, Ary: Gustave Moreau, 6
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https://doi.org/10.11588/diglit.24686#0522

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496

GAZETTE DES BEAUX-ARTS

Cependant, de toutes les chimères qu’il a aimées et caressées lui-
même, celle que Gustave Moreau suivit le plus fidèlement est celle
qui le guidait dans le dédale de la fable antique. 11 est naturel qu’à
la fin d’une vie presque uniquement vouée à la pénétration du mythe
grec, il ait vu se creuser de plus en plus devant lui les profondeurs
du panthéisme philosophal. Durant ses dernières heures d’activité,
le bouillonnement de son invention ne se contient plus. Il se rue à
l'assaut de l’abstraction légendaire. Les stratagèmes plastiques aux-
quels il avait conservé jusque-là un rôle subordonné prédominent
sans contrôle. Voici que le grand Pan, dans qui se confondent tous
les germes, se dévoile à ses yeux ; il discerne des pulsations au sein
de la matière fécondée; il s’attaque aux plus redoutables synthèses
et donne place à l'atome lui-même dans la divine hiérarchie.

La dernière œuvre qu’il ait signée en état de complet achève-
ment est datée de 1896. Malgré ses grandes dimensions, elle fut
composée et dessinée en quatre mois. Si l’on se souvient de la para-
phrase que nous avons reproduite et où le peintre définit le thème
d’une Léda projetée, on nous pardonnera d’éprouver quelque hési-
tation à décrire la Sémélé ; mais nous n’en éprouvons aucune à
avouer que l’aspect surnaturel de l’œuvre en fait un monument
plastique absolument unique. Elle est imprégnée de pénombre et
traversée de rayons ; la couleur s’y émiette en mouvantes mosaïques;
on dirait d’un cachemire diapré sur lequel ondulent des lianes et
fourmillent des étoiles.

Sémélé ! Au centre d’architectures aériennes, colossales, sans
bases ni faîte, couvertes d'une flore animée et se découpant sur
l’azur semé d’astres, le dieu se manifeste à la créature. Nul mortel
ne peut contempler la face de son Dieu, et pourtant la créature
aspire à connaître son créateur. Jupiter, maître souverain de l’Ether,
porte sur ses genoux son amante, une petite poupée humaine perdue
dans ses hras infinis; mais ce jouet si frêle, cette argile pétrie par
lui-même, le dieu va la réduire en cendre, l’annihiler par l'irradia-
tion de sa majesté. Devant le spectacle de Sémélé tordue et fou-
droyée, le démon terrestre aux pieds de bouc s’enfuit.

Alors, un frisson secoue le cosmos entier. La consommation de
l’hymen mystique, l’absorption de l’être par le dieu est le signal
d’une transformation universelle, à laquelle participent jusqu’aux
ébauches informes qui sont les stades de l’évolution naturelle.
Satyres, faunes, dryades, se dégagent du limon terrestre, gagnent les
sommets, se métamorphosent en génies aux ailes éployées.
 
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