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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
qui comprend plus d’un siècle : du milieu du xvie au milieu du xvnc. 11 faudrait
citer toute la conclusion, où l’auteur analyse et compare, avec autant de goût
que de science, les caractères très différents des deux grandes écoles du grand
siècle, — celle de la Vieille Castille et celle d’Andalousie. Un des chapitres les
plus curieux (le septième du livre) fait connaître la division du travail entre les
artistes qui collaboraient à l’exécution d’un de ces retables espagnols, grands
comme des chapelles, et tout peuplés de statues de grandeur naturelle. Le dessin
d’ensemble était donné par le trazador, charpentier qui faisait l’office d’archi-
tecte, et qui fut appelé quelquefois arquitecto ensemblador. Les sculpteurs pro-
prement dits, imagineras au xve siècle, tailladores ou escultores au xvie, attaquent
le bois. Enfin les peintres, encarnadores et estofadores, donnent les tons de chair
et laquent les draperies. Dans les œuvres les plus précieuses, et même au
xvue siècle, la statue ou le groupe est d’abord entièrement doré, comme un
bronze; les couleurs recouvrent cet or; mais les graveurs qui dessinent les menus
ornements ou les fils serrés du brocart mettent à nu le noble métal ; lors même
qu’il est caché, il communique à la couleur qui le voile quelque chose de sa
magnificence.
E . B E R T A U X
LES ORIGINES DE LA PEINTURE VÉNITIENNE (1300-1500)
par M. Lionello Venturi1.
ans insister sur la période antérieure au xive siècle, pendant
laquelle Venise s'attarde aux formules byzantines et se laisse
distancer par des villes telles que Vérone ou Padoue, qui renou-
vellent leur art au contact des nouveautés florentines, l’auteur
commence son livre à la venue à Venise de Guarentio, l’élève
de Giotto. Par lui et, un peu plus tard, par Agnolo Gaddi Part
vénitien au xive siècle subit Tinlluence florentine.
Mais cet art giottesque, trop populaire, trop démocratique, convenait mal à
la riche et orgueilleuse aristocratie vénitienne, qui avait peine à renoncer aux
hiératiques richesses de l’art byzantin ; et Ton peut dire que Part vénitien ne se
renouvela réellement que lorsqu'il trouva dans Gentile da Fabriano et dans
Pisanello (vers 1410 et 1420) l’art gracieux, élégant, vraiment seigneurial, qui
convenait à la ville des Doges. Un peu plus tard ce fut l'influence de l’école de
Cologne qui pénétra à Venise avec Giovanni d'Allemagne, et celle de Padoue
avec le Squarcione. Mais l’influence prépondérante ne cessa pas d’être celle de
l'école de Vérone, celle de Pisanello, dans lequel M. Venturi, à la suite de Schlos-
ser, reconnaît l’influence de l’art français, de cet art princier qui, parti de la
cour des rois de France, s’étendit dans toutes les grandes cours de l’Europe.
En résumé, Venise, comme toutes les villes du nord de l’Italie, par suite de
ses relations avec les nations septentrionales de l’Europe, subit des influences
multiples et crée un art dont le caractère international contraste avec le carac-
tère homogène et autochtone de l’art des régions centrales de l’Italie.
1. Le Origini délia pittura veneziana (1300-1500). Venezia, Istituto veneto di arti gra-
fiche, 1907. Un vol. in-4, 428 p. av. 120 gravures hors texte (30 fr.j.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
qui comprend plus d’un siècle : du milieu du xvie au milieu du xvnc. 11 faudrait
citer toute la conclusion, où l’auteur analyse et compare, avec autant de goût
que de science, les caractères très différents des deux grandes écoles du grand
siècle, — celle de la Vieille Castille et celle d’Andalousie. Un des chapitres les
plus curieux (le septième du livre) fait connaître la division du travail entre les
artistes qui collaboraient à l’exécution d’un de ces retables espagnols, grands
comme des chapelles, et tout peuplés de statues de grandeur naturelle. Le dessin
d’ensemble était donné par le trazador, charpentier qui faisait l’office d’archi-
tecte, et qui fut appelé quelquefois arquitecto ensemblador. Les sculpteurs pro-
prement dits, imagineras au xve siècle, tailladores ou escultores au xvie, attaquent
le bois. Enfin les peintres, encarnadores et estofadores, donnent les tons de chair
et laquent les draperies. Dans les œuvres les plus précieuses, et même au
xvue siècle, la statue ou le groupe est d’abord entièrement doré, comme un
bronze; les couleurs recouvrent cet or; mais les graveurs qui dessinent les menus
ornements ou les fils serrés du brocart mettent à nu le noble métal ; lors même
qu’il est caché, il communique à la couleur qui le voile quelque chose de sa
magnificence.
E . B E R T A U X
LES ORIGINES DE LA PEINTURE VÉNITIENNE (1300-1500)
par M. Lionello Venturi1.
ans insister sur la période antérieure au xive siècle, pendant
laquelle Venise s'attarde aux formules byzantines et se laisse
distancer par des villes telles que Vérone ou Padoue, qui renou-
vellent leur art au contact des nouveautés florentines, l’auteur
commence son livre à la venue à Venise de Guarentio, l’élève
de Giotto. Par lui et, un peu plus tard, par Agnolo Gaddi Part
vénitien au xive siècle subit Tinlluence florentine.
Mais cet art giottesque, trop populaire, trop démocratique, convenait mal à
la riche et orgueilleuse aristocratie vénitienne, qui avait peine à renoncer aux
hiératiques richesses de l’art byzantin ; et Ton peut dire que Part vénitien ne se
renouvela réellement que lorsqu'il trouva dans Gentile da Fabriano et dans
Pisanello (vers 1410 et 1420) l’art gracieux, élégant, vraiment seigneurial, qui
convenait à la ville des Doges. Un peu plus tard ce fut l'influence de l’école de
Cologne qui pénétra à Venise avec Giovanni d'Allemagne, et celle de Padoue
avec le Squarcione. Mais l’influence prépondérante ne cessa pas d’être celle de
l'école de Vérone, celle de Pisanello, dans lequel M. Venturi, à la suite de Schlos-
ser, reconnaît l’influence de l’art français, de cet art princier qui, parti de la
cour des rois de France, s’étendit dans toutes les grandes cours de l’Europe.
En résumé, Venise, comme toutes les villes du nord de l’Italie, par suite de
ses relations avec les nations septentrionales de l’Europe, subit des influences
multiples et crée un art dont le caractère international contraste avec le carac-
tère homogène et autochtone de l’art des régions centrales de l’Italie.
1. Le Origini délia pittura veneziana (1300-1500). Venezia, Istituto veneto di arti gra-
fiche, 1907. Un vol. in-4, 428 p. av. 120 gravures hors texte (30 fr.j.