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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
Deux ans plus tard, la Revue blanche exhibait une centaine de
tableaux et de dessins de Vernay, dont, hélas! beaucoup d’insuffi-
sants. L’exposition de l’œuvre de Vernay, comme celle de l’œuvre
de Ravier, reste à faire.
Né coloriste, notre peintre avait acquis de bonne heure une
vision subtile en développant, selon le meilleur mode, son sens de
l’harmonie. Le coloriste — peut-être ne messied-il pas de le rap-
peler— n’est pas le peintre avide d’accumuler des tonalités rutilantes
et de mettre en relief une coulée de pigment au moyen de bruns ou
de neutres quelconques; c’est celui qui, sachant percevoir la somme
de coloration de chaque teinte sous les plus divers effets, s’applique
à ne rien poser sur son subjectile qui ne soit un ton défini ou une
nuance reconnaissable. Vernay ne se préoccupait pas seulement
d’accorder des tonalités éclatantes ou rares, de jouer des gammes
ardentes; les symphonies de teintes adoucies, fanées, alanguies,
avaient pour lui maints attraits, —- la collection Hutlet (Bourg)
suffirait à le prouver, — et il a été coloriste dans ses différentes
orchestrations. Il réalisa des harmonies par les mêmes moyens que
Delacroix —- un de ses maîtres préférés — et que Ravier, dont il eut
les précieux conseils; c’est-à-dire par un heureux rapprochement de
tons juxtaposés et leur mise en valeur réciproque, de manière à
conserver aux colorations toute leur splendeur ou toute leur suavité.
II interpréta les fruits, les fleurs et les sites avec le même amour;
mais ses œuvres les plus fortes, les plus complètes en peinture sont
presque toutes des interprétations de pommes, de raisins, de cerises,
de pêches, etc. On en peut contempler une bien caractéristique au
Luxembourg, et plusieurs au musée de Lyon. Trois, parmi ces der-
nières, offrent d’inoubliables harmonies de tonalités. Celle du Plateau
de fruits flanqué d'un grand vase de fleurs, — ensemble assez déco-
ratif — peut être dite somptueuse ; celle de la Branche de cerises,
écarlate et mousse vibrante, ravit en sa simplicité; celle de la Table
aux fruits, à la fois sobre et vigoureuse, impose l’admiration.
Quelques interprétations de fleurs et de multiples paysages ren-
seignent sur son sentiment des nuances et sa façon d’harmoniser
quand il faisait intervenir des tons neutres ou très rompus et combi-
nait des effets de vieille tapisserie. En ce mode-ci, son procédé,
nettement à lui et fort difficile à pénétrer, consistait à opposer des
teintes, en divers endroits, les unes aux autres, à les mêler ailleurs,
et à les annihiler autour des lueurs ou des taches qu’il voulait affec-
tives. Très différente de sa vision d’interprète de fruits, sa vision
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
Deux ans plus tard, la Revue blanche exhibait une centaine de
tableaux et de dessins de Vernay, dont, hélas! beaucoup d’insuffi-
sants. L’exposition de l’œuvre de Vernay, comme celle de l’œuvre
de Ravier, reste à faire.
Né coloriste, notre peintre avait acquis de bonne heure une
vision subtile en développant, selon le meilleur mode, son sens de
l’harmonie. Le coloriste — peut-être ne messied-il pas de le rap-
peler— n’est pas le peintre avide d’accumuler des tonalités rutilantes
et de mettre en relief une coulée de pigment au moyen de bruns ou
de neutres quelconques; c’est celui qui, sachant percevoir la somme
de coloration de chaque teinte sous les plus divers effets, s’applique
à ne rien poser sur son subjectile qui ne soit un ton défini ou une
nuance reconnaissable. Vernay ne se préoccupait pas seulement
d’accorder des tonalités éclatantes ou rares, de jouer des gammes
ardentes; les symphonies de teintes adoucies, fanées, alanguies,
avaient pour lui maints attraits, —- la collection Hutlet (Bourg)
suffirait à le prouver, — et il a été coloriste dans ses différentes
orchestrations. Il réalisa des harmonies par les mêmes moyens que
Delacroix —- un de ses maîtres préférés — et que Ravier, dont il eut
les précieux conseils; c’est-à-dire par un heureux rapprochement de
tons juxtaposés et leur mise en valeur réciproque, de manière à
conserver aux colorations toute leur splendeur ou toute leur suavité.
II interpréta les fruits, les fleurs et les sites avec le même amour;
mais ses œuvres les plus fortes, les plus complètes en peinture sont
presque toutes des interprétations de pommes, de raisins, de cerises,
de pêches, etc. On en peut contempler une bien caractéristique au
Luxembourg, et plusieurs au musée de Lyon. Trois, parmi ces der-
nières, offrent d’inoubliables harmonies de tonalités. Celle du Plateau
de fruits flanqué d'un grand vase de fleurs, — ensemble assez déco-
ratif — peut être dite somptueuse ; celle de la Branche de cerises,
écarlate et mousse vibrante, ravit en sa simplicité; celle de la Table
aux fruits, à la fois sobre et vigoureuse, impose l’admiration.
Quelques interprétations de fleurs et de multiples paysages ren-
seignent sur son sentiment des nuances et sa façon d’harmoniser
quand il faisait intervenir des tons neutres ou très rompus et combi-
nait des effets de vieille tapisserie. En ce mode-ci, son procédé,
nettement à lui et fort difficile à pénétrer, consistait à opposer des
teintes, en divers endroits, les unes aux autres, à les mêler ailleurs,
et à les annihiler autour des lueurs ou des taches qu’il voulait affec-
tives. Très différente de sa vision d’interprète de fruits, sa vision