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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
en adoration». Aucun doute n’est possible : c’est bien le tableau décrit
par Palomino et Ponz que M. Isaac Pereire acheta et offrit plus tard
à la ville de Prades. Les descriptions faites par les deux écrivains
espagnols ne peuvent être plus claires, plus nettes, plus explicites.
Les deux personnages figurés à la base de la toile sont, incontes-
tablement, les donateurs du tableau, sans aucun doute les frères
Diego et Antonio Covarrubias, fils du célèbre architecte de Charles-
Quint, tous deux intimement liés avec le Greco1. La preuve en est
dans leur ressemblance avec leurs portraits connus. Le musée de
Tolède a recueilli une tête de Diego Covarrubias2, coupée à la hau-
teur des épaules, œuvre de Domenikos Theotokopuli, dont les traits
offrent une similitude frappante avec ceux du prêtre en surplis du
Crucifiement de Prades. Un second portrait de Diego — certains
prétendent d'Antonio — Covarrubias, dû à un élève du Greco,
peut-être Luis Tristan, propriété de la Bibliothèque provinciale de
Tolède, le rappelle également.
Pour Antonio Covarrubias3, portraituré par le maître dans V Enter-
rement du comte d’Orgaz, sous la figure du gentilhomme de profil,
à la barbe grisonnante, placé en arrière du prêtre en surplis vu de
dos, à droite au premier plan, aucun doute ne peut exister : c’est le
même personnage que celui de la composition qui nous occupe,
à quelques années de distance, vieilli d’un lustre ou de deux.
Ces différentes constatations nous permettent d’assigner une date
au Christ en croix de Prades. Il a été peint avant 1577, date de la
mort de Diego Covarrubias, peu de temps après l’arrivée du Greco
à Tolède, un certain nombre d’années avant l’exécution de l’Enter-
rement du comte d’Orgaz.
PAUL LAFOXD
1. Le Greco eut des rapports constants avec la famille Covarrubias, qui, entre
autres ouvrages, lui commanda, pour l'église de Covarrubias, un Voile de sainte
Véronique, avec la tête douloureuse du Sauveur, qui se trouvait encore dans ce
sanctuaire, où Ponz et Céan Bermudez, qui le cite dans son Diccionario historico de
los mas ilustres profesores de las Tlellas Artes en Espana, le virent à la fin du
xvme siècle.
2. Diego Covarrubias, né à Tolède, en 1512, mort à Madrid, en 1577, homme
de haute vertu et de grande intelligence, remplit de son temps un rôle des plus
importants : il fut successivement professeur de droit àTUniversilé de Salamanque,
évêque de Ciudad Real, de Ségovie, président du Conseil des Castilles; il figura
avec honneur au Concile de Trente, et fut surnommé le Bartliole espagnol.
3. Dans une statue élevée au Greco à Stiges (Catalogne), le sculpteur Reynès,
par erreur, a donné au maître les traits d’Antonio Covarrubias tel qu’il est
portraituré dans Y Enterrement du comte d’Orgaz.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
en adoration». Aucun doute n’est possible : c’est bien le tableau décrit
par Palomino et Ponz que M. Isaac Pereire acheta et offrit plus tard
à la ville de Prades. Les descriptions faites par les deux écrivains
espagnols ne peuvent être plus claires, plus nettes, plus explicites.
Les deux personnages figurés à la base de la toile sont, incontes-
tablement, les donateurs du tableau, sans aucun doute les frères
Diego et Antonio Covarrubias, fils du célèbre architecte de Charles-
Quint, tous deux intimement liés avec le Greco1. La preuve en est
dans leur ressemblance avec leurs portraits connus. Le musée de
Tolède a recueilli une tête de Diego Covarrubias2, coupée à la hau-
teur des épaules, œuvre de Domenikos Theotokopuli, dont les traits
offrent une similitude frappante avec ceux du prêtre en surplis du
Crucifiement de Prades. Un second portrait de Diego — certains
prétendent d'Antonio — Covarrubias, dû à un élève du Greco,
peut-être Luis Tristan, propriété de la Bibliothèque provinciale de
Tolède, le rappelle également.
Pour Antonio Covarrubias3, portraituré par le maître dans V Enter-
rement du comte d’Orgaz, sous la figure du gentilhomme de profil,
à la barbe grisonnante, placé en arrière du prêtre en surplis vu de
dos, à droite au premier plan, aucun doute ne peut exister : c’est le
même personnage que celui de la composition qui nous occupe,
à quelques années de distance, vieilli d’un lustre ou de deux.
Ces différentes constatations nous permettent d’assigner une date
au Christ en croix de Prades. Il a été peint avant 1577, date de la
mort de Diego Covarrubias, peu de temps après l’arrivée du Greco
à Tolède, un certain nombre d’années avant l’exécution de l’Enter-
rement du comte d’Orgaz.
PAUL LAFOXD
1. Le Greco eut des rapports constants avec la famille Covarrubias, qui, entre
autres ouvrages, lui commanda, pour l'église de Covarrubias, un Voile de sainte
Véronique, avec la tête douloureuse du Sauveur, qui se trouvait encore dans ce
sanctuaire, où Ponz et Céan Bermudez, qui le cite dans son Diccionario historico de
los mas ilustres profesores de las Tlellas Artes en Espana, le virent à la fin du
xvme siècle.
2. Diego Covarrubias, né à Tolède, en 1512, mort à Madrid, en 1577, homme
de haute vertu et de grande intelligence, remplit de son temps un rôle des plus
importants : il fut successivement professeur de droit àTUniversilé de Salamanque,
évêque de Ciudad Real, de Ségovie, président du Conseil des Castilles; il figura
avec honneur au Concile de Trente, et fut surnommé le Bartliole espagnol.
3. Dans une statue élevée au Greco à Stiges (Catalogne), le sculpteur Reynès,
par erreur, a donné au maître les traits d’Antonio Covarrubias tel qu’il est
portraituré dans Y Enterrement du comte d’Orgaz.