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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
ne pas avoir connu et la correspondance du grand sculpteur prouve
qu’il avait plus que de l’estime pour son devancier1.
A l’époque où David d’Angers faisait preuve d’un tel enthou-
siasme, son compatriote Victor Pavie cherchait, en effet, à retracer
la vie de Leysner. Il s’étonnait, et David avec lui, de la difficulté
qu’ils éprouvaient à trouver des renseignements sur l’artiste oublié.
L’un et l’autre parvinrent néanmoins, à force de démarches et de
patience, à en rassembler quelques-uns, et M. Pavie y puisa la
matière d’un charmant article, écrit avec toute la verve dont il était
coutumier, publié en 1844 dans les Mémoires de la Société cl’Agri-
culture, Sciences et Arts d’Angers.
D’où vient donc cet abandon, cette ignorance plutôt, où l’on était
alors et dans laquelle nous sommes encore de l’œuvre de Leysner?
C’est que, comme l’indiquait David, de toute sa production, pourtant
féconde, presque plus rien ne subsiste. La plupart de ses œuvres
ont disparu: elles ont été dispersées, mutilées ou détruites;
d’autres se retrouvent, dénaturées, dans des bourgades lointaines.
En 1844, on ne connaissait guère que la tête de Christ à laquelle
David fait allusion, celle dont il avait dit encore : « Ce que j’en
pense, c’est qu’il n’y a qu’une chose à faire, se mettre à genoux et
adorer! » Cette tête, ou ce masque, car il s’agit en réalité d’un mou-
lage pris sur l’original disparu, une Descente de croix qui orna le
grand autel de l’abbaye de Saint-Aubin jusqu’à la Révolution,
1. « Je suis vraiment émerveillé », écrit-il en 1839 à son ami Victor Pavie,
« quand je songe qu’un artiste aussi distingué est venu vivre au milieu de nous,
surtout à une époque où le goût des arts ne devait pas être très répandu. Quelles
ont dû être les circonstances qui ont forcé cette étoile à venir répandre la lumière
dans un coin aussi obscur? Il doit y avoir derrière ceci quelques-unes de ces
dévorantes crises qui compriment trop souvent la vie de l’artiste. Tous les
ouvrages de cet homme ont disparu. Il ne reste que la face sublime d’un Christ.
Elle seule le révèle à notre admiration, et son nom est resté seulement dans le
souvenir d’un antiquaire et de nous deux à peu près. »
Dans d’autres lettres (1842), David revient sur ce sujet qui lui tenait au cœur :
« Je vois avec peine la stérilité des documents sur cet artiste. Si tous ses
ouvrages étaient encore visibles, il y aurait sans doute de quoi t’inspirer de
belles pages, car l’auteur de la tête de Christ que l’on voit chez M. Grille était
un homme de grand mérite... »
« Combien je regrette de ne pas avoir noté de précieux renseignements que
mon père avait recueillis sur cet homme... Mon père, avec son imagination
ardente, avait été naturellement frappé du talent de ce statuaire dont tu veux
conserver le souvenir ; il en parlait bien souvent, et moi je ne prêtais qu’une trop
légère attention à ses récits. » (Y. Henry Jouin, David d’Angers et ses relations
littéraires, p. 156, 189 et 198.)
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
ne pas avoir connu et la correspondance du grand sculpteur prouve
qu’il avait plus que de l’estime pour son devancier1.
A l’époque où David d’Angers faisait preuve d’un tel enthou-
siasme, son compatriote Victor Pavie cherchait, en effet, à retracer
la vie de Leysner. Il s’étonnait, et David avec lui, de la difficulté
qu’ils éprouvaient à trouver des renseignements sur l’artiste oublié.
L’un et l’autre parvinrent néanmoins, à force de démarches et de
patience, à en rassembler quelques-uns, et M. Pavie y puisa la
matière d’un charmant article, écrit avec toute la verve dont il était
coutumier, publié en 1844 dans les Mémoires de la Société cl’Agri-
culture, Sciences et Arts d’Angers.
D’où vient donc cet abandon, cette ignorance plutôt, où l’on était
alors et dans laquelle nous sommes encore de l’œuvre de Leysner?
C’est que, comme l’indiquait David, de toute sa production, pourtant
féconde, presque plus rien ne subsiste. La plupart de ses œuvres
ont disparu: elles ont été dispersées, mutilées ou détruites;
d’autres se retrouvent, dénaturées, dans des bourgades lointaines.
En 1844, on ne connaissait guère que la tête de Christ à laquelle
David fait allusion, celle dont il avait dit encore : « Ce que j’en
pense, c’est qu’il n’y a qu’une chose à faire, se mettre à genoux et
adorer! » Cette tête, ou ce masque, car il s’agit en réalité d’un mou-
lage pris sur l’original disparu, une Descente de croix qui orna le
grand autel de l’abbaye de Saint-Aubin jusqu’à la Révolution,
1. « Je suis vraiment émerveillé », écrit-il en 1839 à son ami Victor Pavie,
« quand je songe qu’un artiste aussi distingué est venu vivre au milieu de nous,
surtout à une époque où le goût des arts ne devait pas être très répandu. Quelles
ont dû être les circonstances qui ont forcé cette étoile à venir répandre la lumière
dans un coin aussi obscur? Il doit y avoir derrière ceci quelques-unes de ces
dévorantes crises qui compriment trop souvent la vie de l’artiste. Tous les
ouvrages de cet homme ont disparu. Il ne reste que la face sublime d’un Christ.
Elle seule le révèle à notre admiration, et son nom est resté seulement dans le
souvenir d’un antiquaire et de nous deux à peu près. »
Dans d’autres lettres (1842), David revient sur ce sujet qui lui tenait au cœur :
« Je vois avec peine la stérilité des documents sur cet artiste. Si tous ses
ouvrages étaient encore visibles, il y aurait sans doute de quoi t’inspirer de
belles pages, car l’auteur de la tête de Christ que l’on voit chez M. Grille était
un homme de grand mérite... »
« Combien je regrette de ne pas avoir noté de précieux renseignements que
mon père avait recueillis sur cet homme... Mon père, avec son imagination
ardente, avait été naturellement frappé du talent de ce statuaire dont tu veux
conserver le souvenir ; il en parlait bien souvent, et moi je ne prêtais qu’une trop
légère attention à ses récits. » (Y. Henry Jouin, David d’Angers et ses relations
littéraires, p. 156, 189 et 198.)