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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
La critique, en effet, se montra, sinon sévère ou indifférente, du
moins assez réfractaire aux mérites de l’envoi du Romain de la veille.
C’est ainsi que l’un des écrivains, qui comptait déjà parmi les plus
avisés, Paul Mantz, dans son Salon de la Gazettel, traite ce morceau
avec une certaine désinvolture.
Mais depuis l’aventure de son Christ en prison, Henner avait son
opinion toute faite sur les journalistes. Il les avait, simplement, en
exécration. Aussi, si susceptible qu’il fût, au fond, envers leurs
critiques, s'attachait-il à n’en tenir aucun compte. Il ne se montrait,
d’ailleurs, pas plus exigeant qu’il ne fallait. Tous ses vœux étaient
comblés. La médaille, l’achat par l’Etat, le Luxembourg ! C’était la
gloire pour un jeune artiste, en un temps oii ces faveurs étaient
moins généreusement prodiguées. Aussi se sentait-il plein d’ardeur
et d’espoir et s’avançait-il, résolument et sans plus aucun arrêt, dans
la voie qu’il s’était frayée à Rome. Il s’y enfonçait avec une décision
d’autant plus grande qu’il jouissait enfin de cette indépendance
honorable que sa fierté avait toujours rêvée et qu’il n’avait pas
encore connue.
Sa carrière se déroulera donc désormais avec simplicité, sans
grand imprévu, soit dans sa vie d’homme, soit dans son développe-
ment artistique. Il est le Ilenner complet, s’il n’est pas encore le
LIenner définitif. N’est-il point, du reste, en pleine maturité virile
puisque à cette date il est âgé de trente-six ans? Sa religion est faite,
sa personnalité fixée. 11 n’a plus à se trouver; il ne vise plus qu’à se
perfectionner. Aucun événement nouveau, aucune influence inat-
tendue ne viendront altérer ou modifier sa compréhension de la vie
et son sentiment de la beauté.
Sa curiosité naturelle ne s’est cependant pas émoussée. Il y a
toujours chez lui un vif désir d’apprendre, non point pour découvrir
de l’inconnu, mais pour mieux savoir ce qu'il sait. Quelques années
plus tard, en 1869, nous le suivons, avec son ami Hector Leroux,
dans un voyage en Allemagne, où il note soigneusement ses im-
pressions sur les lieux, sur les mœurs, sur les monuments et les
œuvres d’art. Et nous voyons par là que ce sont toujours ses anciens
maîtres qui restent ses amis préférés. Plus tard, en juillet 1882, il
traverse la Belgique et se rend en Hollande, poussé par le désir de
voir Frans Hais, plutôt même, semble-t-il, que Rembrandt, qu’il a
tout le loisir d’admirer au Louvre. Dans ses carnets de voyage, du
1. V. Gazette des Beaux-Arts, 1803, 1.1, p. 490-498.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
La critique, en effet, se montra, sinon sévère ou indifférente, du
moins assez réfractaire aux mérites de l’envoi du Romain de la veille.
C’est ainsi que l’un des écrivains, qui comptait déjà parmi les plus
avisés, Paul Mantz, dans son Salon de la Gazettel, traite ce morceau
avec une certaine désinvolture.
Mais depuis l’aventure de son Christ en prison, Henner avait son
opinion toute faite sur les journalistes. Il les avait, simplement, en
exécration. Aussi, si susceptible qu’il fût, au fond, envers leurs
critiques, s'attachait-il à n’en tenir aucun compte. Il ne se montrait,
d’ailleurs, pas plus exigeant qu’il ne fallait. Tous ses vœux étaient
comblés. La médaille, l’achat par l’Etat, le Luxembourg ! C’était la
gloire pour un jeune artiste, en un temps oii ces faveurs étaient
moins généreusement prodiguées. Aussi se sentait-il plein d’ardeur
et d’espoir et s’avançait-il, résolument et sans plus aucun arrêt, dans
la voie qu’il s’était frayée à Rome. Il s’y enfonçait avec une décision
d’autant plus grande qu’il jouissait enfin de cette indépendance
honorable que sa fierté avait toujours rêvée et qu’il n’avait pas
encore connue.
Sa carrière se déroulera donc désormais avec simplicité, sans
grand imprévu, soit dans sa vie d’homme, soit dans son développe-
ment artistique. Il est le Ilenner complet, s’il n’est pas encore le
LIenner définitif. N’est-il point, du reste, en pleine maturité virile
puisque à cette date il est âgé de trente-six ans? Sa religion est faite,
sa personnalité fixée. 11 n’a plus à se trouver; il ne vise plus qu’à se
perfectionner. Aucun événement nouveau, aucune influence inat-
tendue ne viendront altérer ou modifier sa compréhension de la vie
et son sentiment de la beauté.
Sa curiosité naturelle ne s’est cependant pas émoussée. Il y a
toujours chez lui un vif désir d’apprendre, non point pour découvrir
de l’inconnu, mais pour mieux savoir ce qu'il sait. Quelques années
plus tard, en 1869, nous le suivons, avec son ami Hector Leroux,
dans un voyage en Allemagne, où il note soigneusement ses im-
pressions sur les lieux, sur les mœurs, sur les monuments et les
œuvres d’art. Et nous voyons par là que ce sont toujours ses anciens
maîtres qui restent ses amis préférés. Plus tard, en juillet 1882, il
traverse la Belgique et se rend en Hollande, poussé par le désir de
voir Frans Hais, plutôt même, semble-t-il, que Rembrandt, qu’il a
tout le loisir d’admirer au Louvre. Dans ses carnets de voyage, du
1. V. Gazette des Beaux-Arts, 1803, 1.1, p. 490-498.