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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
certain habit rose serpenté de noir, de coupe paysanne, par un cos-
tume du bon faiseur qui lui donne un air fort avenant. Il regarde
les femmes et en est regardé ; si bien qu’un beau jour il se trouve
fort engagé auprès d’une jolie fille de la ville dont il n’y a rien de
trop à dire si ce n’est qu’elle est son ainée de cinq années. Emoi au
château. Il faut que le jeune homme se réserve, qu’il oublie. On le
fera voyager. M. Thierry de la Haye, après avoir hésité entre Paris
et Anvers, se décide pour cette dernière ville. Hilaire Ledru part,
arrive à Lille le soir même où Montvel, se rendant en Suède, y
donne une représentation. L’adolescent n’a garde de laisser passer
l’aubaine. Enivrement. Le théâtre demeurera la joie, décidera des
fréquentations d’Hilaire Ledru, qui reste peu à Anvers. Il est bientôt
à Paris et entre chez Vien, — Yien, le professeur par excellence du
moment, celui dont les fermes principes, les savants conseils avaient
fait Louis David, alors dans toute sa gloire.
Mais l’Antiquité, les compositions sévères laborieusement ordon-
nées, ne sont point le fait d’Hilaire Ledru. Son crayon disait toutes
sortes de jolies choses : n’était-ce pas là la fin de l’art en une époque
légère? Certes, quelques conseils, une application soutenue n’eussent
pas manqué de donner de la fermeté à son dessin, d’améliorer sa
couleur qui avait peu d’éclat, et sa touche qui était sèche. Mais à
quoi bon ! puisqu’il s’agissait pour l’avantageux jeune artiste de
briller uniquement par le moyen de sujets touchants et de petits
portraits maniérés? La présentation était tout. Or, il en possédait la
naturelle intuition. Et puis, il avait hâte d’assurer sa vie, afin
d’appeler près de lui sa belle amie de Douai. Leur mariage fut
consommé, sans grand bruit, sans contrat, comme il sied à des gens
de cœur chaud et de petite bourse. — Ils eurent raison de hâter leur
union, car elle devait être douce, mais courte.
Bref, en 1786, à Paris, Hilaire Ledru, âgé de seize ou dix-sept ans,
accomplissait cette merveille de se tirer d’affaire seul. 11 avait des
amis, une clientèle. Le coup de foudre porté à Lille par l’acteur
Montvel donnait ses fruits. Il était tout à la musique, au théâtre,
fréquentant compositeurs et comédiens. Point de meilleur monde
pour réussir, au reste : tant de riches désœuvrés tournent autour
des loges d’acteurs, se font supporter à force de libéralités et d’obli-
geances, se tiennent pour flattés d’être amis des amis surtout quand
ceux-ci ont de l’agrément ou un talent certain !
Et les rapides succès de Ledru sembleront naturels lorsqu’on
apprendra que le portrait de MUe Mézières reproduit par la Gazette
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
certain habit rose serpenté de noir, de coupe paysanne, par un cos-
tume du bon faiseur qui lui donne un air fort avenant. Il regarde
les femmes et en est regardé ; si bien qu’un beau jour il se trouve
fort engagé auprès d’une jolie fille de la ville dont il n’y a rien de
trop à dire si ce n’est qu’elle est son ainée de cinq années. Emoi au
château. Il faut que le jeune homme se réserve, qu’il oublie. On le
fera voyager. M. Thierry de la Haye, après avoir hésité entre Paris
et Anvers, se décide pour cette dernière ville. Hilaire Ledru part,
arrive à Lille le soir même où Montvel, se rendant en Suède, y
donne une représentation. L’adolescent n’a garde de laisser passer
l’aubaine. Enivrement. Le théâtre demeurera la joie, décidera des
fréquentations d’Hilaire Ledru, qui reste peu à Anvers. Il est bientôt
à Paris et entre chez Vien, — Yien, le professeur par excellence du
moment, celui dont les fermes principes, les savants conseils avaient
fait Louis David, alors dans toute sa gloire.
Mais l’Antiquité, les compositions sévères laborieusement ordon-
nées, ne sont point le fait d’Hilaire Ledru. Son crayon disait toutes
sortes de jolies choses : n’était-ce pas là la fin de l’art en une époque
légère? Certes, quelques conseils, une application soutenue n’eussent
pas manqué de donner de la fermeté à son dessin, d’améliorer sa
couleur qui avait peu d’éclat, et sa touche qui était sèche. Mais à
quoi bon ! puisqu’il s’agissait pour l’avantageux jeune artiste de
briller uniquement par le moyen de sujets touchants et de petits
portraits maniérés? La présentation était tout. Or, il en possédait la
naturelle intuition. Et puis, il avait hâte d’assurer sa vie, afin
d’appeler près de lui sa belle amie de Douai. Leur mariage fut
consommé, sans grand bruit, sans contrat, comme il sied à des gens
de cœur chaud et de petite bourse. — Ils eurent raison de hâter leur
union, car elle devait être douce, mais courte.
Bref, en 1786, à Paris, Hilaire Ledru, âgé de seize ou dix-sept ans,
accomplissait cette merveille de se tirer d’affaire seul. 11 avait des
amis, une clientèle. Le coup de foudre porté à Lille par l’acteur
Montvel donnait ses fruits. Il était tout à la musique, au théâtre,
fréquentant compositeurs et comédiens. Point de meilleur monde
pour réussir, au reste : tant de riches désœuvrés tournent autour
des loges d’acteurs, se font supporter à force de libéralités et d’obli-
geances, se tiennent pour flattés d’être amis des amis surtout quand
ceux-ci ont de l’agrément ou un talent certain !
Et les rapides succès de Ledru sembleront naturels lorsqu’on
apprendra que le portrait de MUe Mézières reproduit par la Gazette