GAZETTE DES BEAUX-ARTS
H2Ü
Descente des vaches, de Y Allée de châtaigniers, du Givre, qui, disait-
il, en appelant en comparaison ces vieux maîtres de Hollande qu’il
venait d’étudier à fond dans leur propre pays, avait « la franchise
d’Hobberna, l’ampleur vigoureuse de Cuyp, quelque chose comme
la fantasquerie de Rembrandt », et ce Rousseau-là « savait commu-
niquer son âme aux arbres de la forêt comme aux nuages du ciel » !
Les deux toiles de 18631 ramenèrent devant un format plus
modeste, mais où se vérifiait autant ce caractère de « panthéistique
indifférence » signalé par Gastagnary dans les récentes productions
■du peintre. Ce panthéisme se sentait dans le regard large et serein
dont le paysagiste, à travers et par-dessus les sommeillantes ramures
■de la Mare sous les chênes, avait embrassé tout un lointain baigné
■de blonde lumière ; — il était manifeste dès que l’œil s’arrêtait devant
la Clairière dans la haute futaie. Le tableau est précisément entré
au Louvre, avec la collection Chauchard, sous la dénomination
La Charrette. Il n’y a pas jusqu’à l’égale minutie qu’on y voit
appliquée à tous les détails, et qui les immobilise sous un ciel
pareillement immobile, qui ne concoure à fortifier cette impression.
Ainsi que le notait une plume avisée2, « nul chant d’oiseau, nul
■.chant aérien dans cette atmosphère solide... On entend crier l’essieu
de la charrette et craquer les cailloux du chemin ». Mais peu à peu
se démêlent, à mesure que l’observation se concentre davantage
■sur cette impassible retraite, comme les bruits de toute une vitalité
latente et féconde. La petite voiture, avec sa femme en bleu et son
blanc attelage, scintille au plein milieu de cette verdure multipliée;
au-dessous de la voûte azurée elle scintille comme un point d’azur
•et, de la sorte, parmi ces friches où pas la moindre flaque ne s’offre
à refléter le jour, en rappelle et résume la couleur planante.
Quel que soit leur intérêt, ces derniers Salons ne nous ont fait
encore assister qu’aux progrès d’une évolution; 1864 montre Rous-
seau dans l’entière possession de sa formule nouvelle. C’est l’année
du célèbre Village, le village de Becquigny, dont, au cours d’un
voyage en Picardie, accompli en 1857, l’aspect primitif l’avait séduit
■et forcé de s’arrêter en pleine route de Saint-Quentin à Maubeuge.
La vision de ce simple hameau s’est perpétuée dans son esprit avec
le même intérêt de particularité atmosphérique que cette Ferme et ce
Four communal jadis rencontrés au milieu des landes de Gascogne.
Elle a fini par prendre sa part de l’éblouissement que les estampes
1. Sur ce Salon, consulter les relations de Paul Mantz, Castaenary, C. de Sault.
2. C. de Sault.
H2Ü
Descente des vaches, de Y Allée de châtaigniers, du Givre, qui, disait-
il, en appelant en comparaison ces vieux maîtres de Hollande qu’il
venait d’étudier à fond dans leur propre pays, avait « la franchise
d’Hobberna, l’ampleur vigoureuse de Cuyp, quelque chose comme
la fantasquerie de Rembrandt », et ce Rousseau-là « savait commu-
niquer son âme aux arbres de la forêt comme aux nuages du ciel » !
Les deux toiles de 18631 ramenèrent devant un format plus
modeste, mais où se vérifiait autant ce caractère de « panthéistique
indifférence » signalé par Gastagnary dans les récentes productions
■du peintre. Ce panthéisme se sentait dans le regard large et serein
dont le paysagiste, à travers et par-dessus les sommeillantes ramures
■de la Mare sous les chênes, avait embrassé tout un lointain baigné
■de blonde lumière ; — il était manifeste dès que l’œil s’arrêtait devant
la Clairière dans la haute futaie. Le tableau est précisément entré
au Louvre, avec la collection Chauchard, sous la dénomination
La Charrette. Il n’y a pas jusqu’à l’égale minutie qu’on y voit
appliquée à tous les détails, et qui les immobilise sous un ciel
pareillement immobile, qui ne concoure à fortifier cette impression.
Ainsi que le notait une plume avisée2, « nul chant d’oiseau, nul
■.chant aérien dans cette atmosphère solide... On entend crier l’essieu
de la charrette et craquer les cailloux du chemin ». Mais peu à peu
se démêlent, à mesure que l’observation se concentre davantage
■sur cette impassible retraite, comme les bruits de toute une vitalité
latente et féconde. La petite voiture, avec sa femme en bleu et son
blanc attelage, scintille au plein milieu de cette verdure multipliée;
au-dessous de la voûte azurée elle scintille comme un point d’azur
•et, de la sorte, parmi ces friches où pas la moindre flaque ne s’offre
à refléter le jour, en rappelle et résume la couleur planante.
Quel que soit leur intérêt, ces derniers Salons ne nous ont fait
encore assister qu’aux progrès d’une évolution; 1864 montre Rous-
seau dans l’entière possession de sa formule nouvelle. C’est l’année
du célèbre Village, le village de Becquigny, dont, au cours d’un
voyage en Picardie, accompli en 1857, l’aspect primitif l’avait séduit
■et forcé de s’arrêter en pleine route de Saint-Quentin à Maubeuge.
La vision de ce simple hameau s’est perpétuée dans son esprit avec
le même intérêt de particularité atmosphérique que cette Ferme et ce
Four communal jadis rencontrés au milieu des landes de Gascogne.
Elle a fini par prendre sa part de l’éblouissement que les estampes
1. Sur ce Salon, consulter les relations de Paul Mantz, Castaenary, C. de Sault.
2. C. de Sault.