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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
Eurydice? En réalité, quand on attribue à Dughet un paysage d’un sentiment
aussi manifestement poussinesque, cela veut dire que, pour des motifs
d’impression personnelle, on ne trouve pas la peinture tout à fait digne du
grand nom de Poussin. Il y a, en effet, des défauts dans le tableau Beruete,
quelques faiblesses d’exécution, un peu de sécheresse, un peu de monotonie
dans le rendu de l’arbre au feuillage léger qui encadre la composition à
droite. Mais, tout bien pesé, non sans avoir incliné tantôt dans un sens,
tantôt dans l’autre, je considère le charme idyllique et la simplicité de
l’effet, je note les indications sommaires, mais expressives et d’une
ingénuité vraiment poussinesque des petits personnages et animaux que
l’on voit sur l’autre rive du lac, et je conclus en faveur de l’attribution
traditionnelle à Poussin.
L’existence d’une copie contemporaine est un argument qui a sa valeur
et, plus encore, si la copie est de Dughet. On ne copiait, sans doute, guère
au xviie siècle les ouvrages de ce bon disciple. Mais il est très naturel que
Dughet ait copié un paysage de Poussin. M. Grautoff, d'ailleurs, ne semble
pas avoir remarqué que Waagen n’est pas le seul à signaler ce tableau
comme étant de Poussin. Smith en donne une description détaillée et
admirative sous le titre : Un berger faisant boire son troupeau', en ajoutant
que l’étendue d’eau qui occupe le centre de la toile est le lac de Bolsena.
Il nous apprend que le tableau était en 1823 dans la collection de
Lord Radstock et, en 1837, dans celle de N. Bailie, Esq.
Ayant ainsi essayé, un peu longuement peut-être, d’ajouter quelques
remarques utiles à celles que depuis deux siècles et demi et davantage les
commentateurs ont accumulées sur Poussin, je terminerai par une phrase
de Félibien qui nous montrera qu’en somme le principal a été dit tout de
suite : « Je vous ai parlé tant de fois de son intelligence à bien faire toutes
sortes de paysages et à les rendre si plaisants et si naturels, qu’on peut dire
que, hors le Titien, on ne voit pas de peintre qui en ait fait de comparables
aux siens »
PAUL JAMOT
1. Op. cit., n° 341.
2. Op. cit., t. IV, p. 159.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
Eurydice? En réalité, quand on attribue à Dughet un paysage d’un sentiment
aussi manifestement poussinesque, cela veut dire que, pour des motifs
d’impression personnelle, on ne trouve pas la peinture tout à fait digne du
grand nom de Poussin. Il y a, en effet, des défauts dans le tableau Beruete,
quelques faiblesses d’exécution, un peu de sécheresse, un peu de monotonie
dans le rendu de l’arbre au feuillage léger qui encadre la composition à
droite. Mais, tout bien pesé, non sans avoir incliné tantôt dans un sens,
tantôt dans l’autre, je considère le charme idyllique et la simplicité de
l’effet, je note les indications sommaires, mais expressives et d’une
ingénuité vraiment poussinesque des petits personnages et animaux que
l’on voit sur l’autre rive du lac, et je conclus en faveur de l’attribution
traditionnelle à Poussin.
L’existence d’une copie contemporaine est un argument qui a sa valeur
et, plus encore, si la copie est de Dughet. On ne copiait, sans doute, guère
au xviie siècle les ouvrages de ce bon disciple. Mais il est très naturel que
Dughet ait copié un paysage de Poussin. M. Grautoff, d'ailleurs, ne semble
pas avoir remarqué que Waagen n’est pas le seul à signaler ce tableau
comme étant de Poussin. Smith en donne une description détaillée et
admirative sous le titre : Un berger faisant boire son troupeau', en ajoutant
que l’étendue d’eau qui occupe le centre de la toile est le lac de Bolsena.
Il nous apprend que le tableau était en 1823 dans la collection de
Lord Radstock et, en 1837, dans celle de N. Bailie, Esq.
Ayant ainsi essayé, un peu longuement peut-être, d’ajouter quelques
remarques utiles à celles que depuis deux siècles et demi et davantage les
commentateurs ont accumulées sur Poussin, je terminerai par une phrase
de Félibien qui nous montrera qu’en somme le principal a été dit tout de
suite : « Je vous ai parlé tant de fois de son intelligence à bien faire toutes
sortes de paysages et à les rendre si plaisants et si naturels, qu’on peut dire
que, hors le Titien, on ne voit pas de peintre qui en ait fait de comparables
aux siens »
PAUL JAMOT
1. Op. cit., n° 341.
2. Op. cit., t. IV, p. 159.