Universitätsbibliothek HeidelbergUniversitätsbibliothek Heidelberg
Overview
loading ...
Facsimile
0.5
1 cm
facsimile
Scroll
OCR fulltext
noncent annuellement à l'ouverture des ses-
sions des conseils provinciaux, s'occupent,
avec une sollicitude digne de reconnaissance,
des intérêts matériels de la population mais
ne font aucune mention des arts et des lettres.

On dirait que ces choses n'existent pas. Si
ce n'est point flatteur pour les artistes et les
écrivains, ce ne l'est certes pas non plus pour
ceux qui les oublient.

Et cependant, en laissant de côté, puisqu'on
nous en donne le mauvais exemple, ce que
pourrait rapporter à la nation de gloire et
d'honneur, la culture intellectuelle chez une
partie de ses enfants, faisons observer que la
cinquantième partie environ de la population
du royaume vit des arts et des lettres et des
industries qui s'y rapportent. (Peintres, sculp-
teurs, architectes, graveurs, journalistes, im-
primeurs, fabricants de papier, libraires,fon-
deurs, encadreurs, céramistes, décorateurs,
mouleurs, orfèvres, photographes, etc., etc.).

Est-ce trop que d'établir un chiffre de
100,000 personnes (hommes, femmes, enfants,
vieillards) devant pourvoir journellement a
leur subsistance personnelle moyennant une
somme que nous fixerons à 4 frs. par jour et
par tête? Cela admis, qui oserait nier l'impor-
tance du roulement d'argent que les lettres et
les arts provoquent sur le marché et sur le
terrain des transactions, roulement dont le
premier et indispensable résultat est de créer
un capital annuel d'environ cent et cinquante
millions?

Songe-t-on à cela?

LA MER ÉLÉGANTE (i),
avec une préface de Jean Aicahd,
par M. Georges Rodenbach.

Sous ce titre original : La mer élégante,
M. Georges Rodenbach, le poète des Tris-
tesses, publie une nouvelle œuvre.

Les qualités de son talent s'y sont accen-
tuées, et sa personnalité s'y dégage complè-
tement. C'est un poète, comme Sully Prud-
homme et François Coppée, à l'âme féminine.
Sa muse n'est pas comme celle de Hugo
une femme de Rubens, aux chairs exubé
rantes et rouges, soufflant d'infatigables
claironnées; c'est une Parisienne, mièvre,
coquette, sentimentale de tête, ayant le génie
du joli. Elle allume le feu sacré, non plus
sur l'autel des vestales, mais dans la casso-
lette des mondaines. Au fond d'un boudoir
sombre, aux ors pâles, elle s'alanguit de
valses de Chopin et de parfums, sous la lu-
mière qui rêve dans l'albâtre.

C'est à son piano que le poète s'accoude
et soupire :

Hier un parallèle en moi s'insinuait
Tandis qu'au piano — sous l'éclat des bougies
Lustrant ses cheveux bruns et ses tempes rougies —
Elle jouait un Lied après un Menuet.

Ce clavier, me disais-je, est inerte et muet,
Mais les accords joyeux, les molles élégies
Murmurent au contact de ses mains élargies
Comme si tout un chœur d'oiseaux y remuait.

Or ce clavier sonore est pareil à notre âme :
Comme lui blanche et noire, elle a toute la gamme
Des chantantes vertus et des vices grondants.

(1) La mer élégante, Alph.Lemerre, 1881, Paris.

Il lui suffit aussi pour qu'elle vibre et pleure
Et donne tout l'amour qu'elle cache au dedans,
Il suffit que la main d'une femme l'effleure.

Cette femme, dont la main douce palpite
sur l'âme musicale du poète, c'est sa muse
parisienne !

Et certes, elle est parisienne et moder-
niste. Elle est de son temps et de son pays,
et les déguisements grecs ou romains des
classiques, moyen-âge des romantiques ne
lui plaisent guère; elle n'est pas du tout de
l'avis d'André Ghénier :

Sur des pensers nouveaux faisons des vers antiques.

Elle ne goûte l'antiquité que dans les Mu-
sées, et préfère s'habiller à la mode de
demain, chez la bonne faiseuse. En ses toi-
lettes, tous les caprices sont des élégances.
Les rythmes déroulent, drapent, épanouis-
sent sur elle les fantaisies des strophes ; les
mots neufs, comme des bijoux d'or vierge,
accrochent la lumière aux doigts, aux oreil-
les, à la chevelure; ses pas ont le balance-
ment des mètres harmonieux, et les pieds
mignons, chaussés de rimes bien égales, son-
nent à temps égaux sur l'asphalte. Ce n'est
plus le temps où elle déployait les ailes mys-
tiques d'Eloa, et buvait les larmes nocturnes
sur les yeux de Musset : elle prend aujour-
d'hui, tout simplement, à la saison chaude,
une première express pour quelque ville
d'eaux, et,

Sur la terrasse en fleur d'un riche restaurant,
elle soupe avec

des huîtres d'Ostende,
Ces huîtres dont la chair citronnée est friande,
Et qui, pleines de jus, vous fondent sous la dent
Comme des fruits mûris par un soleil ardent.

C'est là que notre poète l'a rencontrée.
Amoureusement, il l'emmène sur la plage,
sur les dunes, dans la fauve ensoleillée de
juillet; devant eux, la mer, aux ondulations
félines, ronronne au soleil. Ensemble ils la
regardent, à l'heure du bain :

La mer est calme ! C'est un lac !
On plonge, on nage, on fait la planche,
Et l'on a sur la vague blanche,
Comme un bercement de hamac.

Si le poète chante avec une douceur d'a-
mour les Femmes mièvres :

Dans un coin de la plage elles sont là, groupées :
Le parasol leur fait comme un fond de portrait
Où s'accuse en relief leur tête de poupées
Qu'un artiste mignard et raffiné peindrait.

c'est qu'en l'une d'elles que sa Muse a pris
chair; c'est à l'une d'elles, fine poupée en
fourreau japonais, près d'elle qu'il a mur-
muré VAveu, qu'il a goûté ces moments de
tendresse

Où l'on voudrait mourir,—se sentant trop heureux.

Et qu'il s'est écrié :

J'ai caressé ce rêve où je l'aurais pour femme

Le front couvert d'un voile aussi blanc que son âme

C'est avec elle qu'il flirte dans \avilla Pom-
padour :

Dans cette villa riche habite un vieux marquis,
Un vieux célibataire adoré des familles,
Car il a le défaut que chacun trouve exquis,
De vouloir marier toutes les jeunes filles.

C'est elle encore qu'il admire, s'ébattant
dans la mer :

Voyez comme elle saute,
Comme elle avance bien malgré la marée haute
Et comme elle a des cris plein de rire, en nageant,
Quand l'écume, pareille à des sequins d'argent,
Se suspend en collier à son beau cou de cygne.

Ainsi, sur cette plage, le poète a ouvert
son cœur — comme un coquet album; il y
a dessiné la Mer élégante, traînant ses den-
telles d'écume et ses frous-frous de vagues ;
— et, à chaque page, il y a un parfum de
fleur séchée !

Tandis que le Bal d'enfants emplit le kur-
saal de rires et de lumières :

C'est comme un paradis terrestre
Tout rempli d'anges trébuchant !

à côté, dans la nuit, l'immense mer phos-
phorescente s'arrondit, semblable à un astre
en fusion.

Ce soir le ciel obscur et la mer se confondent ;

Tout le jour il a fait très chaud ;
Les flots entrechoqués dans l'ombre se répondent,

Captifs dans un même cachot.

Le ciel est large et noir comme un drap mortuaire,

Et les horizons incertains
Forment comme un immense et sombre sanctuaire

Où tous les cierges sont éteints.

Mais voici que la mer devient phosphorescente
Et, le long du sable changeant,

Elle s'étale au loin superbe, éblouissante,
Avec ses paillettes d'argent.

Pas d'astres dans le ciel ; dans le vent pas de voiles ;

On dirait que le flot amer
Roule ainsi sans pitié des cadavres d'étoiles

Qui seraient tombés dans la mer.

Puis, le poète obéit instinctivement à la
loi des contrastes. L'ennui de ce qu'on a, le
prestige de ce qu'on n'a pas s'éveillent en lui.
Las de cet air saturé de sel et d'oppoponax,
il se tourne vers la Flandre natale, et s'en
va chercher, loin de Funisonnance lamen-
table de la mer, le grand silence des cam-
pagnes. Ses regrets évoquent aussitôt un
intérieur intime et rustique :

Oh! que n'ai-je vécu, libre et robuste enfant,
Dans une ferme, auprès des moutons et des vaches,
Avec des fruits volés me bai bouillant de taches.
Et grandissant heureux sans devenir savant.

Puis, à vingt ans, pendant un soir de la kermesse.
J'aurais choisi ma femme à mon goût—sans souffrir
Convaincu que le sol pourrait tous nous nourrir
Et que mon père aurait de quoi payer la messe.

Je n'aurais pas traîné sur les pavés impurs

Ma grande soif d'aimer et ma soif de connaître ;
 
Annotationen