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N° 1.

15 Janvier 1884.

Vingt-sixième Annee.

JOURNAL DES BEAUX-ARTS

ET DE LA LITTÉRATURE.

DIRECTEUR: M. AD. SIRET.

MEMBRE DE L'ACADÉMIE ROY. DE BELGIQUE, ETC.

PARAISSANT DEUX FOIS PAR MOIS.

PRIX PAR AN : BELGIQUE : g FRANCS.

ÉTRANGER : 12 FR.

ADMINISTRATION et CORRESPONDANCE
a s'-nicolas (Belgique).

SOMMAIRE : Beahx-Arts. Histoire de voleurs :
la collection Petrolius. — L'art moderne et le
journal des Beaux-Arts. — Deux journaux nou-
veaux journeaux, Archéologie. Malte et ses an-
tiquités. — Chronique générale. — Cabinet de
la curiosité. — Annonces.

Beaux-Arts.

HISTOIRES DE VOLEURS.

LA COLLECTION PETROLEUS.

Nous commençons aujourd'hui la longue
et lugubre série de nos souvenirs personnels
à propos des objets d'art falsifiés jetés dans
la circulation. Ce qu'il y a de plus doulou-
reux dans ce que nous allons raconter, c'est
que tout est vrai. Rien n'est sorti de notre
imagination et nous pourrions citer des
noms propres à chaque ligne si des considé-
rations nombreuses ne venaient nous obliger
à garder des ménagements. Il est évident
que nous ne pouvons traîner sur la claie les
noms d'individus qui ont laissé des descen-
dants dont la conduite actuelle est au-dessus
de tout reproche comme de toute insinua-
tion. D'autres ont acquis des positions hono-
rables que nos révélations pourraient com-
promettre sans nécessité. Nous avons aussi à
Prendre des précautions pour ne pas nous
exposer à la mise en jeu du droit de réponse
et pour éviter les désagréments judiciaires
qu'on ne manquerait pas de nous occasion-
ner.

Peut-être ferions-nous mieux de nous
taire. Peut-être ! mais il nous a semblé dur
de disparaître de ce monde sans pousser le
cri d'indignation qui nous étreint depuis si
longtemps et surtout sans le pousser dans ce
journal qui a été pendant 25 ans le con-
fident de nos joies et de nos douleurs et où
nous avons, dans la mesure de nos forces,
travaillé au bénéfice de l'art. C'est devenu
Pour nous un besoin, si ce n'est un devoir,
de vider notre carquois avant de mourir et
d'initier nos contemporains aux indignités
Artistiques de tout genre commises en un
temps dont on ferait mieux de se montrer
rnoins fier si l'on songeait aux infàmies qu'il
a vu naître.

Donc, en avant, et qu'on ouvre les yeux.

La collection Peiroleus.

Il y a plus de trente ans je fus appelé par
un célèbre collectionneur dans une ville
étrangère afin de traiter d'une opération où
l'art n'avait rien à voir. Au fond je pensais
sans hésiter que cet appel avait indirecte-
ment pour but l'expertise officieuse d'une
considérable galerie de tableaux anciens de
toutes les écoles. J'étais assez curieux de vi-
siter cette collection. Je partis donc; le
propriétaire en question se trouva à la gare
pour me recevoir. Vers huit heures du soir,
il m'introduisit dans sa maison, me pré-
senta à sa nombreuse famille et ordonna
de servir le souper qui fut copieux, trop co-
pieux même. Vers 11 heures il me conduisit
à mon appartement. Chemin faisant, il ou-
vrit la porte de sa galerie et y plongea le
bras qui tenait le bougeoir. Mes regards dis-
tinguaient peu de chose, toutefois contre la
paroi la plus rapprochée de nous je reconnus
assez facilement un van Everdingen et un
Backhuyzen. — Oh! oh! fit notre homme,
vous êtes d'une certaine force, paraît-il; allons
je me fais une fête de voir tout cela demain
en votre compagnie. Bonne nuit! — Il me
serra la main et disparut. Je me couchai;
mais vers i ou 2 heures je dus me hâter de
me lever, d'allumer la bougie et de sortir de
la chambre à la recherche d'un lieu écarté
que je ne trouvai point. Dans ce moment
critique et de plus en plus poignant j'allais
rentrer dans la chambre quand une petite
porte dérobée frappa mes yeux; je l'ouvris...
un air frais me prit au visage et un petit
escalier s'offrit à moi. Persuadé qu'il devait
me mener au port, je le montai doucement...
Ce que je vis en ce moment eut d'abord pour
effet un résultat imprévu; la disparition com-
plète des convulsions dont j'étais tourmenté,
puis une stupéfaction profonde.

Devant moi s'ouvrait une galerie mansar-
dée, étroite, d'une longueur d'environ vingt
mètres. A droite un vitrage prolongé, à
gauche une douzaine de chevalets sur les-
quels reposaient des tableaux commencés
près desquels se trouvaient les panneaux
dont ces tableaux étaient les copies. Des ta-
bourets, des boîtes à couleur, tout l'attirail
du peintre encombrait cet atelier. Les origi-
naux, ou du moins les panneaux qui ser-
vaient en cette qualité, étaient des Van Eyck,
des Memling, des Bassan et des maîtres

colonais. Les autres chevalets étaient tous
occupés dans le genre des quatre premiers
sur lesquels ma vue se portait et qui fu-
rent les seuls que j'examinai avec une émo-
tion intraduisible. Telle était la perfection
relative des copies qu'il était difficile de
les distinguer des originaux, soi disant
tels. Je remarquai également, épinglées aux
chevalets, de petites gravures anciennes de
Durer, de Wohlgemuth, de Schongauer, de
Beham, etc. Quelques-unes portaient en
marge de nombreuses indications de couleur
avec lignes droitescorrespondant aux endroits
qui devaient être coloriés dans telle ou telle
nuance.

J'étais dans une caverne de voleurs!

Après quelques minutes pendant lesquelles
mon cœur battit avec force, je redescendis et
me recouchai avec les mêmes précautions
que j'avais prises au début de mon étrange
expédition.

Qu'avais-je innocemment fait? j'avais pé-
nétré un secret et en même temps découvert
un monde de supercheries. Quelle conduite
tenir et comment me tirer d'affaire? Un in-
stant j'eus l'idée de partir à la pointe du jour,
mais cette manière d'agir eut paru inexpli-
cable. Je résolus de dissimuler impertur-
bablement. Au fond je n'étais pas venu chez
ce faussaire pour ses tableaux, je n'avais donc
rien à démêler avec eux. Je me confiai au
hasard et m'endormis.

Vers 8 heures, je m'habillai et allai prendre
un peu l'air de la ville. J'avais le temps ; on
ne déjeûnait qu'à 10 heures. J'entrai dans
un caté et me fis servir un léger à-compte et
avisai le garçon qui avait l'air d'un bon
diable qu'un pourboire généreux mit en
belle humeur. Je lui demandai s'il y avait
des collectionneurs de tableaux dans la ville.
Certes, me répondit-il, la plus importante
est la collection Pétroleus qui appartient à
M. X... — Pourquoi ce nom : Pétroleus? —
Parce que M. X... a fait sa fortune dans le
pétrole, ce qui lui a permis d'engraisser son
coffre-fort en prêtant à la petite semaine. ■—
Ah! ça, mais, c'est donc un ... ■—un voleur?
Oui, monsieur. Du moins le peuple en est
convaincu, mais monsieur Pétroleus tient le
haut du pavé, il occupe un emploi impor-
tant, il a de l'influence, il faut se taire. -—
Et sa collection, comment est-elle? — Je ne
m'y connais pas, monsieur; on ne s'en occupe
 
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