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https://doi.org/10.11588/diglit.19245#0157
N° 20.
31 Octobre 1884.
Vingt-sixième Annee.
JOURNAL DES BEAUX-ARTS
ET DE LA LITTÉRATURE.
DIRECTEUR : M. Ad. SIRET.
membre de l'académie roy. de belgique, etc.
SOMMAIRE. Beaux Arts : Le salon de Bruxelles
(peinture). — Correspondance. — Le salon de
Bruxelles (sculpture). — Restauration générale
de l'église de Notre-Dame au Sablon à Bruxelles.
— Hans Mackart. — Chronique générale. —
Annonces.
Beaux-Arts.
SALON DE BRUXELLES.
PEINTURE.
(Suite).
SALLES 4 ET 5.
■— Fidèle au rendez-vous, mon cher Gér-
ais, merci et recevez mes plus cordiales
félicitations au sujet de votre rétablissement.
— Peuh ! cher maître, j'accepte, mais vous
savez, ces choses là sont intermittentes et
rien ne dit... mais laissons ces misères et au
^it. Où en sommes-nous? Dans les salles 4
et 5 où nous allons de l'une à l'autre. Je
Vous présente un tableau lourd comme du
Plomb. On dirait une coulée d'huile. C'est
slgné Baron qui d'ordinaire fait bien, mais
Pour cette fois les Roches de Frênes qui
v°us tombent sur le nez n'augmenteront pas
la réputation qu'il avait si bien établie. Heu-
reUsement on sent la griffe du lion, même
dans cette erreur. J'en dirai tout autant de
la Floraison des cerisiers à Genck d'Assel-
bergs, d'ordinaire plus délicat...
— Oh! oh! permettez que je vous inter-
rompe pour saluer ce portrait de Gervex qui
a l'air de se fondre dans la nuit. Dommage !
Quelle peinture sentie dans ce visage intelli-
§ent qui s'éteint, mais c'est tout. Le modèle
n'a de relief nulle part ailleurs, son corps est
Peu humain, on dirait une ombre brune dans
uUe nuit noire. Je crains bien que cela ne
tourne, avec le temps, à ressembler à quelque
vieux portrait espagnol où le nez se voit
eUcore quand le soleil donne dessus. Le gris
dans un portrait d'homme fait bien quand il
Ue pousse pas au froid, mais le noir! C'est
drôle tous ces gens qui ont trouvé la gloire
dans des tons différents : Rembrandt,le brun;
^ngres, le gris ; Delacroix, le rouge ; Diaz,
'e jaune; Bonnat, le noir; Bastien Lepage,
'e blanc ; Bouguereau, le chocolat...
— Qu'est-ce que cela fait si on obtient la
Vle? La couleur est un accessoire, rien de
Plus. Le dessin n'est guères davantage...
paraissant deux fois par mois.
PRIX PAR AN : BELGIQUE : 9 FRANCS.
ÉTRANGER : 12 FR.
— Prenez garde, maître, si on nous enten-
dait...
— Ne craignez rien. D'abord il n'y a per-
sonne comme vous voyez, ce qui est assez
l'ordinaire cette année, ensuite je suis de
force à soutenir mes opinions.
— D'accord, mais en art comme en poli-
tique on n'a jamais convaincu personne.
Donc, n'escarmouchons pas et continuons.
Venez voir avec moi cette poétique, élégante
et logne petite mère grise qui joue avec son
bébé, tandis qu'une fillette de quinze ans,
non moins élégante, non moins logne et non
moins grise, se penche sur un mur de ter-
rasse. Voici un joli fond gris de paysage en
harmonie avec le reste. Il y a là dedans un
sentiment mélancolique qui touche à la fa-
deur. C'est dessiné finement et précieuse-
ment. Je donnerai gros pour faire éclater au
milieu de cette scène intime une bombe de lu-
mière. Voyons de qui est-ce...Jules Wagener.
J'aurai dû m'en douter. Voici de M. Bourson
un portrait sagement peint,ce qui est quelque
chose par le temps qui court; de M. Mas-
saux une solide esquisse : Mare en Hollande-,
de M. Gilleman un Paysage à la Hulpe,
écho d'Huberti; de M. Boks un Casus belli,
bien pesant comme couleur et comme esprit ;
de M. Van Essen un Midi en Hollande, de
grand mérite sous tous les rapports; de
M. Houben un portrait bien fouillé, mais
d'une pose difficile et peu commode; de
M. Henry Rul, un Coin détang à Merxem,
charmant de nature et d'un sentiment juste,
touché sans emphase et avec une sorte de
respect qu'on ferait bien d'imiter; la Dyle à
Malines, par Albert de Keyser, d'un ton très
harmonieux;... Eh bien ! où donc êtes-vous,
cher maître ?..
—Je vous ai parfaitement entendu, mais je
me suis senti entraîné par ce diable de grand
tableau peint dans le genre de Valentin,
Coin de caverne par M. Linden. C'est vif,
c'est dur de lumière, c'est mal comprendre
son affaire que de traiter en grand un si
piètre sujet, mais c'est rudement carré. Ce
jeune Français (il doit être jeune) n'est pas le
premier venu. Maintenant tournez-vous et
regardez la cuisinière et le coquettier. Joli
couple d'office, ma foi, mais c'est peint avec
trop de conscience. Voyons Monsieur Van
Engelen, crevez un peu les digues de votre
palette, prenez du champ, étudiez moins
ADMINISTRATION et CORRESPONDANCE
a anvebs (Belgique) rue albert, 32.
méticuleusement les relations harmoniques
de vos tubes et tout ira bien sinon mieux.
Vous avez étudié Van Utrecht, Snyders,
De Heem et d'autres, mais vous avez oublié
de remarquer l'indépendance et la franchise
de leur pinceau.— Voyez donc vis-à-vis cette
femme nue avec une écharpe noire voilant
ses charmes si peu que rien, elle court ou
plutôt elle s'accroche à une branche d'arbre
d'une façon très-affairée, mais pas assez
cependant pour ne pas mettre une certaine
coquetterie dans son exercice plus ou moins
trape'zien. Il y a là du modelé et une grande
fraîcheur de coloris, mais du diable si je
comprends quelque chose à cette Fuite ainsi
que l'intitule son auteur, M. Haverman,
un Hollandais. —• Voici un Philosophe de
M. R. De Pauw juché un peu haut et qui
me paraît renfermer de sérieuses qualités
d'exéculion. Il y a là une saveur gothique
très-agréable à l'œil. Remarquez-vous cette
tendance à emboîter le pas avec Quentin
Metsys ? En voilà plusieurs que je prends
sur le fait : Van Hove (Edmond), Van Ha-
vermaet, H. de Braekeleer, Impens, de
Pauw, quetques artistes de l'école de Dussel-
dorf et d'autres dont les noms m'échappent.
Nous y reviendrons.
— Et quand nous y reviendrons, votre
ami Gervais aura son mot à dire. Pour le
moment continuons la revue de cette salle.
Voyez cette touche grasse et solide de
Dell'acqua dans cette œuvre si distinguée :
L'Enfant dort : comme le caractère du maî-
tre s'affirme bien dans ce genre gracieux et
élégant qui est l'atmosphère de son atelier !
— Applaudissez avec moi à ce tableau de
Garnier très frappant dans son allure, grande
et originale, peint dans une technique savante
qui ne cherche pas à escamoter les difficultés
par d'audacieux et complaisants coups de
brosse; belle chose, mais en définitive d'un
placement difficile si ce n'est dans quelque
musée plus soucieux de montrer au peuple
de bonnes choses que des rengaines à la
mode. — Quant à cette belle tête d'André
Chénier de M. Van den Bussche, je ne suis
pas absolument convaincu de la ressemblance
avec l'original; pour un poète, c'en est un,
l'inspiration y est, peut-être pas au même
degré que le mépris de la mort, mais enfin
ça y est.— M.Th.Hannon nous conduit cette
fois dans le pays des cascades ; ce ruisseau
31 Octobre 1884.
Vingt-sixième Annee.
JOURNAL DES BEAUX-ARTS
ET DE LA LITTÉRATURE.
DIRECTEUR : M. Ad. SIRET.
membre de l'académie roy. de belgique, etc.
SOMMAIRE. Beaux Arts : Le salon de Bruxelles
(peinture). — Correspondance. — Le salon de
Bruxelles (sculpture). — Restauration générale
de l'église de Notre-Dame au Sablon à Bruxelles.
— Hans Mackart. — Chronique générale. —
Annonces.
Beaux-Arts.
SALON DE BRUXELLES.
PEINTURE.
(Suite).
SALLES 4 ET 5.
■— Fidèle au rendez-vous, mon cher Gér-
ais, merci et recevez mes plus cordiales
félicitations au sujet de votre rétablissement.
— Peuh ! cher maître, j'accepte, mais vous
savez, ces choses là sont intermittentes et
rien ne dit... mais laissons ces misères et au
^it. Où en sommes-nous? Dans les salles 4
et 5 où nous allons de l'une à l'autre. Je
Vous présente un tableau lourd comme du
Plomb. On dirait une coulée d'huile. C'est
slgné Baron qui d'ordinaire fait bien, mais
Pour cette fois les Roches de Frênes qui
v°us tombent sur le nez n'augmenteront pas
la réputation qu'il avait si bien établie. Heu-
reUsement on sent la griffe du lion, même
dans cette erreur. J'en dirai tout autant de
la Floraison des cerisiers à Genck d'Assel-
bergs, d'ordinaire plus délicat...
— Oh! oh! permettez que je vous inter-
rompe pour saluer ce portrait de Gervex qui
a l'air de se fondre dans la nuit. Dommage !
Quelle peinture sentie dans ce visage intelli-
§ent qui s'éteint, mais c'est tout. Le modèle
n'a de relief nulle part ailleurs, son corps est
Peu humain, on dirait une ombre brune dans
uUe nuit noire. Je crains bien que cela ne
tourne, avec le temps, à ressembler à quelque
vieux portrait espagnol où le nez se voit
eUcore quand le soleil donne dessus. Le gris
dans un portrait d'homme fait bien quand il
Ue pousse pas au froid, mais le noir! C'est
drôle tous ces gens qui ont trouvé la gloire
dans des tons différents : Rembrandt,le brun;
^ngres, le gris ; Delacroix, le rouge ; Diaz,
'e jaune; Bonnat, le noir; Bastien Lepage,
'e blanc ; Bouguereau, le chocolat...
— Qu'est-ce que cela fait si on obtient la
Vle? La couleur est un accessoire, rien de
Plus. Le dessin n'est guères davantage...
paraissant deux fois par mois.
PRIX PAR AN : BELGIQUE : 9 FRANCS.
ÉTRANGER : 12 FR.
— Prenez garde, maître, si on nous enten-
dait...
— Ne craignez rien. D'abord il n'y a per-
sonne comme vous voyez, ce qui est assez
l'ordinaire cette année, ensuite je suis de
force à soutenir mes opinions.
— D'accord, mais en art comme en poli-
tique on n'a jamais convaincu personne.
Donc, n'escarmouchons pas et continuons.
Venez voir avec moi cette poétique, élégante
et logne petite mère grise qui joue avec son
bébé, tandis qu'une fillette de quinze ans,
non moins élégante, non moins logne et non
moins grise, se penche sur un mur de ter-
rasse. Voici un joli fond gris de paysage en
harmonie avec le reste. Il y a là dedans un
sentiment mélancolique qui touche à la fa-
deur. C'est dessiné finement et précieuse-
ment. Je donnerai gros pour faire éclater au
milieu de cette scène intime une bombe de lu-
mière. Voyons de qui est-ce...Jules Wagener.
J'aurai dû m'en douter. Voici de M. Bourson
un portrait sagement peint,ce qui est quelque
chose par le temps qui court; de M. Mas-
saux une solide esquisse : Mare en Hollande-,
de M. Gilleman un Paysage à la Hulpe,
écho d'Huberti; de M. Boks un Casus belli,
bien pesant comme couleur et comme esprit ;
de M. Van Essen un Midi en Hollande, de
grand mérite sous tous les rapports; de
M. Houben un portrait bien fouillé, mais
d'une pose difficile et peu commode; de
M. Henry Rul, un Coin détang à Merxem,
charmant de nature et d'un sentiment juste,
touché sans emphase et avec une sorte de
respect qu'on ferait bien d'imiter; la Dyle à
Malines, par Albert de Keyser, d'un ton très
harmonieux;... Eh bien ! où donc êtes-vous,
cher maître ?..
—Je vous ai parfaitement entendu, mais je
me suis senti entraîné par ce diable de grand
tableau peint dans le genre de Valentin,
Coin de caverne par M. Linden. C'est vif,
c'est dur de lumière, c'est mal comprendre
son affaire que de traiter en grand un si
piètre sujet, mais c'est rudement carré. Ce
jeune Français (il doit être jeune) n'est pas le
premier venu. Maintenant tournez-vous et
regardez la cuisinière et le coquettier. Joli
couple d'office, ma foi, mais c'est peint avec
trop de conscience. Voyons Monsieur Van
Engelen, crevez un peu les digues de votre
palette, prenez du champ, étudiez moins
ADMINISTRATION et CORRESPONDANCE
a anvebs (Belgique) rue albert, 32.
méticuleusement les relations harmoniques
de vos tubes et tout ira bien sinon mieux.
Vous avez étudié Van Utrecht, Snyders,
De Heem et d'autres, mais vous avez oublié
de remarquer l'indépendance et la franchise
de leur pinceau.— Voyez donc vis-à-vis cette
femme nue avec une écharpe noire voilant
ses charmes si peu que rien, elle court ou
plutôt elle s'accroche à une branche d'arbre
d'une façon très-affairée, mais pas assez
cependant pour ne pas mettre une certaine
coquetterie dans son exercice plus ou moins
trape'zien. Il y a là du modelé et une grande
fraîcheur de coloris, mais du diable si je
comprends quelque chose à cette Fuite ainsi
que l'intitule son auteur, M. Haverman,
un Hollandais. —• Voici un Philosophe de
M. R. De Pauw juché un peu haut et qui
me paraît renfermer de sérieuses qualités
d'exéculion. Il y a là une saveur gothique
très-agréable à l'œil. Remarquez-vous cette
tendance à emboîter le pas avec Quentin
Metsys ? En voilà plusieurs que je prends
sur le fait : Van Hove (Edmond), Van Ha-
vermaet, H. de Braekeleer, Impens, de
Pauw, quetques artistes de l'école de Dussel-
dorf et d'autres dont les noms m'échappent.
Nous y reviendrons.
— Et quand nous y reviendrons, votre
ami Gervais aura son mot à dire. Pour le
moment continuons la revue de cette salle.
Voyez cette touche grasse et solide de
Dell'acqua dans cette œuvre si distinguée :
L'Enfant dort : comme le caractère du maî-
tre s'affirme bien dans ce genre gracieux et
élégant qui est l'atmosphère de son atelier !
— Applaudissez avec moi à ce tableau de
Garnier très frappant dans son allure, grande
et originale, peint dans une technique savante
qui ne cherche pas à escamoter les difficultés
par d'audacieux et complaisants coups de
brosse; belle chose, mais en définitive d'un
placement difficile si ce n'est dans quelque
musée plus soucieux de montrer au peuple
de bonnes choses que des rengaines à la
mode. — Quant à cette belle tête d'André
Chénier de M. Van den Bussche, je ne suis
pas absolument convaincu de la ressemblance
avec l'original; pour un poète, c'en est un,
l'inspiration y est, peut-être pas au même
degré que le mépris de la mort, mais enfin
ça y est.— M.Th.Hannon nous conduit cette
fois dans le pays des cascades ; ce ruisseau