PLANCHE SECONDE, SAINT THOMAS
I 33
gens du roi et de la commune, hommes d'église et hommes de loi, personnages publics et prudhommes,
associés aux simples bons hommes du modeste populaire; jeunes clercs du Chapitre(i) et jouvenceaux
de la cité, etc., etc., enrôlés et préparés de longue main à la mise en œuvre, puis équipés avec une
merveilleuse fierté et gorgiasement habillés de tous les plus riches paremens de la province, pour faire
chacun selon sa qualité bonne mine (2); et enfin poursuivant durant quelque trente ou quarante jours
consécutifs la représentation du ;'ew(3),qui n'atteignait sa fin que moyennant cette espèce de session.
89. Abordons ce drame du xve siècle, groupe énorme où nous n'étudierons que les parties relatives
curiosités : après avoir soulevé discrètement un coin du rideau, cier en observateurs calmes et réfléchis ce qui se mouvait sous
ils nous laissent sur l'envie. Nous nous serions bien chargés du cette surface. Le reste a pour moindre inconvénient, celui detre
commentaire, mais il ne fallait pas nous dérober le fond. rebattu et parfaitement inutile.
Bien des conciles ont partagé l'opinion du moine sévère dont (i) Cette prétention à la donne mine n'était pas tellement réglée
on vient de lire la mercuriale, mais tout le monde sait cela. Ce par la qualité du personnage, que les convenances du rôle n'y
qu'on ne sait pas assez, c'est que les conciles et les décrétales ne fussent outrepassées quelquefois. C'est ce que fait remarquer la
blâment en ceci que les excès et les abus; mais non pas le fond relation du sieur de Quantilly au sujet d'un groupe d'aucuns
des choses. malades comme aveugles, boiteux, déinoniaclcs, fiebvreux et bé-
(1) Nous faisons remarquer à dessein cette participation des listres , tous vestus de drap desoye, trop mieux que a leur estât
jeunes clercs que l'on a pu observer déjà dans la note précédente. riappartenoit (p. 23). Plus loin (p. 62), les vêtements de taffetas
C'est pour en prendre occasion de conjurer ceux qui écriront dé- que porte un mareschal du roy Migdeus pourraient faire prendre
sormais sur les joies dont l'Eglise était souvent le théâtre au moyen le change sur la condition de ce personnage accompagué d'un
âge, de vouloir bien nous épargner les fades homélies de leurs de- varlet. Mais c'est un forgeron, tout simplement; si bien que lui
vanciers sur la sainteté du lieu et de la profession ecclésiastique que et son varlet portent des barres de fer et marteaux sur leurs cols
l'on y profanait, à ce qu'ils disent.Zèle attendrissant surtout dans (Cs. nos 90, 91 ; p. 158, etc.).
la bouche de quelques-uns de ces messieurs dont il était permis H y a tout lieu de croire que les familles des figurants mettaient
d'attendre autre chose que de saintes et édifiantes doléances. Leurs chacune à la toilette des siens une émulation de luxe qui n'était
successeurs sont priés de vouloir bien faire attention que les en- pas toujours au profit d'une graduation bien exacte dans la mine
fants et les jeunes gens du moyen âge n'étaient pas obligés plus que des divers personnages mesurée sur leur importance dramatique,
les nôtres d'être des barbons. Donc ces enfants de chœur (scho- Mais pour qu'on se forme une idée de la somptuosité qui
lares, parvuli chorales, infantes ecclesiœ, subdiaconi, etc., etc.) qui présida au choix des costumes dans cette fête de province au
étaient la partie principale des séminaires d'alors, et dont les fone- xvie siècle, je mettrai dès maintenant par anticipation sous les yeux
tions étaient habituellement si graves pour leur âge, il faut bien des lecteurs Xévesque (païen) de la lof d'Ynde (p. 49) monte sur
tolérer qu'ils pussent à certains jours se relâcher un tant soit peu une mule houssée de drap dor, ensemble le harnois. « Il estoit
de la contrainte ordinaire (Cs. Concil. Salisburg., A. 1274, Can. vestu d'une longue robe écarlate doublée de veloux noir, et par-
XVII; ap. Canis., Thesaur., t. IV, 90). Et il ne faut pas nous dire dessus ung rochet de toile tissue à bandes d'or et soye blanche,
qu'ils pouvaient bien célébrer de joyeuses solennités tout à leur fort beau. Il avoit pardessus ung capuchon de satin verd, dont le
aise, mais non pas dans l'église; car où voudriez-vous qu'ils eussent collet et tout l'entour estoit bordé de pierreries et frangé de
choisi un lieu plus propre à des fêtes publiques ? Je m'abstiens franges d'or. Il portoit une mitre de satin cramoisy, doublée de
même de faire remarquer que l'origine et la fin de ces pompes satin blanc; elle estoit semée de pierreries et de perles en grand
naïves étaient beaucoup plus religieuses qu'on ne l'a dit ou même nombre. Il avoit en ses doigts des anneaux d'or où estoient en-
compris. Mais songez que dans les temps et dans les lieux où la châssées diverses sortes de pierreries de grosse valeur, etc. »
religion est le tout de l'homme, le temple est le tout du peuple. L'antiquité reprochait aux Athéniens d'avoir dévoré tout l'ar-
Etablir et prétendre maintenir en ce genre ces démarcations qui gent de la Grèce pour combler l'abime de leurs fêtes, et d'avoir
paraissent si importantes à ceux pour qui la religion est une af- plus dépensé à leur théâtre qu'à toutes les guerres contre les
faire entre autres, c'est prétendre que le peuple se conduise par barbares. Si l'on fait attention qu'ici c'est l'œuvre du duché de
des idées métaphysiques; et, pour parler plus net, c'est vouloir Berry tout seul, je ne sais comment les économistes expliqueront
que la religion soit impopulaire. Ce serait faire penser au peuple ce phénomène de magnificence provinciale. Ajoutez que l'on sor-
qu'il y a des moments, ou bien des choses, où la religion doit tait des guerres d'Italie, et que Bourges avait été dévasté par
le quitter, où il peut (et même devrait, par hypothèse) en faire d'effroyables incendies à la fin du xvc siècle.
abstraction. Idée fausse! et incompatible, par le fait, avec une (3) Ce mot jeu (ludus) semble avoir été l'une des plus anciennes
civilisation vigoureuse. et des plus durables dénominations dont on ait fait usage pour
Aussi, au moyen âge, nous voyons des églises préluder à la désigner les représentations dramatiques chez les modernes. On
fondation des musées de tout genre (même d'histoire naturelle), la retrouve avec ce même sens depuis le xie siècle, pour le moins,
et à l'institution des chaires publiques de littérature; enfin, ce jusqu'au xvic. Saint Pierre Damien suppose déjà l'emploi de cette
qui doit bien obtenir une certaine sympathie dans notre siècle, expression bien établi, quand il compare l'appareil du crucifie-
nous les trouvons abritant des assemblées délibérantes. ment et de la résurrection de Jésus-Christ à la pompe d'un plai-
Je sais que tout cela serait un contre-sens aujourd'hui ; et non- doyer dramatique, sous le nom de Ludus judiciarius (P. Damian.
seulement dans les mœurs, mais aussi dans le fond des choses. Serm. XII, de Resurrectione). Et actuellement encore le jeu con-
Pourquoi? Parce que la chose laïque envahirait alors et submer- serve sa trace dans notre langue, qui continue à dire jouer une
gérait inévitablement son hôte ecclésiastique. Mais au temps dont pièce de théâtre
nous parlons, ce n'était point cela. Il n'y avait pas alors deux L'invective transcrite dans YHortus deliciarum, que je rappor-
mondes qu'il fallût guider à force d'expédients dans leurs orbites tais précédemment donnerait à penser qu'on employait aussi
respectives pour éviter les chocs, et sauver à l'un d'eux le sort du le mot regnum. C'était comme une cour plénière, un cortège
pot de terre en voyage. Jadis le monde ne se composait que d'une triomphal etc Et dans le fait, je ne vois pas ce que les rois au-
grande sphère, et l'astre du foyer ne jalousait, point ses satellites; raient pu faire de plus. On s'efforçait d'atteindre le maximum de
voilà tout. pompe et de richesse, sans que les princes songeassent à se for-
Si l'on vient nous dire après cela qu'il y avait des abus, de maliser de cette rivalité, ou à la comprimer par des arrêts somp-
grandsabus; c'est ce qui est impatientant. Nous avons les conciles tuaires. Je trouve qu'à Lyon, vers le temps de Louis XII, un acte
pour nous le répéter à satiété, avec cette différence qu'eux, du consulaire fait prêter aux acteurs des beaux mystères, pour la
moins, se mêlaient en cela de leurs affaires. Mais aujourd'hui que décoration de leur théâtre, les pièces de décoration qui avaient
nous sommes d'une perfection à en être presque ennuyeux, servi pour les entrées solennelles du roi et de la reine. Cs. Colonia,
laissons donc les abus, qui ne nous regardent pas, pour appré- Hist. littéraire . . . de Lyon, t. II, 428, sv.
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gens du roi et de la commune, hommes d'église et hommes de loi, personnages publics et prudhommes,
associés aux simples bons hommes du modeste populaire; jeunes clercs du Chapitre(i) et jouvenceaux
de la cité, etc., etc., enrôlés et préparés de longue main à la mise en œuvre, puis équipés avec une
merveilleuse fierté et gorgiasement habillés de tous les plus riches paremens de la province, pour faire
chacun selon sa qualité bonne mine (2); et enfin poursuivant durant quelque trente ou quarante jours
consécutifs la représentation du ;'ew(3),qui n'atteignait sa fin que moyennant cette espèce de session.
89. Abordons ce drame du xve siècle, groupe énorme où nous n'étudierons que les parties relatives
curiosités : après avoir soulevé discrètement un coin du rideau, cier en observateurs calmes et réfléchis ce qui se mouvait sous
ils nous laissent sur l'envie. Nous nous serions bien chargés du cette surface. Le reste a pour moindre inconvénient, celui detre
commentaire, mais il ne fallait pas nous dérober le fond. rebattu et parfaitement inutile.
Bien des conciles ont partagé l'opinion du moine sévère dont (i) Cette prétention à la donne mine n'était pas tellement réglée
on vient de lire la mercuriale, mais tout le monde sait cela. Ce par la qualité du personnage, que les convenances du rôle n'y
qu'on ne sait pas assez, c'est que les conciles et les décrétales ne fussent outrepassées quelquefois. C'est ce que fait remarquer la
blâment en ceci que les excès et les abus; mais non pas le fond relation du sieur de Quantilly au sujet d'un groupe d'aucuns
des choses. malades comme aveugles, boiteux, déinoniaclcs, fiebvreux et bé-
(1) Nous faisons remarquer à dessein cette participation des listres , tous vestus de drap desoye, trop mieux que a leur estât
jeunes clercs que l'on a pu observer déjà dans la note précédente. riappartenoit (p. 23). Plus loin (p. 62), les vêtements de taffetas
C'est pour en prendre occasion de conjurer ceux qui écriront dé- que porte un mareschal du roy Migdeus pourraient faire prendre
sormais sur les joies dont l'Eglise était souvent le théâtre au moyen le change sur la condition de ce personnage accompagué d'un
âge, de vouloir bien nous épargner les fades homélies de leurs de- varlet. Mais c'est un forgeron, tout simplement; si bien que lui
vanciers sur la sainteté du lieu et de la profession ecclésiastique que et son varlet portent des barres de fer et marteaux sur leurs cols
l'on y profanait, à ce qu'ils disent.Zèle attendrissant surtout dans (Cs. nos 90, 91 ; p. 158, etc.).
la bouche de quelques-uns de ces messieurs dont il était permis H y a tout lieu de croire que les familles des figurants mettaient
d'attendre autre chose que de saintes et édifiantes doléances. Leurs chacune à la toilette des siens une émulation de luxe qui n'était
successeurs sont priés de vouloir bien faire attention que les en- pas toujours au profit d'une graduation bien exacte dans la mine
fants et les jeunes gens du moyen âge n'étaient pas obligés plus que des divers personnages mesurée sur leur importance dramatique,
les nôtres d'être des barbons. Donc ces enfants de chœur (scho- Mais pour qu'on se forme une idée de la somptuosité qui
lares, parvuli chorales, infantes ecclesiœ, subdiaconi, etc., etc.) qui présida au choix des costumes dans cette fête de province au
étaient la partie principale des séminaires d'alors, et dont les fone- xvie siècle, je mettrai dès maintenant par anticipation sous les yeux
tions étaient habituellement si graves pour leur âge, il faut bien des lecteurs Xévesque (païen) de la lof d'Ynde (p. 49) monte sur
tolérer qu'ils pussent à certains jours se relâcher un tant soit peu une mule houssée de drap dor, ensemble le harnois. « Il estoit
de la contrainte ordinaire (Cs. Concil. Salisburg., A. 1274, Can. vestu d'une longue robe écarlate doublée de veloux noir, et par-
XVII; ap. Canis., Thesaur., t. IV, 90). Et il ne faut pas nous dire dessus ung rochet de toile tissue à bandes d'or et soye blanche,
qu'ils pouvaient bien célébrer de joyeuses solennités tout à leur fort beau. Il avoit pardessus ung capuchon de satin verd, dont le
aise, mais non pas dans l'église; car où voudriez-vous qu'ils eussent collet et tout l'entour estoit bordé de pierreries et frangé de
choisi un lieu plus propre à des fêtes publiques ? Je m'abstiens franges d'or. Il portoit une mitre de satin cramoisy, doublée de
même de faire remarquer que l'origine et la fin de ces pompes satin blanc; elle estoit semée de pierreries et de perles en grand
naïves étaient beaucoup plus religieuses qu'on ne l'a dit ou même nombre. Il avoit en ses doigts des anneaux d'or où estoient en-
compris. Mais songez que dans les temps et dans les lieux où la châssées diverses sortes de pierreries de grosse valeur, etc. »
religion est le tout de l'homme, le temple est le tout du peuple. L'antiquité reprochait aux Athéniens d'avoir dévoré tout l'ar-
Etablir et prétendre maintenir en ce genre ces démarcations qui gent de la Grèce pour combler l'abime de leurs fêtes, et d'avoir
paraissent si importantes à ceux pour qui la religion est une af- plus dépensé à leur théâtre qu'à toutes les guerres contre les
faire entre autres, c'est prétendre que le peuple se conduise par barbares. Si l'on fait attention qu'ici c'est l'œuvre du duché de
des idées métaphysiques; et, pour parler plus net, c'est vouloir Berry tout seul, je ne sais comment les économistes expliqueront
que la religion soit impopulaire. Ce serait faire penser au peuple ce phénomène de magnificence provinciale. Ajoutez que l'on sor-
qu'il y a des moments, ou bien des choses, où la religion doit tait des guerres d'Italie, et que Bourges avait été dévasté par
le quitter, où il peut (et même devrait, par hypothèse) en faire d'effroyables incendies à la fin du xvc siècle.
abstraction. Idée fausse! et incompatible, par le fait, avec une (3) Ce mot jeu (ludus) semble avoir été l'une des plus anciennes
civilisation vigoureuse. et des plus durables dénominations dont on ait fait usage pour
Aussi, au moyen âge, nous voyons des églises préluder à la désigner les représentations dramatiques chez les modernes. On
fondation des musées de tout genre (même d'histoire naturelle), la retrouve avec ce même sens depuis le xie siècle, pour le moins,
et à l'institution des chaires publiques de littérature; enfin, ce jusqu'au xvic. Saint Pierre Damien suppose déjà l'emploi de cette
qui doit bien obtenir une certaine sympathie dans notre siècle, expression bien établi, quand il compare l'appareil du crucifie-
nous les trouvons abritant des assemblées délibérantes. ment et de la résurrection de Jésus-Christ à la pompe d'un plai-
Je sais que tout cela serait un contre-sens aujourd'hui ; et non- doyer dramatique, sous le nom de Ludus judiciarius (P. Damian.
seulement dans les mœurs, mais aussi dans le fond des choses. Serm. XII, de Resurrectione). Et actuellement encore le jeu con-
Pourquoi? Parce que la chose laïque envahirait alors et submer- serve sa trace dans notre langue, qui continue à dire jouer une
gérait inévitablement son hôte ecclésiastique. Mais au temps dont pièce de théâtre
nous parlons, ce n'était point cela. Il n'y avait pas alors deux L'invective transcrite dans YHortus deliciarum, que je rappor-
mondes qu'il fallût guider à force d'expédients dans leurs orbites tais précédemment donnerait à penser qu'on employait aussi
respectives pour éviter les chocs, et sauver à l'un d'eux le sort du le mot regnum. C'était comme une cour plénière, un cortège
pot de terre en voyage. Jadis le monde ne se composait que d'une triomphal etc Et dans le fait, je ne vois pas ce que les rois au-
grande sphère, et l'astre du foyer ne jalousait, point ses satellites; raient pu faire de plus. On s'efforçait d'atteindre le maximum de
voilà tout. pompe et de richesse, sans que les princes songeassent à se for-
Si l'on vient nous dire après cela qu'il y avait des abus, de maliser de cette rivalité, ou à la comprimer par des arrêts somp-
grandsabus; c'est ce qui est impatientant. Nous avons les conciles tuaires. Je trouve qu'à Lyon, vers le temps de Louis XII, un acte
pour nous le répéter à satiété, avec cette différence qu'eux, du consulaire fait prêter aux acteurs des beaux mystères, pour la
moins, se mêlaient en cela de leurs affaires. Mais aujourd'hui que décoration de leur théâtre, les pièces de décoration qui avaient
nous sommes d'une perfection à en être presque ennuyeux, servi pour les entrées solennelles du roi et de la reine. Cs. Colonia,
laissons donc les abus, qui ne nous regardent pas, pour appré- Hist. littéraire . . . de Lyon, t. II, 428, sv.
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