CHAPITRE QUATORZIÈME.
PLANCHE QUATORZIÈME. — SAINT LAURENT ET SAINT VINCENT.
Se JDer ne rent repos |>or Ijaste
21 relui qui n'û prin nr poste,
<Ct qui por lui s'est essiiliej
Jpor fere s'àmc sobre et rqoste,
JÛien est bonc saint fforen; truillirj
Clui fu rosti; et greillie;,
CUti fist à .Ocu be son eors qastr.
Hélioand, Fabel de la mort. M*, de
la Bibliothèque du Roi.
177. Je ne sais qui, ou plutôt je ne sais combien de fois, et par combien d'organes, certaine philo-
sophie de l'art a blâmé fort magistralement les représentations de tortures dans les églises. C'était,
disait-on, s'écarter tristement des modèles qu'avait chéris le christianisme primitif, et alimenter, sous
ombre de religion, des instincts sauvages, que Ton ne saurait assez comprimer. Doléances d'une phi-
losophie bien tendre! Mais les philosophes que leur sensibilité a entraînés dans ces considérations la-
mentables, eussent dû songer que, comme il est un rire aux larmes, il est aussi une sorte de pathé-
tique qui prête à rire. Est-ce que, par hasard, ils auraient ignoré que ce sont les victimes, ici, qui sont
offertes à l'admiration des peuples? Quand le patient est présenté comme un objet d'horreur, et que
les rigueurs du supplice sont étalées sous la forme d'une justice sévère qui vise à obtenir l'adhésion
de la foule, que l'on désire alors un adoucissement dans cet appareil des vengeances publiques, de crainte
que le témoin ne s'associe trop vivement aux sentiments farouches du bourreau; passe! Je n'adopte
cette thèse, ni ne la repousse; je l'écarté seulement, attendu qu'il ne s'agit pas de cela. Mais il ne
faut pas être sentimental jusqu'à bannir la pensée, ou même le spectacle de l'héroïsme par égard pour
les constitutions nerveuses. En outre, lorsque, se réclamant de l'antiquité chrétienne, on vient nous
parler du Bon Pasteur ou de l'Orphée des catacombes, par exemple, pour nous persuader l'emploi
exclusif des douces peintures et des tableaux purement gracieux, c'est cumuler une fausse assertion en
fait d'histoire avec une fausse analogie en fait de raisonnement.
Quand il serait vrai que les premiers âges de l'Église se fussent interdit les représentations de tour-
ments, et que les rudes parois des catacombes n'eussent été tapissées que d'albanes, qu'en pourrait-
on conclure? J'ai déjà fait entendre(1) ce qu'il y a de légèreté ou d'affectation dans ces appels à la
primitive Eglise; mais y aurait-il vraiment lieu de recourir à ce patronage contre les peintures de
martyres? Tant que la paix n'était pas venue clore l'ère sanglante des grandes persécutions, il est bien
clair que le nombre des sujets aujourd'hui exploités par l'art devait être beaucoup plus restreint,
puisque quantité d'illustres martyrs vivaient encore, ou même n'étaient pas encore nés. Ainsi, les vic-
times de la persécution de Dioclétien ou de Galère ne pouvaient évidemment être exposées aux regards
des fidèles contemporains d'Àurélien ou de Dèce. Sur ce point on n'exigera pas de longues preuves,
sans doute. Donc, premièrement, le choix des sujets étant renfermé dans un cercle bien moins étendu,
et qui va toujours se resserrant à mesure que l'on remonte vers le premier martyr, saint Etienne; les
lieux, d'ailleurs, où il était possible de les reproduire étant extrêmement rares, et très-peu de monu-
ments chrétiens antiques ayant pu arriver jusqu'à nous, il serait sage de ne pas trop agrandir les
conséquences auxquelles sembleraient prêter ceux qui nous restent.
Et puis, quelle différence entre ces temps et les nôtres, quant aux motifs qui pourraient inspirer
l'adoption ou l'interdiction de ces spectacles! Du temps que sur les places publiques apparaissaient
chaque jour, pour ainsi dire, les supplices réels, qu'avait-on besoin de rappeler aux témoins de ces
affreuses tortures les rudes combats des athlètes chrétiens? L'appareil officiel des tourments dans toute
leur horrible réalité, suffisait certes à montrer aux disciples de Jésus-Christ leur destinée probable; et
les modèles vivants étaient assez répétés pour animer leur courage. C'est alors qu'il y aurait eu
vraiment danger de rendre le chrétien farouche, si, rentrant de l'arène où il avait vu ruisseler le sang
de ses frères, du tribunal où il avait respiré l'odeur des chairs brûlées, et entendu les imprécations
(1) N° 36 (p. 59—6i), etc.
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PLANCHE QUATORZIÈME. — SAINT LAURENT ET SAINT VINCENT.
Se JDer ne rent repos |>or Ijaste
21 relui qui n'û prin nr poste,
<Ct qui por lui s'est essiiliej
Jpor fere s'àmc sobre et rqoste,
JÛien est bonc saint fforen; truillirj
Clui fu rosti; et greillie;,
CUti fist à .Ocu be son eors qastr.
Hélioand, Fabel de la mort. M*, de
la Bibliothèque du Roi.
177. Je ne sais qui, ou plutôt je ne sais combien de fois, et par combien d'organes, certaine philo-
sophie de l'art a blâmé fort magistralement les représentations de tortures dans les églises. C'était,
disait-on, s'écarter tristement des modèles qu'avait chéris le christianisme primitif, et alimenter, sous
ombre de religion, des instincts sauvages, que Ton ne saurait assez comprimer. Doléances d'une phi-
losophie bien tendre! Mais les philosophes que leur sensibilité a entraînés dans ces considérations la-
mentables, eussent dû songer que, comme il est un rire aux larmes, il est aussi une sorte de pathé-
tique qui prête à rire. Est-ce que, par hasard, ils auraient ignoré que ce sont les victimes, ici, qui sont
offertes à l'admiration des peuples? Quand le patient est présenté comme un objet d'horreur, et que
les rigueurs du supplice sont étalées sous la forme d'une justice sévère qui vise à obtenir l'adhésion
de la foule, que l'on désire alors un adoucissement dans cet appareil des vengeances publiques, de crainte
que le témoin ne s'associe trop vivement aux sentiments farouches du bourreau; passe! Je n'adopte
cette thèse, ni ne la repousse; je l'écarté seulement, attendu qu'il ne s'agit pas de cela. Mais il ne
faut pas être sentimental jusqu'à bannir la pensée, ou même le spectacle de l'héroïsme par égard pour
les constitutions nerveuses. En outre, lorsque, se réclamant de l'antiquité chrétienne, on vient nous
parler du Bon Pasteur ou de l'Orphée des catacombes, par exemple, pour nous persuader l'emploi
exclusif des douces peintures et des tableaux purement gracieux, c'est cumuler une fausse assertion en
fait d'histoire avec une fausse analogie en fait de raisonnement.
Quand il serait vrai que les premiers âges de l'Église se fussent interdit les représentations de tour-
ments, et que les rudes parois des catacombes n'eussent été tapissées que d'albanes, qu'en pourrait-
on conclure? J'ai déjà fait entendre(1) ce qu'il y a de légèreté ou d'affectation dans ces appels à la
primitive Eglise; mais y aurait-il vraiment lieu de recourir à ce patronage contre les peintures de
martyres? Tant que la paix n'était pas venue clore l'ère sanglante des grandes persécutions, il est bien
clair que le nombre des sujets aujourd'hui exploités par l'art devait être beaucoup plus restreint,
puisque quantité d'illustres martyrs vivaient encore, ou même n'étaient pas encore nés. Ainsi, les vic-
times de la persécution de Dioclétien ou de Galère ne pouvaient évidemment être exposées aux regards
des fidèles contemporains d'Àurélien ou de Dèce. Sur ce point on n'exigera pas de longues preuves,
sans doute. Donc, premièrement, le choix des sujets étant renfermé dans un cercle bien moins étendu,
et qui va toujours se resserrant à mesure que l'on remonte vers le premier martyr, saint Etienne; les
lieux, d'ailleurs, où il était possible de les reproduire étant extrêmement rares, et très-peu de monu-
ments chrétiens antiques ayant pu arriver jusqu'à nous, il serait sage de ne pas trop agrandir les
conséquences auxquelles sembleraient prêter ceux qui nous restent.
Et puis, quelle différence entre ces temps et les nôtres, quant aux motifs qui pourraient inspirer
l'adoption ou l'interdiction de ces spectacles! Du temps que sur les places publiques apparaissaient
chaque jour, pour ainsi dire, les supplices réels, qu'avait-on besoin de rappeler aux témoins de ces
affreuses tortures les rudes combats des athlètes chrétiens? L'appareil officiel des tourments dans toute
leur horrible réalité, suffisait certes à montrer aux disciples de Jésus-Christ leur destinée probable; et
les modèles vivants étaient assez répétés pour animer leur courage. C'est alors qu'il y aurait eu
vraiment danger de rendre le chrétien farouche, si, rentrant de l'arène où il avait vu ruisseler le sang
de ses frères, du tribunal où il avait respiré l'odeur des chairs brûlées, et entendu les imprécations
(1) N° 36 (p. 59—6i), etc.
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