CHAPITRE SEIZIÈME.
PLANCHE SEIZIÈME. — SAINTE CÉCILE, SAINT JEAN-BAPTISTE
ET SAINT ETIENNE.
188. On a fait une bien mauvaise querelle aux musiciens, quand on a prétendu leur contester la
légitimité du patronage de sainte Cécile. Comme il est assez rare que l'érudition et la musique se
donnent rendez-vous dans un même cerveau, je pense que les auteurs de cette chicane ont un peu
compté sur l'indifférence des éruclits pour la patronne des musiciens, ou sur la facilité d'entamer les
musiciens dans une affaire d'érudition. Les moyens d'attaque ont été si pauvres, que cela s'est trouvé
ne ressembler pas mal à une mystification toute pure. H y a peu d'années encore, l'on a présenté
comme une découverte curieuse, l'idée que Raphaël pourrait bien s'être inspiré de la Chronique de
Nuremherej. En outre, Raphaël ou les intermédiaires entre lui et Wilhelm Pleydenwurff, n'auraient eu
qu'un tort en ceci : celui de ne pas copier assez exactement leur modèle. Quand il serait vrai, — et
il n'en est rien,— que W. Pleydenwurff ou son confrère en gravure sur bois, Michel Wolgemut, eussent
mis à la main de sainte Cécile une carde de fer comme instrument (imaginaire) de son ntartyre;
cette palette quelconque ressemble si peu à tout ce qui pourrait faire naître la pensée d'un orgue,
qu'il n'y a pas moyen de tolérer l'invention d'une pareille origine.
Pour nous, que l'état actuel du vitrail de Bourges (lancette B) dispense d'entrer ici dans ces ques-
tions, bornons-nous à rendre raison des scènes qui nous restent. Il ne nous faudra point, comme l'a
fait l'un des censeurs les plus récents de la légende de sainte Cécile, recourir à un vieux bréviaire
de Cracovie, qui ne disait en cela rien que ne dise encore toute l'Église (sauf une partie de la France)
avec le bréviaire romain. Nous possédons les anciens actes de la sainte, publiés par Bosio d'abord,
puis par Laderchi, et parfaitement d'accord avec les abrégés populaires qu'en ont faits le bréviaire et la
Légende dorée entre autres.
189. Cécile, jalouse de conserver sa virginité, pour ne laisser entrer nul amour mortel en son cœur,
s'était vue contrainte d'épouser Valérien; et la solennité des noces venait de s'accomplir. Sitôt qu'elle se
trouve seule avec son époux encore païen, elle lui déclare qu'un ange de Dieu veille sur elle, prêt à
venger toute tentative contraire à la résolution qu'elle a formée de rester vierge. Le jeune homme
demande qu'il lui soit donné au moins de voir ce gardien mystérieux; et Cécile lui apprend que, sans
le baptême, ses yeux ne s'ouvriront point pour ce spectacle céleste. Elle l'envoie au pape saint Urbain 1er,
qui, ayant déjà confessé deux fois la divinité de Jésus-Christ devant les tribunaux, vivait caché dans
les catacombes. Valérien est baptisé, et, à son retour, il trouve Cécile en prières; un ange, éclatant
de lumière, était près d'elle, et tenait de chaque main une couronne destinée à chacun des époux (1).
(1) Il faut citer au moins quelques extraits de cette belle rela-
tion dont les fragments épars dans les antiennes et les répons du
bréviaire, exilaient encore un parfum de piété naïve et de simpli-
cité majestueuse, que trop peu d'autres offices ont conservé jus-
qu'à nos jours. Je suis le texte publié par Bosio {Hist. pass. B.
CœciL, etc., Rom., 1600) « Venit dies in quo thalamus collocatus
est. ... et biduanis ac triduanis jejuniis orans, commendabat
( Cœcilia) Domino quod timebat, invitabat angelos precibus, la-
crymis interpellabat apostolos, et sancta agmina omnia Christo
famulantia exorabat ut suis eam deprecationibus adjuvarent suam
Domino pudicitiam commendantem.
« Sed quum hœc agerentur, venit nox in qua suscepit una cum
sponso suo cubiculi sécréta silentia, et ita eum alloquitur : O dul-
cissime et amantissime juvenis, est mysterium quod tibi confitear,
si modo tu jura tus asseras tota te illud observantia custodire.
Jurât Valerianus sponsus, se illud omnino nul la prodere ratione,
nulla necessitate dete^ere. Tune illa ait : Angelum Dei babeo ama-
torem, qui nimio zelo corpus meum custodit. Hic si vel leviter
senserit quod tu me polluto amore contingas, statim circa te suum
furorem exagitat; et amittis florem tuœ gratissimœ juventutis. Si
autem cognoverit quod me sincero corde et immaculato amore
diligas, et virginitatem meam integram illibatamque custodias, ita
te quoque diligit sicut me, et ostendit tibi gratiam suam.
«Tune Valerianus, nutu Dei timoré correptus, ait : Si vis ut
credam sermonibus tuis,ostende mihi ipsum angelum; et si ap-
probavero quod vere angélus Dei sit, faciam quod bortaris. Si
autem virum alterum diligis, et te et illum gladio feriam. Tune
B. Cœcilia dicit ei : Si consiliis meis acquiesças, et permittas te
purificari foute perenni, et credas unum Deum esse in cœlis vivum
et verum, poteris eum videre. Dicit ei Valerianus : Et quis erit qui
me purificet, ut ego angelum videam? Respondit ei Cœcilia : Est
senior qui novit purificare homines, ut mereantur videre ange-
lum Dei......
«Tune Valerianus perrexitet, secundum ea signa quœ accepe-
rat, in venit s. Urbanum episcopum qui. . . . inter sepulcra marty-
rum latitabat. Cui quum dixisset omnia verba Cœciliœ, gavisus est
gaudio magno.....et cum lacrymis dixit : Domine Jesu Christe,
seminatoi' casli consilii, suscipe seminum fructus quos in Cœcilia
seminasti. Domine Jesu Cliriste, pastor bone, Cœcilia famula tua
quasi ovis (al. apis) argumentosa tibi deservit; nam sponsum,
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PLANCHE SEIZIÈME. — SAINTE CÉCILE, SAINT JEAN-BAPTISTE
ET SAINT ETIENNE.
188. On a fait une bien mauvaise querelle aux musiciens, quand on a prétendu leur contester la
légitimité du patronage de sainte Cécile. Comme il est assez rare que l'érudition et la musique se
donnent rendez-vous dans un même cerveau, je pense que les auteurs de cette chicane ont un peu
compté sur l'indifférence des éruclits pour la patronne des musiciens, ou sur la facilité d'entamer les
musiciens dans une affaire d'érudition. Les moyens d'attaque ont été si pauvres, que cela s'est trouvé
ne ressembler pas mal à une mystification toute pure. H y a peu d'années encore, l'on a présenté
comme une découverte curieuse, l'idée que Raphaël pourrait bien s'être inspiré de la Chronique de
Nuremherej. En outre, Raphaël ou les intermédiaires entre lui et Wilhelm Pleydenwurff, n'auraient eu
qu'un tort en ceci : celui de ne pas copier assez exactement leur modèle. Quand il serait vrai, — et
il n'en est rien,— que W. Pleydenwurff ou son confrère en gravure sur bois, Michel Wolgemut, eussent
mis à la main de sainte Cécile une carde de fer comme instrument (imaginaire) de son ntartyre;
cette palette quelconque ressemble si peu à tout ce qui pourrait faire naître la pensée d'un orgue,
qu'il n'y a pas moyen de tolérer l'invention d'une pareille origine.
Pour nous, que l'état actuel du vitrail de Bourges (lancette B) dispense d'entrer ici dans ces ques-
tions, bornons-nous à rendre raison des scènes qui nous restent. Il ne nous faudra point, comme l'a
fait l'un des censeurs les plus récents de la légende de sainte Cécile, recourir à un vieux bréviaire
de Cracovie, qui ne disait en cela rien que ne dise encore toute l'Église (sauf une partie de la France)
avec le bréviaire romain. Nous possédons les anciens actes de la sainte, publiés par Bosio d'abord,
puis par Laderchi, et parfaitement d'accord avec les abrégés populaires qu'en ont faits le bréviaire et la
Légende dorée entre autres.
189. Cécile, jalouse de conserver sa virginité, pour ne laisser entrer nul amour mortel en son cœur,
s'était vue contrainte d'épouser Valérien; et la solennité des noces venait de s'accomplir. Sitôt qu'elle se
trouve seule avec son époux encore païen, elle lui déclare qu'un ange de Dieu veille sur elle, prêt à
venger toute tentative contraire à la résolution qu'elle a formée de rester vierge. Le jeune homme
demande qu'il lui soit donné au moins de voir ce gardien mystérieux; et Cécile lui apprend que, sans
le baptême, ses yeux ne s'ouvriront point pour ce spectacle céleste. Elle l'envoie au pape saint Urbain 1er,
qui, ayant déjà confessé deux fois la divinité de Jésus-Christ devant les tribunaux, vivait caché dans
les catacombes. Valérien est baptisé, et, à son retour, il trouve Cécile en prières; un ange, éclatant
de lumière, était près d'elle, et tenait de chaque main une couronne destinée à chacun des époux (1).
(1) Il faut citer au moins quelques extraits de cette belle rela-
tion dont les fragments épars dans les antiennes et les répons du
bréviaire, exilaient encore un parfum de piété naïve et de simpli-
cité majestueuse, que trop peu d'autres offices ont conservé jus-
qu'à nos jours. Je suis le texte publié par Bosio {Hist. pass. B.
CœciL, etc., Rom., 1600) « Venit dies in quo thalamus collocatus
est. ... et biduanis ac triduanis jejuniis orans, commendabat
( Cœcilia) Domino quod timebat, invitabat angelos precibus, la-
crymis interpellabat apostolos, et sancta agmina omnia Christo
famulantia exorabat ut suis eam deprecationibus adjuvarent suam
Domino pudicitiam commendantem.
« Sed quum hœc agerentur, venit nox in qua suscepit una cum
sponso suo cubiculi sécréta silentia, et ita eum alloquitur : O dul-
cissime et amantissime juvenis, est mysterium quod tibi confitear,
si modo tu jura tus asseras tota te illud observantia custodire.
Jurât Valerianus sponsus, se illud omnino nul la prodere ratione,
nulla necessitate dete^ere. Tune illa ait : Angelum Dei babeo ama-
torem, qui nimio zelo corpus meum custodit. Hic si vel leviter
senserit quod tu me polluto amore contingas, statim circa te suum
furorem exagitat; et amittis florem tuœ gratissimœ juventutis. Si
autem cognoverit quod me sincero corde et immaculato amore
diligas, et virginitatem meam integram illibatamque custodias, ita
te quoque diligit sicut me, et ostendit tibi gratiam suam.
«Tune Valerianus, nutu Dei timoré correptus, ait : Si vis ut
credam sermonibus tuis,ostende mihi ipsum angelum; et si ap-
probavero quod vere angélus Dei sit, faciam quod bortaris. Si
autem virum alterum diligis, et te et illum gladio feriam. Tune
B. Cœcilia dicit ei : Si consiliis meis acquiesças, et permittas te
purificari foute perenni, et credas unum Deum esse in cœlis vivum
et verum, poteris eum videre. Dicit ei Valerianus : Et quis erit qui
me purificet, ut ego angelum videam? Respondit ei Cœcilia : Est
senior qui novit purificare homines, ut mereantur videre ange-
lum Dei......
«Tune Valerianus perrexitet, secundum ea signa quœ accepe-
rat, in venit s. Urbanum episcopum qui. . . . inter sepulcra marty-
rum latitabat. Cui quum dixisset omnia verba Cœciliœ, gavisus est
gaudio magno.....et cum lacrymis dixit : Domine Jesu Christe,
seminatoi' casli consilii, suscipe seminum fructus quos in Cœcilia
seminasti. Domine Jesu Cliriste, pastor bone, Cœcilia famula tua
quasi ovis (al. apis) argumentosa tibi deservit; nam sponsum,
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