VITRAUX DE BOURGES
baiser du traître, les derniers apprêts du supplice lorsque le Fils de Dieu va être dépouillé pour
monter en croix, la flagellation, la sentence de Pilate, le désespoir de Judas qui rapporte l'argent, la
mort de Jésus-Christ, la descente de croix, l'ensevelissement, la descente aux limbes, la résurrection.
io5. Quand j'ai paru écarter toute idée de symbolisme, j'ai voulu seulement faire entendre qu'il
figure ici d'une manière totalement subordonnée à l'histoire, et pour la relever seulement, mais non
pas pour conduire l'esprit dans une région en quelque sorte plus haute que ne serait le récit. Le
moyen de prétendre trouver un sujet plus haut que les souffrances et la mort du Fils de Dieu! Pour
les faits de l'Ancien Testament et pour les paraboles du Nouveau, à la bonne heure : nous l'avons
vu dans l'histoire de l'Enfant prodigue, et nous Talions voir dans celle du Samaritain; mais dans les
actions de Notre-Seigneur nous sommes au terme de toute figure, nous tenons la réalité même, et
chercher quelque chose au delà, ce serait leur ôter cette valeur de consommation que la foi nous y
montre. Cependant, toujours persuadés du sens profond que la Sagesse divine sait donner aux faits
aussi bien qu'à ses paroles, les anciens docteurs n'ont pas manqué de creuser avec un pieux respect
les moindres détails de la vie du Rédempteur, pour y étudier, avec la réalisation des prophéties an-
ciennes, l'annonce des conséquences que devait avoir sa mission divine par le ministère de l'Église.
Nous voulions les suivre dans ces interprétations souvent naïves, presque toujours majestueuses par la
portée des vues, et imposantes par l'accord des grands maîtres; pour certains points, même, nous l'avions
presque promis à nos lecteurs. Un autre genre de recherches semblait commander aussi notre attention.
Exposer, par la comparaison des monuments, la manière adoptée à diverses époques du moyen âge
pour représenter les principaux détails de la Passion, signaler les variantes plus saillantes qui ont
prescrit dans l'art sur quelques-unes des circonstances laissées dans l'ombre par les évangélistes (i),
indiquer les motifs qui ont présidé à cette détermination, etc., c'était une tâche propre à exciter l'inté-
rêt des connaisseurs, et qui promettait d'ailleurs de curieux résultats pour l'histoire de l'art. Les
développements qu'eût entraînés une semblable étude, pouvaient nous conduire au delà des li-
mites qu'il faut nous imposer. En outre, une réunion considérable de représentations fidèles et bien
classées était un préliminaire indispensable; et nous ne pouvions que l'ébaucher dans ce volume. Nous
franchirons donc cette fois un sujet trop grave pour être traité en passant, et trop étendu pour s'ac-
commoder de l'espace où il nous faudrait le réduire. En attendant que nous puissions le traiter à
part, nous suppléerons seulement quelque peu à notre silence par le langage des monuments eux-
mêmes que nous réunirons dans nos planches d'Etudes. Une telle manière de nous abstenir aura son
prix pour les vrais juges; ils comprendront sur-le-champ que si nous étions imités par plusieurs
dans cette façon de compenser notre silence, la question aurait bientôt gagné à une vingtaine de
planches, tout autrement qu'à de nombreuses pages de texte dépourvues de cet appui.
(i) Par exemple, la verrière de Bourges nous montre la croix
dressée déjà avant que Notre-Seigneur y ait été attaché. La même
manière de peindre ce moment de la Passion se retrouve dans
YHortus deliciarum, et la grande publication de M. le comte
Auguste de Bastard l'a reproduite dans la même page qui nous a
servi à réduire le détail D de notre Etude IV. Mais on peut dire
que dans le manuscrit d'Hohenbourg cette représentation est
parfaitement en harmonie avec tout le reste; au lieu qu'à Bourges
elle ne correspond plus avec certaines formes qui commencent à
être adoptées. Ici, ce n'est plus que le vestige d'un programme
qui s'efface, tandis que pour la miniature d'Herrade rien n'est en
désaccord, tout est à sa place et en son temps. Mais cette inco-
hérence même importe extrêmement pour l'histoire de l'art. On
y aperçoit que les peintres-verriers de notre cathédrale sont dans
un de ces instants d'indécision où quelque chose de nouveau s'est
fait jour sans que les anciennes prescriptions aient encore totale-
ment cédé : elles conservent un reste d'empire, et l'on voit que
cependant elles perdent le terrain, et vont incessamment dispa-
raître. Saisir à la fois dans les monuments de l'art et dans les
textes anciens, le temps et le progrès de la lutte entre une forme
qui naît et une forme qui meurt, c'est un sujet d'études délicates
qui demandent autant de précision que d'abondance. Aussi ne
peut-on bien les traiter que dans un travail spécial, étayé de preu-
ves nombreuses choisies avec discernement, et présentées avec
une critique nette et convaincante.
Quant aux poissons qui se voient sur la table de la Cène, aussi
bien à Strasbourg (Étude XI) qu'à Bourges et dans le Psautier de
saint Louis, l'inspection des monuments de ces âges eût sauvé à
M.l'abbé A. Guillon de Montléon une conjecture à la fois fausse et
bizarre, lorsque, supposant à Léonard de Vinci l'invention de ce
plat (Je Cénacle de Léonard..., Milan, 181 j, p. i63—165), il lui
prête la curieuse pensée de placer ainsi dans un réfectoire monas-
tique une consolation pour Xichthyophagie quadragésimale. On
voit que la connaissance des vieilles peintures du moyen âge peut
éclairer la critique sur les motifs qui ont dirigé les grands artistes
de la renaissance : nouveau motif pour ne point traiter ces ma-
tières à la hâte, et pour réunir soigneusement les matériaux avant
de rien prononcer qui puisse être démenti par les faits.
baiser du traître, les derniers apprêts du supplice lorsque le Fils de Dieu va être dépouillé pour
monter en croix, la flagellation, la sentence de Pilate, le désespoir de Judas qui rapporte l'argent, la
mort de Jésus-Christ, la descente de croix, l'ensevelissement, la descente aux limbes, la résurrection.
io5. Quand j'ai paru écarter toute idée de symbolisme, j'ai voulu seulement faire entendre qu'il
figure ici d'une manière totalement subordonnée à l'histoire, et pour la relever seulement, mais non
pas pour conduire l'esprit dans une région en quelque sorte plus haute que ne serait le récit. Le
moyen de prétendre trouver un sujet plus haut que les souffrances et la mort du Fils de Dieu! Pour
les faits de l'Ancien Testament et pour les paraboles du Nouveau, à la bonne heure : nous l'avons
vu dans l'histoire de l'Enfant prodigue, et nous Talions voir dans celle du Samaritain; mais dans les
actions de Notre-Seigneur nous sommes au terme de toute figure, nous tenons la réalité même, et
chercher quelque chose au delà, ce serait leur ôter cette valeur de consommation que la foi nous y
montre. Cependant, toujours persuadés du sens profond que la Sagesse divine sait donner aux faits
aussi bien qu'à ses paroles, les anciens docteurs n'ont pas manqué de creuser avec un pieux respect
les moindres détails de la vie du Rédempteur, pour y étudier, avec la réalisation des prophéties an-
ciennes, l'annonce des conséquences que devait avoir sa mission divine par le ministère de l'Église.
Nous voulions les suivre dans ces interprétations souvent naïves, presque toujours majestueuses par la
portée des vues, et imposantes par l'accord des grands maîtres; pour certains points, même, nous l'avions
presque promis à nos lecteurs. Un autre genre de recherches semblait commander aussi notre attention.
Exposer, par la comparaison des monuments, la manière adoptée à diverses époques du moyen âge
pour représenter les principaux détails de la Passion, signaler les variantes plus saillantes qui ont
prescrit dans l'art sur quelques-unes des circonstances laissées dans l'ombre par les évangélistes (i),
indiquer les motifs qui ont présidé à cette détermination, etc., c'était une tâche propre à exciter l'inté-
rêt des connaisseurs, et qui promettait d'ailleurs de curieux résultats pour l'histoire de l'art. Les
développements qu'eût entraînés une semblable étude, pouvaient nous conduire au delà des li-
mites qu'il faut nous imposer. En outre, une réunion considérable de représentations fidèles et bien
classées était un préliminaire indispensable; et nous ne pouvions que l'ébaucher dans ce volume. Nous
franchirons donc cette fois un sujet trop grave pour être traité en passant, et trop étendu pour s'ac-
commoder de l'espace où il nous faudrait le réduire. En attendant que nous puissions le traiter à
part, nous suppléerons seulement quelque peu à notre silence par le langage des monuments eux-
mêmes que nous réunirons dans nos planches d'Etudes. Une telle manière de nous abstenir aura son
prix pour les vrais juges; ils comprendront sur-le-champ que si nous étions imités par plusieurs
dans cette façon de compenser notre silence, la question aurait bientôt gagné à une vingtaine de
planches, tout autrement qu'à de nombreuses pages de texte dépourvues de cet appui.
(i) Par exemple, la verrière de Bourges nous montre la croix
dressée déjà avant que Notre-Seigneur y ait été attaché. La même
manière de peindre ce moment de la Passion se retrouve dans
YHortus deliciarum, et la grande publication de M. le comte
Auguste de Bastard l'a reproduite dans la même page qui nous a
servi à réduire le détail D de notre Etude IV. Mais on peut dire
que dans le manuscrit d'Hohenbourg cette représentation est
parfaitement en harmonie avec tout le reste; au lieu qu'à Bourges
elle ne correspond plus avec certaines formes qui commencent à
être adoptées. Ici, ce n'est plus que le vestige d'un programme
qui s'efface, tandis que pour la miniature d'Herrade rien n'est en
désaccord, tout est à sa place et en son temps. Mais cette inco-
hérence même importe extrêmement pour l'histoire de l'art. On
y aperçoit que les peintres-verriers de notre cathédrale sont dans
un de ces instants d'indécision où quelque chose de nouveau s'est
fait jour sans que les anciennes prescriptions aient encore totale-
ment cédé : elles conservent un reste d'empire, et l'on voit que
cependant elles perdent le terrain, et vont incessamment dispa-
raître. Saisir à la fois dans les monuments de l'art et dans les
textes anciens, le temps et le progrès de la lutte entre une forme
qui naît et une forme qui meurt, c'est un sujet d'études délicates
qui demandent autant de précision que d'abondance. Aussi ne
peut-on bien les traiter que dans un travail spécial, étayé de preu-
ves nombreuses choisies avec discernement, et présentées avec
une critique nette et convaincante.
Quant aux poissons qui se voient sur la table de la Cène, aussi
bien à Strasbourg (Étude XI) qu'à Bourges et dans le Psautier de
saint Louis, l'inspection des monuments de ces âges eût sauvé à
M.l'abbé A. Guillon de Montléon une conjecture à la fois fausse et
bizarre, lorsque, supposant à Léonard de Vinci l'invention de ce
plat (Je Cénacle de Léonard..., Milan, 181 j, p. i63—165), il lui
prête la curieuse pensée de placer ainsi dans un réfectoire monas-
tique une consolation pour Xichthyophagie quadragésimale. On
voit que la connaissance des vieilles peintures du moyen âge peut
éclairer la critique sur les motifs qui ont dirigé les grands artistes
de la renaissance : nouveau motif pour ne point traiter ces ma-
tières à la hâte, et pour réunir soigneusement les matériaux avant
de rien prononcer qui puisse être démenti par les faits.