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LE LIVRE DE PROTÉGER LA BARQUE DIVINE
eux, Thot, « le maître des divines paroles » qui « repousse [les ennemis de] la barque
osiriennë et protège la barque'1 ».
On conçoit facilement quelle importance les Égyptiens attachaient à la conservation
de cette barque; quels soins ils devaient prendre pour qu'elle fût toujours en parfait état
et pour qu'elle ne succombât pas sous les coups de Sît, pendant ses navigations. Nous
avons vu de quels moyens ils usaient pour en assurer la protection; nous avons vu aussi
combien le procédé qu'ils employaient pour y parvenir, l'envoûtement du mauvais,
était voisin du rite du sacrifice sanglant. La même forme d'abatage de la victime, les
mêmes moyens de destruction par le feu, le même mode d'incinération sont suivis clans
les deux cas. Je crois en effet que la pratique de l'envoûtement n'était qu'une parodie, ou
plutôt une forme pervertie du sacrifice sanglant. Le sacrifice, en même temps qu'il four-
nissait au dieu la subsistance qui lui était nécessaire, concourait à la destruction des
ennemis qui avaient émigré clans le corps des animaux égorgés, — et ce n'était pas la
moindre de ses vertus. Mais il était une forme sous laquelle le mauvais échappait aux
représailles, sa forme humaine, sous laquelle on ne pouvait l'atteindre. Évidemment,
ces hommes roux que l'on couvrait d'injures à cause de leur communauté cle couleur avec
Typhon durent souvent répondre cle ses crimes et les payer cle leur vie 2 ; mais, à l'époque
où les livres de magie qui nous sont restés ont été écrits, on ne pouvait plus songer à ces
coutumes barbares. On eut donc recours à un expédient, et l'esprit formaliste des Égyp-
tiens ne se trouva pas à court. De même qu'on avait suppléé aux serviteurs tués sur la
tombe cle leur maître par des simulacres en bois ou en porcelaine, on substitua à la forme
humaine de Sît qu'on ne pouvait détruire en chair et en os, une image de cire façonnée
à ses traits 3. Par la puissance des formules magiques, l'assimilation fut complète : les
mutilations que subissait l'effigie, Sît les subissait en sa chair; et, lorsque le moment de
l'anéantissement définitif était venu, lorsque, las de l'injurier et de la frapper, les prêtres
lançaient l'image au milieu du brasier, c'était Sît lui-même qui disparaissait dans la
flamme brillante qui montait du foyer.
Paris, le 27 mars 1894.
1. Maspero, Études égyptiennes, t. I, p. 137, note 3.
2. Un passage de Plutarque, De Iside et Osiride, § 73, ne laisse subsister aucun doute sur ce point.
3. Je crois bon de mentionner en passant l'emploi des statuettes funéraires au Japon. On plaçait dans les
sépultures ou dans leur voisinage de petites figurines d'argile nommées tuti nin-gyau ou encore honiwa,
« broussailles d'argile », qui représentaient les serviteurs enterrés vifs près de la tombe de leur maître, d'après
les anciennes coutumes. L'introduction cle cet usage date exactement de Tan 3 après J.-C. (Voir Revue orien-
tale et américaine, 1878, p. 92-94).
LE LIVRE DE PROTÉGER LA BARQUE DIVINE
eux, Thot, « le maître des divines paroles » qui « repousse [les ennemis de] la barque
osiriennë et protège la barque'1 ».
On conçoit facilement quelle importance les Égyptiens attachaient à la conservation
de cette barque; quels soins ils devaient prendre pour qu'elle fût toujours en parfait état
et pour qu'elle ne succombât pas sous les coups de Sît, pendant ses navigations. Nous
avons vu de quels moyens ils usaient pour en assurer la protection; nous avons vu aussi
combien le procédé qu'ils employaient pour y parvenir, l'envoûtement du mauvais,
était voisin du rite du sacrifice sanglant. La même forme d'abatage de la victime, les
mêmes moyens de destruction par le feu, le même mode d'incinération sont suivis clans
les deux cas. Je crois en effet que la pratique de l'envoûtement n'était qu'une parodie, ou
plutôt une forme pervertie du sacrifice sanglant. Le sacrifice, en même temps qu'il four-
nissait au dieu la subsistance qui lui était nécessaire, concourait à la destruction des
ennemis qui avaient émigré clans le corps des animaux égorgés, — et ce n'était pas la
moindre de ses vertus. Mais il était une forme sous laquelle le mauvais échappait aux
représailles, sa forme humaine, sous laquelle on ne pouvait l'atteindre. Évidemment,
ces hommes roux que l'on couvrait d'injures à cause de leur communauté cle couleur avec
Typhon durent souvent répondre cle ses crimes et les payer cle leur vie 2 ; mais, à l'époque
où les livres de magie qui nous sont restés ont été écrits, on ne pouvait plus songer à ces
coutumes barbares. On eut donc recours à un expédient, et l'esprit formaliste des Égyp-
tiens ne se trouva pas à court. De même qu'on avait suppléé aux serviteurs tués sur la
tombe cle leur maître par des simulacres en bois ou en porcelaine, on substitua à la forme
humaine de Sît qu'on ne pouvait détruire en chair et en os, une image de cire façonnée
à ses traits 3. Par la puissance des formules magiques, l'assimilation fut complète : les
mutilations que subissait l'effigie, Sît les subissait en sa chair; et, lorsque le moment de
l'anéantissement définitif était venu, lorsque, las de l'injurier et de la frapper, les prêtres
lançaient l'image au milieu du brasier, c'était Sît lui-même qui disparaissait dans la
flamme brillante qui montait du foyer.
Paris, le 27 mars 1894.
1. Maspero, Études égyptiennes, t. I, p. 137, note 3.
2. Un passage de Plutarque, De Iside et Osiride, § 73, ne laisse subsister aucun doute sur ce point.
3. Je crois bon de mentionner en passant l'emploi des statuettes funéraires au Japon. On plaçait dans les
sépultures ou dans leur voisinage de petites figurines d'argile nommées tuti nin-gyau ou encore honiwa,
« broussailles d'argile », qui représentaient les serviteurs enterrés vifs près de la tombe de leur maître, d'après
les anciennes coutumes. L'introduction cle cet usage date exactement de Tan 3 après J.-C. (Voir Revue orien-
tale et américaine, 1878, p. 92-94).