Une importante découverte.
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francs. Je l'éconduisis poliment. Deux jours après, il revint. Cette fois, il avait entre les mains
un papyrus grec non déroulé et en très mauvais état, sur le revers duquel apparaissaient
plusieurs colonnes de démotique. Il en voulait six mille francs. J'examinai ce document
autant que je le pus, c'est-à-dire d'après les parties qu'on entrevoyait sans avoir à briser
davantage le précieux rouleau; et je constatai immédiatement que nous avions affaire à un
plaidoyer grec dont je n'avais jamais rien lu et qui, par conséquent, semblait inédit. Le
démotique, écrit au revers, comprenait, d'une part, isolément, vers le milieu du papyrus, une
date ptolémaïque, avec l'année, le mois et le quantième, pouvant se référer à son achat, et,
d'une autre part, dans un autre sens, des comptes, datés de l'an 14 d'un des derniers
Ptolémées. Je me rappelai les conseils de MM. BpwUnet de Presle et Egger en pareille matière
et, craignant de laisser se perdre un tel trésor, j'entrai aussitôt en négociation. Ces négo-
ciations furent difficiles. Enfin, après plusieurs jours, les six mille francs se réduisirent à
quinze cents.
Eestait à faire accepter ce prix par le conservatoire. Mon très cher ami, M. le con-
servateur Pierret, hésitait fort, et, pour le décider, je dus lui proposer d'appeler à mon
aide notre illustre helléniste, M. Weil, à qui le Musée égyptien doit le célèbre papyrus
d'Euripide. Ce bienveillant maître poussa l'amabilité jusqu'à quitter l'Académie alors en séance
pour m'accompagner. Son estimation fut absolument semblable à la mienne;1 et comme je
lui proposais de publier, en cas d'achat, le document, il me répondit : «Mais non! faites-le
vous-même! »
Je n'ai pas besoin de dire qu'avec un aussi fort appui je réussis dans ma proposition
d'acquisition; et je viens aujourd'hui rendre compte d'un travail qui m'a été ainsi gracieuse-
ment imposé par M. Well.
Aussitôt que le papyrus fut déroulé, il me fut facile de constater avec certitude qu'il
ne contenait pas quelque plaidoyer d'un greco-égyptien comme l'avocat Dinon, mais un des
admirables produits de l'éloquence attique. Le ton insinuant et naturel du récit se rapprochait
de celui de Lysias, tandis que d'autres parties, spécialement les parties d'invectives et les
parties d'allusions politiques, rappelaient le genre de Démosthène. Mon frère et moi, nous
pensâmes donc aussitôt à Hypéride qui, dans ses grands plaidoyers civils, unissait les deux
genres, selon le dire des anciens.
L'étude plus attentive du papyrus confirma bientôt cette opinion prime-sautière. Il est
vrai que le titre et le nom de l'auteur avaient disparu avec la première colonne. Mais il ne
pouvait rester de doute, car la citation d'un texte de loi reproduite par Harpocration, dans
son lexique des orateurs, comme tirée du premier discours d'Hypéride contre Athénogène, se
retrouvait dans notre papyrus, telle qu'Harpocration nous l'a conservée.
Quant au nom même d'Athénogène contre qui parlait l'orateur, il se rencontre à plu-
sieurs reprises dans notre document. La cause était donc entendue.
1 Ce que nous avons examiné ce jour là, c'est le morceau (alors déjà détaché) relatif à la guerre
contre Philippe, à la bataille de Chéronée et aux Trézénois. Je dois même dire que, pour ma part, cela m'a
conduit dès ce moment à soupçonner qu'il s'agissait de quelque discours inédit d'un des grands orateurs
d'Athènes, malgré le démotique écrit au revers. Ce morceau a beaucoup souffert, tant dans notre examen
collectif avec M. Weil que dans le déroulage définitif. Mais nous avons pu le rétablir depuis lors, à l'aide
des fragments (voir plus loin).
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francs. Je l'éconduisis poliment. Deux jours après, il revint. Cette fois, il avait entre les mains
un papyrus grec non déroulé et en très mauvais état, sur le revers duquel apparaissaient
plusieurs colonnes de démotique. Il en voulait six mille francs. J'examinai ce document
autant que je le pus, c'est-à-dire d'après les parties qu'on entrevoyait sans avoir à briser
davantage le précieux rouleau; et je constatai immédiatement que nous avions affaire à un
plaidoyer grec dont je n'avais jamais rien lu et qui, par conséquent, semblait inédit. Le
démotique, écrit au revers, comprenait, d'une part, isolément, vers le milieu du papyrus, une
date ptolémaïque, avec l'année, le mois et le quantième, pouvant se référer à son achat, et,
d'une autre part, dans un autre sens, des comptes, datés de l'an 14 d'un des derniers
Ptolémées. Je me rappelai les conseils de MM. BpwUnet de Presle et Egger en pareille matière
et, craignant de laisser se perdre un tel trésor, j'entrai aussitôt en négociation. Ces négo-
ciations furent difficiles. Enfin, après plusieurs jours, les six mille francs se réduisirent à
quinze cents.
Eestait à faire accepter ce prix par le conservatoire. Mon très cher ami, M. le con-
servateur Pierret, hésitait fort, et, pour le décider, je dus lui proposer d'appeler à mon
aide notre illustre helléniste, M. Weil, à qui le Musée égyptien doit le célèbre papyrus
d'Euripide. Ce bienveillant maître poussa l'amabilité jusqu'à quitter l'Académie alors en séance
pour m'accompagner. Son estimation fut absolument semblable à la mienne;1 et comme je
lui proposais de publier, en cas d'achat, le document, il me répondit : «Mais non! faites-le
vous-même! »
Je n'ai pas besoin de dire qu'avec un aussi fort appui je réussis dans ma proposition
d'acquisition; et je viens aujourd'hui rendre compte d'un travail qui m'a été ainsi gracieuse-
ment imposé par M. Well.
Aussitôt que le papyrus fut déroulé, il me fut facile de constater avec certitude qu'il
ne contenait pas quelque plaidoyer d'un greco-égyptien comme l'avocat Dinon, mais un des
admirables produits de l'éloquence attique. Le ton insinuant et naturel du récit se rapprochait
de celui de Lysias, tandis que d'autres parties, spécialement les parties d'invectives et les
parties d'allusions politiques, rappelaient le genre de Démosthène. Mon frère et moi, nous
pensâmes donc aussitôt à Hypéride qui, dans ses grands plaidoyers civils, unissait les deux
genres, selon le dire des anciens.
L'étude plus attentive du papyrus confirma bientôt cette opinion prime-sautière. Il est
vrai que le titre et le nom de l'auteur avaient disparu avec la première colonne. Mais il ne
pouvait rester de doute, car la citation d'un texte de loi reproduite par Harpocration, dans
son lexique des orateurs, comme tirée du premier discours d'Hypéride contre Athénogène, se
retrouvait dans notre papyrus, telle qu'Harpocration nous l'a conservée.
Quant au nom même d'Athénogène contre qui parlait l'orateur, il se rencontre à plu-
sieurs reprises dans notre document. La cause était donc entendue.
1 Ce que nous avons examiné ce jour là, c'est le morceau (alors déjà détaché) relatif à la guerre
contre Philippe, à la bataille de Chéronée et aux Trézénois. Je dois même dire que, pour ma part, cela m'a
conduit dès ce moment à soupçonner qu'il s'agissait de quelque discours inédit d'un des grands orateurs
d'Athènes, malgré le démotique écrit au revers. Ce morceau a beaucoup souffert, tant dans notre examen
collectif avec M. Weil que dans le déroulage définitif. Mais nous avons pu le rétablir depuis lors, à l'aide
des fragments (voir plus loin).